Picasso Corrida

Écologie du toréador

Dans Ecologie tragique, l’écrivain et philosophe Fabrice Hadjadj signe un traité passionnant nous invitant à trouver un chemin écologique par-delà la simple conservation, un chemin qui passe par la lutte contre un formidable taureau, la nature. Une écologie qui mêle toréador et chrétienté.

Le problème de la corrida

Pour tout bon écologiste vient un jour toquer à notre porte un problème : celui de la corrida. Si l’homme de gauche a souvent plus d’aisance à le résoudre par sa sensibilité comme par sa logique, l’homme de droite s’évertuera pendant longtemps à essayer de rendre compatible la mise à mort violente d’un animal et la protection de la nature. On finira finalement par lâcher un « oui mais c’est la tradition » gêné avant de changer de sujet. La corrida ne sert a priori aucune autre fin que le divertissement d’une foule assoiffée de bravoure et de sang. Panem et circenses

Indéfendable et irrésistible toréador

Ici, Fabrice Hadjadj fait sien les mots d’Orson Welles : la corrida est « indéfendable et irrésistible ». Il y ajoute les termes d’un matador : « Quand l’humanité aura atteint ce degré de civilisation où toute espèce de cruauté à l’encontre de ceci ou cela aura disparu, alors le moment sera venu de supprimer la corrida. » Clarifions : c’est qu’aujourd’hui, la corrida est une « conversion », pas une « diversion ». Elle n’est pas un plaisir violent dans une société violente qui rit de sa violence, elle ne détourne pas. 

« Quand l’humanité aura atteint ce degré de civilisation où toute espèce de cruauté à l’encontre de ceci ou cela aura disparu, alors le moment sera venu de supprimer la corrida. »

Élégance du toréador

Au contraire, la corrida est conversion, elle « tourne vers ». Elle tourne vers la mort, qui n’existe plus à nos regards. La viande est cellophanée, et les bêtes passent des prairies où on les voit de loin à un tas informe, une bouillie que l’on appelle « steak haché » que l’on place entre un morceau de cheddar industriel, une sauce sans ingrédients (ou aux cent ingrédients, comme l’on préfère) et deux tranches de pain tout droit sorties de l’usine.

Où est l’animal, où est son sang, où est sa chair, où est sa viande ? Dans la corrida, il y a un peu de tout cela, et si les gestes élégants et assassins du toréador existent, c’est parce que les redoutables cornes d’un taureau qui rue vers la mort se plantent face à lui. 

Dans le sillage de l’écologie chrétienne

Convoquant bien des évangélistes – l’ouvrage s’inscrit dans la pensée de l’écologie chrétienne – Fabrice Hadjadj les réconcilie avec Nietzsche. Ce dernier s’est longuement attaqué à la tragédie, et file merveilleusement la métaphore bovine, lui qui avait posé un « problème nouveau », un « problème aux cornes menaçantes ». Il s’agissait de comprendre pourquoi les Grecs, hommes bons, avaient tant besoin de tragédie, de mort ? Vous ne voyez pas le rapport avec l’écologie ? Patience. 

C’est que Fabrice Hadjadj prend Nietzsche pour ce qu’il est, un « poseur de problèmes », celui qui aspire à ne pas prendre de maître pour que chacun devienne maître. Être maître, dans le cadre de l’écologie, c’est ne pas se résoudre à la bête binarité, c’est prendre le taureau par les cornes et affronter le problème en choisissant l’escarpée troisième voie de la nuance. 

Vivre pour survivre à quoi bon ?

L’essentiel est que l’écologie ne se résume pas à la conservation. Conserver pour conserver, vivre pour survivre, à quoi bon ? La vie a bien une valeur en soi, mais la valeur de la vie n’est pas la végétation. Elle est cet amor fati, cette explosion de vitalité dans le temps trop court qui nous est accordé. Nous fûmes poussière et redeviendrons poussière bien assez tôt : en attendant, l’existence mérite mieux que l’ataraxie, que sa propre conservation. 

Sauver l’agneau c’est condamner le loup

Y aurait-il un sens à empêcher le loup de manger l’agneau ? Ainsi que le rappelle Fabrice Hadjadj, depuis la chute du Jardin d’Eden, sauver l’agneau, c’est condamner le loup. Y aurait-il un sens à empêcher deux clans de singes à s’entre-massacrer ? Protéger le camp le plus faible, c’est vaincre le camp le plus fort. Selon la théologie chrétienne, la chute de l’Homme a entraîné la chute de la Création, et la violence et la mort sont désormais partout en nous et autour de nous. 

Comprenons que le but de l’existence n’est pas la vie en elle-même, mais bien son expression

S’agit-il de s’y complaire, de prendre le parti de la violence et de la mort ? Ce serait alors se faire ennemi de la vie, devenir son propre ennemi car nous sommes autant maîtres que part de la Nature. S’agit-il de conserver la vie à tout prix ? La vie n’est pas la fin, c’est la mort qui l’est. Alors, prenons le taureau par les cornes, virevoltons un peu avec lui, comprenons que le but de l’existence n’est pas la vie en elle-même, mais bien son expression. Et pour bien s’en rappeler memento mori, souviens-toi que tu vas mourir. 

