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Sortie de l’Union Européenne du traité sur la Charte de l’énergie

C’est une petite victoire qui a été offerte à l’environnement le mercredi 24 avril. En effet, les eurodéputés ont approuvé le retrait coordonné de l’Union européenne du traité international sur la charte de l’énergie (TCE), un traité dont la France n’était déjà plus membre depuis le 8 décembre 2023.

Mais c’est quoi le TCE ?

Le TCE est un accord international signé en 1994 et qui vise à promouvoir la coopération entre pays, protéger les investissements dans le domaine de l’énergie, mais qui vise également à régler les différends. Initialement, il devait donc permettre une coopération énergétique facilitée entre les pays d’Europe de l’Est et d’ex-URSS. Avant le vote du 24 avril, ce traité réunissait l’UE et 50 autres Etats.

Mais ce qui est le plus important concernant ce traité et qui a poussé ce retrait de l’UE, ce sont ses nombreuses dispositions permettant la protection des investissements et les mesures de règlement des contentieux qui permettent par exemple à des entreprises s’estimant lésées d’obtenir un règlement devant un tribunal international privé. Cela permet donc de protéger les investisseurs en cas de changement législatif concernant l’énergie. 

Le début des problèmes…

Eh bien oui, en accordant une protection juridique aux industriels de l’énergie fossile, cela leur permet de réclamer toute sorte de dédommagements financiers face à des Etats qui auraient eu la terrible audace de s’adonner à des politiques en faveur du climat et de l’environnement qui contraignent donc de facto ces entreprises fossiles. Cet outil est même tellement puissant qu’il suffit parfois aux entreprises de menacer d’employer le recours à l’arbitrage international pour faire plier les gouvernements. La chercheuse Yamina Saheb qui a travaillé pour le secrétariat du traité a dénoncé l’impact négatif de celui-ci sur la marge de manoeuvre des Etats dans leur action en faveur de l’environnement : « Si vous changez une virgule dans une loi, et que cela peut affecter un investisseur dans l’énergie, l’entreprise privée peut réclamer des milliards de l’Etat. Or la décarbonation oblige à changer beaucoup de textes. »

Les Etats ayant un semblant d’ambition en faveur du climat sont donc limités par les entreprises privées qui peuvent réclamer des milliards s’ils estiment qu’une politique publique pourra affecter leur rentabilité. 

Plusieurs exemples d’abus :

Cette clause d’arbitrage du traité a donc amené à des nombreux cas absurdes de poursuites d’Etats ayant défavorisé des entreprises fossiles et en voici une liste non exhaustive :

  • Condamnation de l’Italie à verser une compensation d’environ 200 millions d’euros à la compagnie pétrolière britannique Rockhopper pour un refus de permis de forage offshore.
  • Multiples condamnations de l’Espagne qui a par exemple dû verser 290 millions à la compagnie américaine NextEra Energy ou bien 32 millions à l’entreprise Renergy
  • L’UE attaquée pour sa taxation des superprofits de l’énergie.
  • Les Pays-Bas ont été attaqués pour avoir annoncé leur sortie du charbon en 2030 par les compagnies allemandes RWE et Uniper. Malgré l’arrêt des poursuites, la procédure judiciaire a coûté plus de 5 millions de frais d’arbitrage selon l’ONG Somo.
  • L’affaire Ioukos avec la Russie condamnée à verser 50 milliards même si la décision de justice a finalement été annulée en 2021 par un tribunal néerlandais.
  • La France poursuivie pour la première fois dans le cadre du TCE par Encavis AG ou bien les pressions de la part du pétrolier Canadien Vermilion lors de l’élaboration de la loi Hulot sur la fin de l’exploitation des hydrocarbures en France qui ont débouché sur une loi moins ambitieuse.

L’ensemble de ces exemples montrent à quel point le TCE n’était absolument pas en accord avec notre temps concernant les engagements internationaux climatiques en favorisant les intérêts privés dans le domaine fossile au travers d’un abus délibéré de la clause d’arbitrage. Le TCE est par ailleurs l’accord sur le commerce et l’investissement qui aurait déclenché le plus de poursuites entre les Etats et les investisseurs devant un tribunal d’arbitrage avec plus de 150 plaintes au titre du traité, touchant majoritairement les Etats d’Europe occidentale concernés dans 98 de ces plaintes.

Les tentatives de réforme

C’est donc pour l’ensemble de ces raisons que les Etats ont cherché à réformer ce traité à partir de 2017 en tentant par exemple d’ajouter l’exclusion de la protection des investissements dans les énergies fossiles sur les territoires des parties contractantes qui le souhaitent ou la réaffirmation du droit des États signataires à mettre en place des mesures législatives selon leurs objectifs de politiques publiques. Mais ces négociations terminées en 2022 n’ont pas abouti à quelque chose de véritablement intéressant pour justifier un non retrait du traité.

Un rapport du Haut Conseil sur le climat (HCC) qui est un organisme indépendant placé auprès du Premier ministre avait par ailleurs souligné le fait que « le TCE, y compris dans une forme modernisée, n’est pas compatible avec le rythme de décarbonation du secteur de l’énergie et l’intensité des efforts de réduction d’émissions nécessaires pour le secteur à l’horizon 2030 » et a ajouté que les risques de contentieux permis par le mécanisme de règlement des différends du TCE ne pouvaient que entraver les Etats cherchant à mettre en place des politiques de décarbonation.

Pour en finir avec le TCE

C’est donc une excellente nouvelle de voir un retrait groupé de l’UE de ce traité liberticide et favorisant les intérêts des entreprises fossiles.

Mais tout n’est pas encore gagné car l’article 47-3 du TCE prévoit une «clause de survie» qui permet de continuer la protection des investissements fossiles 20 ans après le retrait d’un pays signataire, il va donc falloir encore attendre encore un peu pour être libérés des menaces des industriels du fossile, l’Italie ayant justement été condamnée alors qu’elle avait quitté le traité plusieurs années auparavant. Cependant, le député européen Renew Christophe Grudler affirme que cette sortie du traité peut contribuer à dissuader les poursuites au sein de l’UE, à voir… 

En tout cas, ce mouvement est à imiter sur d’autres traités aux conséquences tragiques avec par exemple le CETA au hasard  ; )