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Touche pas à mon art !

Ou pourquoi les activistes « écolo » se trompent de cible 

Ils ont osé 

National Gallery, Londres. Vendredi 14 octobre. Des jeunes activistes du mouvement Just stop Oil balancent de la soupe à la tomate sur les Tournesols de Van Gogh.  En mai dernier, c’était la Joconde qui se voyait entartrée. Dans un musée australien, des militants se collent la main à un Picasso. Idem en Italie, où ce sera au tour de Boticelli. Hier encore, Monet a eu le droit à son lot de purée. A la clé, une énorme visibilité à peu de frais (judiciairement ça se discute), un phénomène qui se répand à coup de mimétisme, et la bonne volonté d’interpeller sur la crise environnementale. Alors haro sur l’art ! Pourtant, ni l’art , ni l’environnement n’en sortent véritablement gagnants, peut-être parce qu’ils sont beaucoup plus liés qu’on ne le pense. 

Après tout c’est pour la bonne cause… 

Bien sûr, ces militants ont tout un tas de circonstances atténuantes. L’écologie est trop souvent balayée sous le tapis de l’économie, du court terme. Parler de changement climatique, de raréfaction des ressources hydrocarburées, d’extinction de la biodiversité, c’est angoissant. Par peur, on préfère souvent détourner le regard, là où il faudrait anticiper pour l’avenir. Les activistes n’ont pas forcément tort car ils nous poussent à regarder ce qu’on ne veut plus voir. Encore faut-il ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. 

Quelles répercussions ? 

Protégée par une fine vitre, la peinture de Van Gogh n’a subi aucun dégât. Ça valait bien plus de 48 millions de vues sur twitter. Sauf que si on regarde plus attentivement on s’aperçoit : 

1 : Que l’événement a donné du grain à moudre à la machinerie climatojemenfoutiste

2 : Que le grand public semble avoir très moyennement apprécié (si l’on en croit la majorité des réactions sur les réseaux sociaux). 

3 : Que même parmi les écologistes, cette action a suscité un grand débat. Le tweet d’Hugo Clément à ce sujet était assez éloquent

L’art attaqué 

Certes, ce genre d’événements ramènent les questions climatiques au centre de l’actu. Mais on peut raisonnablement penser que ce n’est pas vraiment à bon escient. Pire, le symbole est désastreux. Certes, l’œuvre de Van Gogh n’a pas subi de dégât physique, certes, il n’y avait pas de mauvaise volonté (l’enfer est peuplé de bonnes intentions), pourtant, c’est sur l’art tout entier que cette soupe dégouline. Ou en tout cas sur une certaine vision de l’art. Un art qui transfigure l’idéal de beauté. 

Qu’est ce que le beau ? 

Peut-on vraiment distinguer les belles œuvres ? Mouillons nous un peu. Oui le beau existe, oui l’art devrait toujours poursuivre l’idéal de beauté, non, tout n’est pas une affaire “de goûts et de couleurs”.  Dans la Critique de la faculté de juger, Emmanuel Kant nous donne à penser que que la beauté est une satisfaction désintéressée : “est beau ce qui plaît universellement et sans concept”. Certes, la beauté est d’abord vécue dans l’expérience subjective, pourtant, tout se passe comme si ce que l’on trouve beau a une valeur universelle. C’est ce que Kant appelle l’universalité subjective. L’attrait pour les choses belles : voilà le bon goût. Sans pour autant être musicien, indistinctement de notre classe sociale, nous entendons les fausses notes, comme si nous avions déjà en nous le sens d’une harmonie préétablie.  Pour déployer cette intuition esthétique en nous, il ne manque plus que l’éducation aux belles choses. 

La beauté perdue 

Loin de vouloir classer tout ce qui est beau de tout ce qui est laid (d’autres le feraient mieux que nous), je pense que l’idéal de beauté marche de concert avec l’écologie. Blocs de béton, maisons préfabriquées, haies arrachées : les dégâts sont tout autant environnementaux que paysagers. Nous avons partiellement renoncé à la beauté. Le philosophe Jean Baudrillard porte une analyse assez intéressante à ce sujet : chassé d’un art toujours plus conceptuel, l’esthétisme s’est réfugié dans les objets de consommation : Publicité, design, mode… Le numérique est alors un allié tout trouvé : là s’y bâtissent des mondes virtuels souvent époustouflants. A coup de bombardements d’images éphémères, les réseaux sociaux se taillent aussi une part de lion. 

Retrouver la beauté de notre monde 

Si le numérique n’apportait que des malheurs, il y a bien longtemps que nous aurions quitté les réseaux sociaux. Toutefois, il est grand temps de reprendre prise sur un monde physique en péril. De quelle façon ? 1 : il faut agir. Mais 2, et on l’oublie trop souvent, nous devons retrouver notre capacité à nous émerveiller, à prendre conscience de la fragilité des choses. Il est grand temps de réapprendre à habiter notre monde , à y déceler les beautés qu’on voudra protéger. Et l’art en fait intégralement partie.

Conseil aux activistes 

Contempler une forêt, déambuler dans un musée, c’est, si l’on veut bien élever notre regard, accéder à une forme de transcendance. Prendre conscience de cette transcendance: c’est faire preuve d’humilité. Cette même humilité, qui nous remet au contact de la terre : le humus. N’en déplaise aux hors-sols. N’en déplaise aussi à ceux qui pensent que le bien-être matériel doit systématiquement passer avant toute préoccupation esthétique ou patrimoniale (certains s’indignaient par exemple que l’incendie de Notre Dame eût suscité un seul instant plus d’émotion que le coût de la vie en France). Oui, il y a des choses qui nous dépassent. Des choses qui nous obligent. 

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