Dans Ecologie tragique, c’est donc tout le rapport de l’homme à la vie, à la sienne comme à celle des millions de bêtes qui l’entourent, qui est posée. L’écologie, ce n’est pas figer le monde d’antan, mais permettre sa vraie existence. La Madone qui accepte la tragédie est plus vraie que la Méduse qui change la vie en pierre. 

Devenir des paroissiens

Fabrice Hadjadj nous exhorte donc à devenir paroissiens, humbles et respectueux locataires d’un monde presque éternel. L’explosion de la vie ne gît pas dans la consommation et la destruction de notre environnement, ce serait mépriser mille glorieux chevaliers, poètes, laboureurs, martyrs et rempailleurs de chaises qui vécurent les existences dont nous nous surprenons parfois à rêver. Le sens de l’existence n’est pas non plus enfoui dans l’étrange idée de « sauver la planète » : les animaux, les végétaux, notre bonne vieille planète minérale nous survivront sans doute quelques centaines de millions d’années. 

Le discours de la maison

L’écologie, en son sens originel, est « le discours de la maison ». Autrement dit, tout ce qui se rapporte à l’entretien de ce petit monde dont nous sommes locataires, paroissiens. En bons locataires insolvables, notre devoir n’est donc pas de laisser une facture astronomique à ceux qui hériteront du bail, mais bien à le soigner, ce qui ne nous empêche pas non plus de repeindre un peu ses murs et d’allumer de grands feux de cheminée. Et qui sait, peut-être le bon écologiste, quand viendra pour lui le temps de redevenir poussière, pourra-t-il connaître une nature sans mort ni violence en poussant la porte du Jardin d’Eden. Mais ce royaume n’est pas de ce monde, et peut-être conviendrait-il de le rappeler tant aux technologistes modernes qu’aux « compostistes » post-modernes. 

Ecologie tragique, Fabrice Hadjadj, Mame, 184p., 17,95 euros

Le Bulk Cutter et sa fiche technique, un des trois robots proposés par Nautilus Minerals, qui a été construit en prototype en 2015.

En Norvège, le deep sea mining tombe à l’eau pour 2025

Le dimanche 1er décembre 2024, un cadeau de Noël d’avant l’heure a été tendu à l’écologie : à la suite de vives négociations entre le gouvernement centriste et le Parti socialiste de gauche sur le projet de loi des finances, le premier ministre norvégien a annoncé que son pays suspendait les autorisations d’exploitations minières dans ses eaux profondes et ce jusqu’à la fin de l’année 2025.

La nouvelle a réjoui non seulement la gauche norvégienne, mais également les ONG (Greenpeace, WWF, etc) et certains acteurs internationaux majeurs comme l’UE et le Royaume-Uni, qui s’étaient opposés à ces autorisations. Si cette décision n’est pas pour autant un moratoire, il est clair qu’utiliser la notion de « victoire écologique » est plus que légitime.  

Mais pourquoi donc ce débat ? Qu’est-ce que le deep sea mining ? Quel avenir pour ce dernier ? Réponses et éclairage sur ces questions dans cet article avec un seul mot d’ordre : lucidité !  

Une stratégie métallique

Dans un délire de croissance « verte » sur lequel il n’est même plus nécessaire de revenir, une partie des élites politiques et économiques de notre monde ont adhéré à des théories technosolutionnistes qui promettent de faire de l’avenir le plus bel qui soit par le biais de la transition énergétique et de la digitalisation. L’idée est simple : la prospérité que nous connaissons actuellement n’est pas un épiphénomène, mais le début d’un idéal pour lequel il est nécessaire de « progresser ». 

Cette grande marche en avant demande deux grandes évolutions dans nos modes de productions (j’ai bien dit productions… faudrait pas croire qu’on consommera différemment). La première est d’abandonner les énergies fossiles au profit du tout renouvelable, afin de permettre une économie électrifiée et complètement « décarbonée ». Dans ce scénario, l’éolien et le solaire mais aussi l’hydrogène et les batteries de stockages ont la première place. La seconde évolution est celle de l’optimisation par le numérique, autrement dit une gestion algorithmique de la production pour performer, le tout à grand renfort d’intelligence artificielle. En bref, une économie où la machine électrifiée travaillera toujours de symbiose avec un serveur.  

Cependant, aussi immatériel puisse-il paraître, ce monde bas carbone intelligent est un monde haut en consommation de matière et plus spécifiquement de métaux. En effet, les panneaux solaires, les éoliennes, les voitures électriques, les batteries, mais aussi les serveurs, les écrans ou encore les composants électroniques sont des technologies complexes dont les éléments principaux sont souvent des métaux (voir graphiques). 

Ces dernières années, d’importants investissements ont permis le déploiement massif de ces technologies gourmandes en ressources et énergie, à un point tel que, selon un rapport de l’OCDE (que l’on ne peut pas blâmer d’être décroissantiste), en 2060, le monde consommera 2,5 fois plus de matières premières qu’en 2011. En ce qui concerne uniquement les métaux, le chiffre est autant vertigineux : l’humanité va consommer dans les 30 prochaines années plus de métaux que tout ce qui a été extrait depuis 70’000 ans !  

