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Le phénomène JMJ

Un phénomène médiatique

On ne le présente plus, Jean-Marc Jancovici (JMJ) est une des personnalités scientifiques les plus célèbres de l’hexagone. Reconnu pour son rôle majeur dans la sensibilisation aux enjeux climatiques, il a su éveiller l’intérêt de milliers de personnes, dont le nôtre chez Ecolucide. Il est aussi très célèbre pour ses exemples parlants, sa sagacité et sa rhétorique cinglante. Son influence est indéniable, tant par son engagement dans diverses institutions telles que le Haut Conseil pour le climat et Mines ParisTech, que par la création de sa société Carbone4, du think tank The Shift Project et, plus récemment, par le succès de sa bande dessinée best-seller “Le Monde sans fin”.

Thèses controversées

Seulement, il n’est pas rare de voir JMJ présenter certains énoncés comme des vérités établies, les utilisant comme fondements pour ses démonstrations, bien que ces points ne fassent pas consensus parmi les scientifiques. Nous verrons dans un instant de quoi il s’agit. Je pense qu’il est important de mettre en exergue ces questions, afin de donner la parole à d’autres spécialistes qui ne bénéficient pas forcément de la même aura médiatique ou des mêmes talents d’orateurs que JMJ, c’est ce que cet article s’efforce humblement de faire.

L’énergie comme déterminant de l’histoire des sociétés humaines

Affirmer que c’est « l’énergie » ou la disponibilité en énergie qui détermine les comportements sociétaux est une avancée audacieuse par rapport aux connaissances scientifiques actuelles. Selon les travaux académiques de Giraud et Kahraman [1], il y aurait bien une causalité entre l’énergie et la croissance, mais cela ne permet pas de dire que c’est l’énergie qui détermine les comportements sociétaux. En amont de la consommation d’énergie, il y a des choix humains et sociaux de vouloir augmenter son capital, faire croître des entreprises, développer des activités, etc.

Dans le prisme énergétique, ces choix sont ignorés, alors que c’est la donnée principale du problème. Les ressources étaient déjà là, il y a quelques siècles, mais on ne les exploitait pas de manière exponentielle comme on le fait depuis la Révolution industrielle. Il en va de même pour la croissance de l’utilisation de la voiture qui avait une forte composante sociale. La réponse n’est pas simplement technique. Le prisme énergétique comme seule grille de lecture ne permet pas d’expliquer l’évolution des sociétés.

 La question du pic de pétrole

JMJ soutient la thèse selon laquelle le pic pétrolier (conventionnel et non-conventionnel) surviendra à court terme (« quelque part entre 2018 et 2022 »). Cependant, cette thèse est loin de faire l’unanimité parmi les spécialistes internationaux, même si certains la trouvent convaincante. Une première estimation suggère que nous devrions atteindre un plateau d’extraction, toutes techniques confondues, dans la deuxième moitié de la décennie 2020. Une seconde estime que les réserves accessibles sont suffisamment importantes pour que nous puissions continuer à augmenter la production (et détruire le climat) jusqu’en 2060.

Il convient toutefois de mentionner un article du Shift Project [2] qui, sous l’angle de la finance, fait l’effort d’argumenter en faveur de l’existence probable de ce pic. Cependant, il n’y a pas de consensus scientifique sur la question. Il est également important de noter que le Shift Project, en tant que think tank, n’est pas soumis au processus de peer review, ce qui peut remettre en question la légitimité de certaines de ses publications.

L’éternelle controverse du nucléaire et des énergies renouvelables

Bien que JMJ soit souvent considéré comme pro-nucléaire, sa position est plus nuancée et il considère le nucléaire comme un outil de transition pour amortir le choc de la décroissance. Il affirme que les énergies renouvelables seules ne peuvent amortir la crise climatique. Pour autant, on ne peut pas nier non plus l’existence d’un débat – que balayent pourtant d’un revers de la main nombre de « jancovicistes », convaincus d’avoir accédé à la vérité ultime qui viendrait clore le débat.

En 2020, une étude du CIRED a relancé le débat sur la possibilité d’atteindre 100% d’électricité renouvelable en France d’ici 2050 [3]. L’étude montre qu’il est possible d’atteindre cet objectif pour un coût égal ou inférieur au coût actuel, même en prenant en compte les incertitudes liées aux conditions météorologiques et aux coûts des technologies émergentes. Les résultats ont suscité de vives réactions, en particulier de la part des partisans de JMJ, alors même que cette publication académique offre une méthode de simulation beaucoup plus fines que les quelques règles de trois de JMJ. L’ingénieur en énergie Emmanuel Pont s’est penché sur cette étude pour tenter un éclairage vis-à-vis de l’analyse de JMJ pour les plus curieux [4]. Il est assez évident qu’un mix énergétique est plus souhaitable que du 100% nucléaire ou du 100% renouvelables, mais cet article montre bien que JMJ a peut être une position trop affirmée sur ce sujet.

Le mot de la fin

L’influence de l’excellent vulgarisateur JMJ sur le débat public est aujourd’hui incontestable. Ces nombreux travaux et activités ont eu un impact extrêmement positif et sont passionnants. Seulement, je pense qu’il est primordial de se prémunir contre la pensée unique. Son style très péremptoire jette parfois un flou entre les arguments scientifiques qu’il avance et ses opinions personnelles moins factuelles. Attention, l’objectif de cet article n’est absolument pas de faire le procès JMJ, mais plutôt d’encourager à aller au-delà de ses idées attrayantes, qui peuvent être si convaincantes qu’elles incitent souvent à l’adhésion sans une analyse approfondie. Il convient de rappeler qu’il s’inscrit dans le sillage de centaines d’autres chercheurs et vulgarisateurs, parfois divergeant avec ses idées, qui contribuent également de manière significative à ces débats et qui méritent que l’on écoute attentivement ce qu’ils ont à dire.

Un article largement inspiré de l’excellent article de signaux faible https://signauxfaibles.co/partie-3-jancovici-le-revers-de-la-medaille/

[1]https://www.parisschoolofeconomics.eu/IMG/pdf/article-pse-medde-juin2014-giraud-kahraman.pdf

[2]https://theshiftproject.org/article/pic-petrolier-mondial-et-miracle-du-petrole-de-schiste/

[3]http://www.iaee.org/en/publications/ejarticle.aspx?id=3776&fbclid=IwAR0T_zqSxufdoXRI4EE6XuqiYo9sl_wH-JroFkb2UT4YRew4nIyCi6XtFKA

[4]https://medium.com/enquetes-ecosophiques/jancovici-100-renouvelable-1a820334496e

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