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L’effet rebond, cette autre faiblesse de la pensée cornucopienne

L’effet rebond est un phénomène encore trop méconnu alors qu’il est essentiel pour bien comprendre les innovations qui agitent le monde économique. Gare aux fausses promesses, votre impact environnemental n’est pas toujours celui que vous pensez !

A l’heure où l’on nous donne l’intelligence artificielle comme la panacée à tous nos maux et où des milliardaires nous promettent la colonisation et l’exploitation des ressources d’autres planètes, il est bon de rappeler les faiblesses de la philosophie cornucopienne. La philosophie cornucopienne, c’est cette pensée qui fait abstraction de la finitude des ressources dont notre confort dépend, qui tient dans la croyance que “toutes les limites naturelles peuvent être repoussées en mobilisant une ressource ultime et inépuisable : le génie humain.” (Les cornucopiens sont parmi nous ! Mais qui sont-ils ?)

L’effet rebond est un phénomène crucial pour comprendre les limites de ces solutions technologiques face aux défis environnementaux. Il peut être défini comme le « fait que certains gains environnementaux dus à une gestion des ressources plus efficace ou à des évolutions techniques sont sensiblement diminués ou annulés par une augmentation de la consommation ou une modification des usages » (Effet de rebond | FranceTerme | Culture). Lorsque ces gains sont entièrement annulés, voire dépassés. On parle alors de paradoxe de Jevons, du nom de l’économiste britannique William Stanley Jevons, qui a observé dès le XIXᵉ siècle que l’augmentation de l’efficacité énergétique des machines à vapeur augmentait paradoxalement la consommation totale de charbon, du fait de leur utilisation plus répandue.

L’effet rebond à l’échelle microéconomique

Un exemple vaut mieux que mille mots : 

Disons que Jean troque son vieux radiateur contre un radiateur dernier cri, qui consomme 4 fois moins d’énergie sur une même durée. Ce gain d’efficacité lui permettrait, en théorie, de diviser par quatre son impact énergétique. Cependant, en raison de la faible consommation de son nouveau radiateur, Jean se permet de l’utiliser deux fois plus longtemps, divisant ainsi par deux le gain initial. Au lieu de réduire sa consommation de 75 %, Jean ne la réduit alors que de 50 %.

L’effet rebond peut également se manifester de manière indirecte. Si Jean maintient la même durée d’utilisation, il économise de l’argent sur sa facture d’électricité. Mais il pourrait alors utiliser cet argent pour un achat qui génère lui-même des émissions de carbone, comme un billet d’avion pour des vacances à l’étranger. Ainsi, même si l’efficacité énergétique de son radiateur est un progrès, l’impact environnemental final pourrait être inchangé, voire augmenté.

Une dynamique à l’échelle macroéconomique

L’effet rebond s’observe également à plus grande échelle, en raison de mécanismes économiques complexes. En réduisant la demande d’une ressource, les gains d’efficacité peuvent contribuer à faire baisser son prix, rendant son utilisation plus abordable pour d’autres industries ou activités. Par exemple, si l’électricité devient moins chère grâce à une efficacité accrue dans sa production ou son transport, cela pourrait stimuler la croissance d’industries énergivores qui, à leur tour, augmenteront la demande globale en énergie. Cette boucle peut contrebalancer, voire annuler les gains environnementaux initiaux.

De plus, les économies générées par ces gains d’efficacité peuvent alimenter la croissance économique. Bien que la croissance puisse améliorer la qualité de vie, elle est souvent associée à une augmentation de la consommation de ressources naturelles, de la production de déchets et des émissions de carbone. Ainsi, si l’objectif des économies d’énergie et des innovations technologiques est de lutter contre le changement climatique, l’effet rebond nous rappelle que la sobriété – ou la réduction volontaire de la consommation – reste l’approche la plus sûre et efficace pour diminuer véritablement les émissions de carbone.