Graphique représentant une projection de la production de panneaux solaires, d’éoliennes, de voitures électriques.
Graphique représentant une projection de la production de panneaux solaires, d’éoliennes, de voitures électriques ainsi que de la taille du réseau électrique à l’horizon 2040 selon 2 scénarios possibles : STEPS, scénario imaginé en fonction des politiques officiellement déclarées et SDS, qui se base sur les besoins nécessaires pour le développement durable selon l’AIE.
Graphique représentant les besoins métalliques moyens nécessaires à la production d’une voiture électrique, d’une voiture thermique ainsi que de différents modes d’énergie existants par Mégawatt produit.
Graphique représentant les besoins métalliques moyens nécessaires à la production d’une voiture électrique, d’une voiture thermique ainsi que de différents modes d’énergie existants par Mégawatt produit. IEA.

La mine : le sous-terrain des limites planétaires

Dans ce contexte d’explosion de la demande minérale, le secteur minier et les industriels qui y sont liés sont sous une contrainte double : extraire davantage dans des stocks qui s’amenuisent drastiquement. Pour appréhender cette problématique, il est important de comprendre les différents processus miniers qui permettent d’extraire de la terre le précieux métal, et ce en suivant l’exemple du cuivre. 

Le cuivre est l’un des métaux essentiels à nos sociétés industrielles, notamment pour ses propriétés conductrices qui le placent ainsi au centre de nos réseaux électriques et, par ruissellement, électroniques. La teneur d’exploitation moyenne du cuivre, c’est-à-dire la concentration de la substance recherchée dans une tonne excavée, est de seulement 0,6% soit 6kg pour tonne. De cette manière, nous pouvons comprendre que l’extraction de la matière ne représente qu’une petite partie de l’activité de l’industrie minière et que le gros du travail consiste en fait à séparer le métal du reste du minerai, ce qui se fait pour le cuivre (et la majorité des métaux) en 3 étapes majeures. 

La première étape est de séparer les chalcopyrites, qui sont des petits grains d’un mélange de cuivre, sulfures et fer, en broyant la roche des minerais aussi finement que de la farine avant d’extraire par traitement chimique les fameuses chalcopyrites. À cette partie du traitement, la teneur en cuivre du concentré est d’environ 30%. La seconde étape consiste à utiliser de la pyrométallurgie (que l’on représente schématiquement par un four) afin d’éliminer le fer et les sulfures du concentré. 

La matière obtenue, appelé Blaster, est composé à 98% environ de cuivre, mais reste pourtant inutilisable par l’industrie. La troisième et dernière étape, c’est l’affinage, qui va permettre de retirer les dernières impuretés et donner des cathodes de cuivres, composées à 99,99% de cuivre et qui, elles, sont enfin exploitables. Dans le courant de ces 3 étapes, il est nécessaire de considérer que l’immense majorité de la matière extraite est finalement des déchets (99,4% pour le cuivre), c’est donc sans surprise que l’industrie minière est le premier producteur industriel de déchets liquides, solides et gazeux. 

Bien souvent pollués, les déchets sont simplement stockés derrières de grosses digues de terres, créant ainsi des lacs artificiels de boue appelés « parc à résidus », dont l’impact est terrible pour l’environnement et les populations locales. L’association SystExt, référence majeure dans l’analyse du secteur minier, considère qu’il y a des dizaines de milliers d’ouvrages de stockages de ce type à travers le monde et que plusieurs centaines voient le jour chaque année (source).  

Avec ces quelques informations non-exhaustives, il est aisé de comprendre que l’accès aux métaux est un processus complexe qui connaît un immense écart entre les moyens employés ainsi que les impacts de ces mêmes moyens, et la masse totale de matière extraite. Un écart qui est appelé à s’élargir du fait de teneurs d’exploitations toujours plus faibles. En effet, au fur et à mesure que le temps passe et que nous extrayons des mines les précieux métaux, les stocks s’amenuisent et les teneurs d’exploitations diminuent. 

Cette tendance est remarquée statistiquement, avec des chiffres qui remontent parfois jusqu’au XIXème siècle, et qui s’appliquent sur l’ensemble des métaux, à des taux de réduction qui oscillent entre 25% et 65% (source). Loin d’être une bonne nouvelle, cette réalité inquiète le secteur, qui se doit de produire plus, notamment pour soutenir la future transition énergétique, mais aussi les experts environnementaux, car plus les teneurs d’exploitations sont faibles, plus la consommation d’eau, d’énergie et le rejet de gaz à effets de serre sont élevés, et ce de manière exponentielle ! 

