De simples pierres grisâtres en apparence sans intérêt font pourtant parler d’elles depuis plusieurs semaines. Et pour cause, suite à son coup d’État de 2024, Niamey a stoppé la vente de ce minerai indispensable à la production d’électricité de l’hexagone. Alors, catastrophe nationale ou faux problème ? Remettons la centrale au milieu du village !
Voilà de quoi donner du grain à moudre aux sceptiques de l’atome. Orano, le spécialiste français de l’uranium, annonce que les autorités nigériennes ont « pris le contrôle opérationnel » de sa filiale locale, exploitant le gisement de l’Aïr. Jusqu’alors, la société détenait 2 tiers des parts de l’exploitation, le reste appartenant à l’État Nigérien. Ce pays d’Afrique de l’Ouest fournissait environ 20% du minerai d’uranium à la France.
Mais est-ce si terrible que cela en a l’air ? Et quels sont les autres défis du nucléaire français ?
La France produit plus des trois quarts de son électricité grâce au nucléaire. Hormis un important savoir-faire, une main d’œuvre qualifiée et une industrie de pointe, la France a également besoin de minerai d’uranium pour faire fonctionner ses centrales. Pour être plus précis, il faut de l’Uranium enrichi entre 3 et 5%, matériau que l’on obtient après un processus complexe et élaboré. L’uranium est assez abondant sur terre, sous forme de minerai, et ne sert à rien d’autre qu’au nucléaire. Ainsi son prix est assez stable et relativement peu élevé (environ 90$ pour une tonne), d’autant plus que son extraction n’est pas très compliquée. Ainsi le (pas si) précieux minerai ne représente que 5% environ du coût de l’électricité nucléaire – hors taxes. Pour donner une comparaison, le gaz représente plus de trois quarts du prix final de l’électricité produite grâce à celui-ci. Un doublement du prix du minerai d’uranium n’aurait donc que peu d’incidence sur le prix de l’électricité nucléaire. On ne peut pas en dire autant du gaz et d’autres hydrocarbures.
Un approvisionnement multiple
Cependant, l’uranium n’étant pas présent en France, nous sommes obligés d’importer du minerai brut qui sera ensuite traité localement. Pendant plusieurs décennies, le Niger a joué un rôle non négligeable dans l’approvisionnement de la France en uranium (environ 20%). Ce pays abrite 6,7% des réserves mondiales, quand l’Australie en compte 30%, la Russie 10% et le Canada 9%.
En 2023, à la suite d’un coup d’État militaire au Niger, les nouvelles autorités ont remis en question plusieurs accords avec la France, marquant une rupture dans les relations bilatérales. L’approvisionnement en uranium a été suspendu le 31 Octobre, d’après Orano. Jusque-là 7 000 tonnes de minerai d’uranium par an étaient achetés au Niger. Soit environ 220 camions.
Face à cette ‘’crise’’, la France a sécurisé ses approvisionnements. D’autres pays, comme le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Canada, jouent un rôle croissant dans son exportation d’uranium. En 2021, le Kazakhstan fournissait déjà près de 30 % de l’uranium consommé en France, suivi du Canada (23 %) et de l’Ouzbékistan (19 %). Ces pays, en vendant du minerai à la France, deviennent des partenaires stratégiques pour garantir la continuité des activités nucléaires nationales. La fin des importations du minerai nigérien n’aura donc pas d’incidences capitales sur l’avenir du nucléaire français. Cependant, on est à même de s’interroger sur les défis majeurs de ce secteur.
Un nouvel engouement
On observe depuis quelques années un regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire, notamment après le fiasco de la politique nucléaire de l’Allemagne. Ce mode de production d’électricité possède en effet de nombreux avantages. Il est bas carbone et ne demande que peu de réacteurs, seulement 56 pour produire 70% de l’électricité française. Pour comparaison, il faudrait des dizaines de milliers d’éoliennes et un vent constant pour arriver au même résultat. De plus, il n’est pas intermittent : contrairement aux énergies solaire et éolienne qui dépendent de nombreuses conditions, une centrale nucléaire peut être utilisée à n’importe quel moment à sa puissance maximale. Enfin, on ne compte que 2 accidents nucléaires majeurs dans l’histoire, contre des dizaines dans les centrales à hydrocarbures et les barrages. Les règles de sécurité drastiques (et indispensables) de la France à ce sujet permettent une minimisation et un traitement optimal des déchets – seulement quelques tonnes par an, et des risques d’accident extrêmement faibles.
Des défis pour le nucléaire de demain
Toutefois, le nucléaire, qui pour rappel n’émet aucun CO² à l’exploitation, fait face à une main d’œuvre encore trop peu nombreuse pour des centrales vieillissantes. Les EPR (European Pressurized Reactor) dernières générations de réacteurs nucléaires, plus fiables et plus efficaces présentent des retards de construction, notamment à cause de ce manque de travailleurs – qui doivent être très qualifiés, les techniciens comme les ingénieurs.
Cette filière a été négligée voire dénigrée pendant des années, et on fait aujourd’hui face à des défis majeurs pour maintenir élevée la part du nucléaire dans le mix énergétique national. L’importance du nucléaire va aller en augmentant, notamment car il garantit l’indépendance énergétique du pays tout en fournissant une électricité bas carbone. Et ce n’est pas la part croissante des véhicules électriques dans le mix automobile qui fera évoluer la tendance à la baisse.
Enfin, une partie des 56 réacteurs présents sur l’ensemble du territoire a été construite il y a plusieurs décennies, et demande une modernisation.
L’urgence est donc plus dans la rénovation des infrastructures et la formation de la main d’œuvre que dans l’approvisionnement en matière première (le minerai) qui n’est ni rare ni chère.