L’exemple des véhicules particuliers : un effet rebond dans les transports

Les voitures thermiques ont connu de nombreuses optimisations : si ces gains d’efficacité devraient faire reculer les émissions de gaz à effet de serre, dans les faits ces émissions restent stables. Cela s’explique en partie par la tendance pour les voitures hautes, portée par le succès des SUV, et par l’augmentation du nombre de voitures en circulation. Pourtant, cette dernière est décorrélée de l’augmentation de la population adulte, le parc automobile ayant crû deux fois plus vite que la population adulte entre 2012 et 2022. 

tesla modele y

L’essor des véhicules électriques pourrait bien aussi être synonyme d’un certain effet rebond. En effet, en raison de leur réputation de véhicules « propres » ou « plus écologiques », de nombreux consommateurs se tournent vers des modèles plus lourds et plus puissants, comme les SUV électriques. En février 2024, 40 % des véhicules électriques immatriculés en France étaient des SUV, et la moitié d’entre eux avaient une masse avoisinant les deux tonnes. Or, plus le véhicule est lourd, plus il consomme d’énergie, même si elle est d’origine électrique, ce qui limite considérablement les gains environnementaux escomptés.

Cela signifie que la tendance n’est pas à la sobriété : les français achètent des voitures plus grosses et en plus grande quantité qu’auparavant.

schéma comment réduire les émissions liées au transport
Schéma issu du rapport "« Guide pour une mobilité quotidienne bas carbone » : Le rapport du Shift pour les collectivités"

Croissance verte ou sobriété ?

L’effet rebond soulève la question de la croissance verte et de sa faisabilité. Si l’on entend par « croissance verte » la possibilité de découpler croissance économique et impacts environnementaux, cette vision reste à prouver. Une étude récente souligne que « si la [croissance] verte signifie atteindre les objectifs des accords de Paris, les pays les plus riches n’ont pas encore réussi à la mettre en œuvre, et il est très peu probable qu’ils y parviennent à l’avenir ».

Dans sa thèse dont il a sorti le livre Ralentir ou périr, l’économiste Timothée Parrique s’est attelé à démontrer l’impossibilité de cette croissance verte, collant un peu plus l’étiquette “pollution” au mot “croissance”. Il explique qu’à travers l’histoire, un découplage entre la croissance du PIB et la pression environnementale, c’est-à-dire une croissance verte, n’a jamais eu lieu. Plus encore, ce découplage serait “improbable”, et ce notamment à cause de l’effet rebond.

En France, différentes sources convergent vers 60% d’effet rebond, contre 70 à 80% pour l’Europe des 27. Cela signifie que 60% des gains environnementaux escomptés n’auraient en réalité pas lieu, du fait des comportements individuels et collectifs.

Une approche équilibrée pour minimiser l’effet rebond

Au-delà de la lutte contre le changement climatique, les gains d’efficacité énergétique restent néanmoins avantageux sur d’autres aspects. Ils jouent un rôle majeur dans les économies nationales en réduisant la dépendance aux importations d’énergie, et améliorent la santé publique en diminuant la pollution de l’air. Par ailleurs, ils permettent des économies substantielles pour les ménages et les entreprises, contribuant à une meilleure résilience économique. Les États peuvent également en bénéficier sur le plan budgétaire, en réduisant les dépenses consacrées à la santé et aux infrastructures énergétiques. Cependant, tant que les économies réalisées servent à financer d’autres consommations, leur impact global sur l’environnement reste complexe à estimer.

Vous l’aurez compris, l’effet rebond met en lumière certaines limites de la seule amélioration technologique pour répondre aux enjeux environnementaux. Nous nous sommes habitués à ne voir qu’au travers de l’amélioration de notre confort de vie, alors que les modes de vie européens sont clairement incompatibles avec les limites planétaires, et certaines de ces limites sont franchies à la seule échelle européenne

Les solutions techniques sont nécessaires, mais pour éviter l’annulation des gains environnementaux, il est essentiel de combiner efficacité et sobriété, en encourageant des modes de vie et des comportements de consommation plus responsables. C’est en adoptant une approche équilibrée que nous pourrons progresser vers un avenir véritablement durable.

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