Un rapport de la Banque Mondiale établissait une liaison dangereuse entre la transition énergétique, donc le besoin de ressources métalliques abondantes, et l’agrandissement en surface de la mine du fait de teneurs d’exploitations plus faibles. La conclusion de ce rapport lance un avertissement fort : « Les menaces que l’exploitation minière fait peser sur la biodiversité augmenteront au fur et à mesure que les mines cibleront des matériaux pour la production d’énergie renouvelable et, sans planification stratégique, ces nouvelles menaces pour la biodiversité pourraient dépasser celles évitées par l’atténuation du changement climatique. »1 (encart) 

C’est dans ce contexte de raréfaction des métaux combiné à l’impact de la mine terrestre que rentre en scène l’idée du deep sea mining, soit l’exploitation minière sous-marine en bon français dans le texte.  

Tableau des éléments métalliques et de leur teneur d’exploitation les plus fréquentes.
Tableau des éléments métalliques et de leur teneur d’exploitation les plus fréquentes. Source : Moins c'est mieux
Montage photographique représentant par une sphère la quantité de cuivre extraite de la mine de Palabora en Afrique du Sud. Face à l’emprise au sol et en profondeur de la mine, la boule de cuivre paraît insignifiante.
Montage photographique représentant par une sphère la quantité de cuivre extraite de la mine de Palabora en Afrique du Sud. Face à l’emprise au sol et en profondeur de la mine, la boule de cuivre paraît insignifiante.

Deep sea mining et le cas norvégien

Le Deep sea mining n’est pas un concept nouveau. Il s’inscrit en réalité dans l’imaginaire que l’Homme se fait de la mer, son immensité et ses fonds, car la mer est le seul milieu de notre planète qui nous est encore particulièrement hostile. L’austérité des ces contrées inexplorés font de leur exploitation un défi à relever, comme un nouvel espace à conquérir pour en extraire de précieux trésors naturels. Ce type de narratif a grandement influencé la littérature puis la science-fiction, avant de devenir un sujet d’étude scientifique sérieux avec les premières expéditions sous-marines dans la deuxième moitié du XXème siècle.  

Si au premier chef, c’est une biodiversité immensément riche que l’on a découvert, avec des espèces aux caractéristiques épatantes que l’on n’aurait soupçonné capable de vivre dans de telles conditions, la question de la possible exploitation des ressources localisées à des milliers de mètres de profondeur s’est rapidement posée et plusieurs recherches ont été lancées pour assurer la faisabilité de ces projets. Les matières visées sont des hydrocarbures, du gaz, des minéraux industriels mais aussi des métaux. C’est sur ces derniers que nous allons nous attarder et plus spécifiquement dans le cas Norvégien.  

Début janvier 2024, le parlement norvégien votait par une écrasante majorité « oui » à l’autorisation des prospections minières dans une zone grande comme le Royaume-Uni. Premier pays à faire le pas, la Norvège voyait dans cette décision le moyen d’offrir à son économie et à l’Europe un accès facilité à des ressources critiques pour les nouvelles technologies et la transition énergétique, notamment du cuivre et du zinc, concentrés dans des nodules polymétalliques et des sulfures hydrothermaux, qui sont deux des trois types de gisements miniers marins connus à ce jour. 

Les sulfures hydrothermaux sont le fruit d’un panache volcanique qui crée de petits évents, sortes de cheminées de roches chargées en métaux. Les nodules polymétalliques, quant-à-eux, proviennent d’un phénomène de concrétion très complexe qui forme une agrégation de particules en aspirant les métaux présents dans l’eau et la vase, créant ainsi de petits cailloux circulaires de 1 à 12 centimètres de largeur. Ces pures merveilles de la géologie prennent place sur le temps long, voire très long : l’on parle de plusieurs dizaines de milliers d’années pour les gisements de sulfures et quelques dizaines de millimètres concrétionnés par million d’années pour les nodules.  

Un des arguments amené à maintes reprises par les partisans et industriels des projets miniers sous-marins est celui de la taille des gisements : selon eux, l’étendu des zones minables sont si grandes que la masse de métal y est colossale.  Si le volume total de nodules ou sulfures disponibles peut-être un indicatif intéressant, il n’est pas pour autant pertinent si l’optique est de savoir combien de tonnes de métal seront accessibles. 

Dans ce cas, il faut avant tout se référer aux teneurs d’exploitation moyennes qui se trouvent dans ces zones. Si aucune donnée précise n’est trouvable dans le cas de la Norvège, une étude détaillée faite par un groupe de géologues américains et livrée au groupe Elsevier a analysé la teneur de nombreux gisement de la zone de Clarion-Clipperton, une surface immense de nodules grande comme trois fois l’Inde entre le Mexique et Hawaï. Les résultats de cette étude sont pour le moins étonnants : les métaux d’intérêts (or, argent, cuivre, zinc, cobalt, terres rares, lithium) ont des teneurs généralement plus faibles ou équivalentes à celles présentes dans les mines terrestres. On parle par exemple de 0,25% de terres rares par tonnes dans les nodules, alors que la moyenne des mines terrestres se situe entre 5 et 10%. Même analyse au niveau du cobalt présent dans les sulfures, alors que les teneurs terrestres vont jusqu’à 1%, la moyenne marine ne monte pas au-delà de 0,67%. Les teneurs n’étant donc pas les sources d’intérêt principales, il faudra compenser cette faiblesse par des exploitations à grandes échelles. 

Mais a-t-on seulement la technologie nécessaire et les moyens ? Les méthodes d’extractions existent en théorie, mais plusieurs limites, également théoriques, permettent de considérer que la mise en place d’une chaîne d’extraction complète est un défi de taille. Pour comprendre cela, il est nécessaire de visualiser les techniques imaginées et réfléchies pour l’extraction du précieux minerai.  

Fiche technique : miner, extraire, détruire et polluer sous la mer 

En premier lieu, des machines récoltent à la manière d’une moissonneuse la roche et les sédiments des fonds marins à plus de 3000 mètres de profondeurs. Ces machines sont de gros robots, d’une puissance oscillant entre 1,8 et 2,5 Mégawatt de puissance pour 180 à 280 tonnes et 17 mètres de longs. Véritables broyeurs de roches, ils n’ont rien à envier aux géants tombereaux des mines terrestres. 

Une fois le minerai fragmenté et ramassé, il est envoyé au navire de soutien à la production par une sorte de conduite aspirateur. Un pré-triage y est alors effectué et les sédiments, résidus marins, matériaux indésirables, sont ensuite reversés à la mer. Le reste du minerai est chargé sur des navires en direction des côtes. Toutes ces étapes sont d’une  grande complexité d’un point de vue logistique, étant donné qu’elles seraient effectuées, dans le cas norvégien, à plus de 2000 kilomètres des côtes. L’entièreté des équipements nécessaires au processus sont également très énergivores. Une demande énergétique qui ne se comblera malheureusement pas avec quelques belles éoliennes offshores, mais qui nécessitera d’être biberonnée aux fossiles.  

Zone prévue (en jaune) pour le projet de deep sea mining norvégien.
Zone prévue (en jaune) pour le projet de deep sea mining norvégien.
Schéma du mode de fonctionnement théorique du deep sea mining par l’entreprise Nautilus Minerals, ancien industriel canadien du secteur qui a fait faillite en 2019.
Schéma du mode de fonctionnement théorique du deep sea mining par l’entreprise Nautilus Minerals, ancien industriel canadien du secteur qui a fait faillite en 2019. Gceocean

Les différentes étapes décrites ci-dessus ont été inscrites et pensées dans des scénarios, nécessaires à l’obtention d’une autorisation de prospection minière, mais une étape majeure est passée sous silence : comment extraire les particules métalliques présentes dans ces nodules et sulfures ? La réponse pourtant simple, explique ce silence : on ne sait pas faire. Les métaux présents dans ces minerais sont à des tailles nanométriques (millionième de millimètre) qui ne connaissent aucun équivalent terrestre et donc aucune technique n’est suffisamment avancée pour répondre à ce besoin, et encore moins pour être mise en place à une échelle industrielle. À date, uniquement le monde scientifique a abordé cette problématique, dans des articles complexes et difficilement accessibles au grand public, mais dans le monde politique, industriel et journalistique, le silence sur cette problématique est absolu.

Le Bulk Cutter et sa fiche technique, un des trois robots proposés par Nautilus Minerals, qui a été construit en prototype en 2015.
Le Bulk Cutter et sa fiche technique, un des trois robots proposés par Nautilus Minerals, qui a été construit en prototype en 2015.

Si les méthodes d’exploitation appropriées sont encore un point d’interrogation, les effets de ces activités minières sur la vie marine et la biodiversité sont, à l’inverse, aisément prévisibles. Actuellement, la majorité des biologistes marins tirent la sonnette d’alarme, avertissant que si de tels projets voient le jour, ce n’est pas uniquement le biotope des abysses qui en serait affecté, mais tout le reste de la vie marine. Le deep sea mining entend tout de même racler, au sens propre du therme, le fond des mers, des espaces si profonds qu’ils n’ont pratiquement jamais été perturbés par quelconques phénomènes externes et qui, préservés grâce à leur inaccessibilité, sont particulièrement fragiles. Labourer ces zones d’habitations d’espèces encore inconnues avant d’y déverser des tonnes de déchets miniers ne s’apparente pas exactement à la meilleure méthode de préservation. À croire qu’en considérant comme nécessaire l’idée d’exploiter les ressources de ces fonds marins symboliquement préservés de tous nos abus, l’être humain, après avoir creusé sa propre tombe sur la terre ferme, s’est décidé à déplacer son cimetière à 4000 mille mètres de profondeur.  

Ce n’est qu’un refus temporaire !  

La décision prise par la Norvège n’est que temporaire et est, en réalité, d’avantage le résultat d’un calcul politique que d’une prise de conscience réelle de la part des élites norvégiennes sur la myriade de problématiques liées aux projets de deep sea mining. Les mots du premier ministre Jonas Gahr Støre vont d’ailleurs dans ce sens, quand il parle « d’un simple report de la question à 2026 », si ce n’est plus tôt au vu du risque d’élections anticipées et de l’arrivée au pouvoir des conservateurs. Il faut avouer que le contexte politique et économique n’est pas des plus opportunes pour prendre ce type de décision. La situation international est particulièrement tendu et l’Europe, sous menace, notamment de l’administration Trump, peine à se réindustrialiser. Se passer de cette ressource que l’on nous vend comme abandonnante pourrait être perçu comme un suicide par la population qui, malheureusement, semble être également accrochée à cet idéal du monde bas-carbone intelligent.  

Seulement, les limites sont bel et bien là. Le monde minier peinera bientôt à alimenter nos modes de vies hyper-métallisés et si le paradigme ne change pas, après la terre, les mers payeront pour nous le coût exorbitant de notre besoin en métaux. Mais de quel besoin parlons-nous ? Là est tout l’enjeu. La mine est de ces activités industrielles essentielles dont on ne peut se passer mais qui, malheureusement, auront toujours un impact destructeur et laisseront leurs lots de dommages. Si cette fin est inéluctable, la question est de savoir combien sommes-nous prêts à payer et pour quelle utilisations. Ce cadre, ce modèle de besoin métallique que nous nous fixons place la mine dans un certain contexte et définit son impact. Si notre désir est de rouler à bord d’un SUV électrique de 2 tonnes, d’illuminer à la LED chaque mètre carré de nos villes et de placarder à tous les coins de rue des panneaux informationnels tactiles, alors il faudra accepter les eaux polluées, les tonnes de déchets, les forêts rasées, les gaz à effet de serre, les villages déplacés de force, le travail d’enfants, les fonds des océans broyés et tous les autres phénomènes directement liés à ce monde minier qui, pour être rentable, se doit d’extraire toujours plus.

On aurait pu penser que le deep sea mining était le fond du problème, force est de constater qu’il n’en est qu’un de plus à la surface.

train vert fret sncf

Fret SNCF : one more Train to Rob

À partir du 11 décembre 2024 les cheminots feront grève dans l’ensemble du pays pour protester contre la privatisation de Fret SNCF. Même si la SNCF a assuré que les 4800 emplois seront conservés, rien n’est sûr. Avec cette privatisation de Fret SNCF organisée par la France et l’Union Européenne, ne serions nous pas en train d’assister à la plus grande attaque de train, digne des films de western des années 70 ?

Le Bon

SNCF Marchandises est une ancienne branche de la Société Nationale des Chemins de fer Français (SNCF) qui gérait le transport de marchandises par rail. Avec l’ouverture à la concurrence et l’évolution des marchés, cette entité est devenue Fret SNCF en 1989. Fret SNCF joue un rôle clé dans la logistique en France et en Europe, en offrant une alternative plus écologique et efficace au transport routier pour les marchandises lourdes ou volumineuses. 

Cependant depuis les années 2000, le déclin de Fret SNCF était inévitable avec l’ouverture à la concurrence et le développement du transport routier. En 2023, le transport ferroviaire ne représentait plus que 8,9 % du transport intérieur terrestre de marchandises en France, contre environ 17 % en 2000. Par ailleurs, entre 2000 et 2020, le tonnage transporté par voie ferroviaire a chuté de 44% selon l’Autorité des Transports. Fret SNCF, en particulier, a été confronté à une diminution continue de ses flux stratégiques, aggravée par une désindustrialisation générale de l’économie française.

La Brute

Dans cet assassinat  de Fret SNCF, la France a fait preuve d’une grande intelligence comme à son habitude. Les politiques publiques françaises ont favorisé le développement des infrastructures routières et l’abaissement des coûts pour les transporteurs routiers. Des pratiques de « dumping social » et le manque d’intégration du coût environnemental des routes ont amplifié cette concurrence. Ce choix s’est souvent fait au détriment des investissements dans le fret ferroviaire, qui a vu ses parts de marché diminuer drastiquement. L’ouverture à la concurrence en 2006 aurait pu permettre une modernisation du fret ferroviaire.

Cependant, Fret SNCF n’a pas su s’adapter rapidement en raison d’une organisation rigide et de coûts élevés. Les gouvernements successifs n’ont pas mis en place de plan ambitieux pour repositionner le ferroviaire comme un acteur central du transport des marchandises. Ils ont privilégié des solutions temporaires (comme des subventions) au lieu de réformes structurelles nécessaires. Cela a maintenu Fret SNCF sous perfusion, retardant sa transformation. Par ailleurs, le manque d’investissement dans le réseau ferroviaire, que vous pouvez retrouver dans  cet article, a été le dernier clou sur le cercueil de Fret SNCF.

Le Truand

L’Union Européenne a imposé la disparition de Fret SNCF, principalement en raison de subventions jugées illégales versées par l’État français entre 2005 et 2019, estimées à 5 milliards d’euros. Ces aides ont été considérées comme une altération de la concurrence dans le cadre du marché unique européen, où le fret ferroviaire est ouvert à la concurrence depuis 2006. Face à cette situation, la France avait deux options : demander le remboursement des aides, ce qui aurait entraîné une faillite immédiate, ou négocier un plan de discontinuité avec la Commission européenne.

La France a opté pour cette dernière solution afin d’éviter des sanctions plus lourdes. Ce plan prévoit la disparition de Fret SNCF d’ici 2025 et son remplacement par deux entités : Hexafret, pour le transport de marchandises, et Technis, pour la maintenance. Cette restructuration implique des réductions d’activité (abandon de 20 % du chiffre d’affaires et de 30 % des flux), ainsi que des suppressions de postes, bien que la SNCF promette des reclassements pour les cheminots concernés.

Court termisme

La décision de supprimer Fret SNCF reflète d’un choix politique court termiste : respecter les règles européennes pour éviter des sanctions financières tout en tentant de maintenir une activité ferroviaire sous une forme restructurée. Cependant, cette décision est critiquée comme une capitulation face aux exigences européennes, notamment par la CGT Cheminots, Sud Rail et certains élus locaux, qui soulignent l’impact écologique et social de la destruction de Fret SNCF.

Le sac du patrimoine industriel Français, à travers la disparition au 1er janvier 2025 de Fret SNCF, illustre une série de choix politiques incohérents, amplifiés par une pression européenne croissante et des priorités nationales centrées sur la compétitivité à court terme plutôt que sur la durabilité à long terme.

watts

Fermeture de Watts Picardie : le mirage de la réindustrialisation

L’usine Watts de Picardie jette ses employés comme de “vulgaires Kleenex”, pour reprendre l’expression de Xavier Bertrand (LDR). Le groupe a en effet annoncé la fermeture par mail cette semaine du site de Hauvillers-Ouville, dans la quasi indifférence des médias et politiques nationaux. Nous allons voir dans cet article que c’est malheureusement une démonstration de l’échec de la politique de réindustrialisation du pays et un coup dur pour la transition énergétique.

Proposition 1

Écolucide a quatre ans

Merci 

Ecolucide a 4 ans et vous êtes toujours là. 

Un immense merci à notre belle communauté. 

 

Quand j’ai créé Ecolucide, je ne savais pas encore dans quoi l’on s’embarquait. C’était l’époque du confinement, je voulais rejoindre une rédaction étudiante. 

Je voulais mieux comprendre l’un des plus grands défis de notre temps : la transition écologique.

 

2020, une année bascule pour beaucoup. Un Covid mal digéré, les confinements éprouvants, nombre d’activités au placard. Ce maudit confinement était l’occasion toute trouvée pour prendre du recul. Pour lire aussi. En 2020, Jancovici commençait enfin à devenir prophète en son pays, mais un pays toujours plus fracturé. L’écologie ou du moins l’écologisme, aurait pu jouer ce rôle de force réconciliatrice : qui ne veut pas d’une terre plus préservée ? 

 

Pourtant, je dois dire que j’étais assez déçu de l’écologie politique. Certes, les activistes ne manquaient pas de défendre de nobles causes, mais tombaient trop souvent dans les clichés d’une gauche très sectaire. Il y avait bien les scientifiques, mais leur voix était trop peu portée. A droite, l’écologie était trop souvent mise sur le bas côté, avec ça et là quelques saillies médiatiques sur le nucléaire, ou pour expliquer que l’écologie était de leur côté. 

 

C’est dans ce paysage qu’est né Écolucide. Avec la volonté de penser une écologie ambitieuse, qui s’adresserait à tous sans mépris. Un laboratoire d’idées de tous bords : écologie intégrale, état stratège, enracinement, justice sociale, souveraineté, pragmatisme, sobriété… Une écologie engagée mais nuancée, sans doute pas neutre mais que je souhaite honnête, sourcée et un brin taquine. 

 

Aujourd’hui, alors qu’Ecolucide souffle sa quatrième bougie, je suis fier du chemin parcouru. Écolucide est devenu une équipe de rédacteurs, de graphistes, de monteurs. Un membre de notre communauté a accepté de créer notre site web en janvier 2024. Notre marque est déposée, nous avons même pu créer un premier événement et être invités à des conférences. 

 

En cet anniversaire, le chemin parcouru est beau et stimulant, mais les défis sont nombreux : structuration financière et juridique, organisation, gestion des arrivées et des départs, trouver le bon rythme de publication, concilier Écolucide à une vie professionnelle, et surtout garder de la hauteur. Tout cela ne sera possible que grâce à vous, la vraie force de motivation qui permet l’enclenchement de l’engrenage. Alors, merci à vous qui nous suivez, et si vous vous retrouvez dans ces quelques lignes, partagez notre travail et aidez nous à grandir. 

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Touche pas à mon art !

Ou pourquoi les activistes « écolo » se trompent de cible 

Ils ont osé 

National Gallery, Londres. Vendredi 14 octobre. Des jeunes activistes du mouvement Just stop Oil balancent de la soupe à la tomate sur les Tournesols de Van Gogh.  En mai dernier, c’était la Joconde qui se voyait entartrée. Dans un musée australien, des militants se collent la main à un Picasso. Idem en Italie, où ce sera au tour de Boticelli. Hier encore, Monet a eu le droit à son lot de purée. A la clé, une énorme visibilité à peu de frais (judiciairement ça se discute), un phénomène qui se répand à coup de mimétisme, et la bonne volonté d’interpeller sur la crise environnementale. Alors haro sur l’art ! Pourtant, ni l’art , ni l’environnement n’en sortent véritablement gagnants, peut-être parce qu’ils sont beaucoup plus liés qu’on ne le pense. 

Après tout c’est pour la bonne cause… 

Bien sûr, ces militants ont tout un tas de circonstances atténuantes. L’écologie est trop souvent balayée sous le tapis de l’économie, du court terme. Parler de changement climatique, de raréfaction des ressources hydrocarburées, d’extinction de la biodiversité, c’est angoissant. Par peur, on préfère souvent détourner le regard, là où il faudrait anticiper pour l’avenir. Les activistes n’ont pas forcément tort car ils nous poussent à regarder ce qu’on ne veut plus voir. Encore faut-il ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. 

Quelles répercussions ? 

Protégée par une fine vitre, la peinture de Van Gogh n’a subi aucun dégât. Ça valait bien plus de 48 millions de vues sur twitter. Sauf que si on regarde plus attentivement on s’aperçoit : 

1 : Que l’événement a donné du grain à moudre à la machinerie climatojemenfoutiste

2 : Que le grand public semble avoir très moyennement apprécié (si l’on en croit la majorité des réactions sur les réseaux sociaux). 

3 : Que même parmi les écologistes, cette action a suscité un grand débat. Le tweet d’Hugo Clément à ce sujet était assez éloquent

L’art attaqué 

Certes, ce genre d’événements ramènent les questions climatiques au centre de l’actu. Mais on peut raisonnablement penser que ce n’est pas vraiment à bon escient. Pire, le symbole est désastreux. Certes, l’œuvre de Van Gogh n’a pas subi de dégât physique, certes, il n’y avait pas de mauvaise volonté (l’enfer est peuplé de bonnes intentions), pourtant, c’est sur l’art tout entier que cette soupe dégouline. Ou en tout cas sur une certaine vision de l’art. Un art qui transfigure l’idéal de beauté. 

Qu’est ce que le beau ? 

Peut-on vraiment distinguer les belles œuvres ? Mouillons nous un peu. Oui le beau existe, oui l’art devrait toujours poursuivre l’idéal de beauté, non, tout n’est pas une affaire “de goûts et de couleurs”.  Dans la Critique de la faculté de juger, Emmanuel Kant nous donne à penser que que la beauté est une satisfaction désintéressée : “est beau ce qui plaît universellement et sans concept”. Certes, la beauté est d’abord vécue dans l’expérience subjective, pourtant, tout se passe comme si ce que l’on trouve beau a une valeur universelle. C’est ce que Kant appelle l’universalité subjective. L’attrait pour les choses belles : voilà le bon goût. Sans pour autant être musicien, indistinctement de notre classe sociale, nous entendons les fausses notes, comme si nous avions déjà en nous le sens d’une harmonie préétablie.  Pour déployer cette intuition esthétique en nous, il ne manque plus que l’éducation aux belles choses. 

La beauté perdue 

Loin de vouloir classer tout ce qui est beau de tout ce qui est laid (d’autres le feraient mieux que nous), je pense que l’idéal de beauté marche de concert avec l’écologie. Blocs de béton, maisons préfabriquées, haies arrachées : les dégâts sont tout autant environnementaux que paysagers. Nous avons partiellement renoncé à la beauté. Le philosophe Jean Baudrillard porte une analyse assez intéressante à ce sujet : chassé d’un art toujours plus conceptuel, l’esthétisme s’est réfugié dans les objets de consommation : Publicité, design, mode… Le numérique est alors un allié tout trouvé : là s’y bâtissent des mondes virtuels souvent époustouflants. A coup de bombardements d’images éphémères, les réseaux sociaux se taillent aussi une part de lion. 

Retrouver la beauté de notre monde 

Si le numérique n’apportait que des malheurs, il y a bien longtemps que nous aurions quitté les réseaux sociaux. Toutefois, il est grand temps de reprendre prise sur un monde physique en péril. De quelle façon ? 1 : il faut agir. Mais 2, et on l’oublie trop souvent, nous devons retrouver notre capacité à nous émerveiller, à prendre conscience de la fragilité des choses. Il est grand temps de réapprendre à habiter notre monde , à y déceler les beautés qu’on voudra protéger. Et l’art en fait intégralement partie.

Conseil aux activistes 

Contempler une forêt, déambuler dans un musée, c’est, si l’on veut bien élever notre regard, accéder à une forme de transcendance. Prendre conscience de cette transcendance: c’est faire preuve d’humilité. Cette même humilité, qui nous remet au contact de la terre : le humus. N’en déplaise aux hors-sols. N’en déplaise aussi à ceux qui pensent que le bien-être matériel doit systématiquement passer avant toute préoccupation esthétique ou patrimoniale (certains s’indignaient par exemple que l’incendie de Notre Dame eût suscité un seul instant plus d’émotion que le coût de la vie en France). Oui, il y a des choses qui nous dépassent. Des choses qui nous obligent.