La peur de l’avion n’a rien d’anormal. En fait, elle serait même plutôt bénéfique pour le climat et nourrirait un rejet idéologiquement construit de l’aviation du XXIème siècle.
« Tu sais, la peur de l’avion ça se soigne » me répète-t-on souvent quand j’explique que j’en ai peur. Les compagnies aériennes sont effectivement nombreuses à proposer des soins. Air France propose par exemple un programme d’une durée d’un mois comprenant des séances à réaliser avec un casque de réalité virtuelle. On y explique sûrement que l’avion est le moyen de transport le plus sûr, que tout est contrôlé et que finalement il n’y a pas de raison d’en avoir peur.
Mais malgré cet élan à rassurer les voyageurs, je n’ai jamais pensé à me séparer de cette peur. Bien loin d’être le fruit d’un traumatisme, cette peur, je la porte avec assurance parce que je la crois tout à fait saine d’un point de vue philosophique et écologique.
Habiter partout
Avoir peur de l’avion est devenu une anomalie au vingtième siècle chez les occidentaux. Voyager à plus de 10 000 mètres de haut pendant des heures pour se rendre à des milliers de kilomètres de là est tout à fait normal, presque naturel pour certains. Cette normalisation de l’avion s’est faite innocemment dans un contexte de fluidification du monde : les échanges sont devenus plus faciles, ce qui a éloigné nos lieux de vie les uns des autres et donc renforcé le pouvoir de l’avion. Son apogée étant le Concorde qui reliait Paris à New-York en près de 3h à la fin du XXe siècle – un projet supersonique promet d’améliorer ce temps record. Le message était le suivant : peu importe où vous vivez, on trouvera un moyen de relier ces endroits le plus rapidement possible.
Ce fantasme d’un déplacement magique est aujourd’hui l’un des enjeux écologiques les plus importants en Occident, où les transports représentent une majeure partie de nos émissions de gaz à effets de serre (GES). En France, en 2020, 28,7% des émissions de GES émanait des transports. Si l’avion occupe une petite part parmi ces déplacements, il est le symbole de nos excès. L’avion est utilisé par un petit nombre de privilégiés et pollue proportionnellement beaucoup plus que tous les autres modes de transport. Avoir peur de cet oiseau d’acier paraît beaucoup moins déraisonnable. Ce serait même tout à fait raisonnable.
Lucidité environnementale
En fait, je me rends compte que plus que de la peur, c’est du rejet que je ressens envers l’avion. Un rejet qui s’apparente plutôt avec le terme suédois flygskam, qui signifie la honte de prendre l’avion en raison du réchauffement climatique. Certains diront certainement que cette honte est le résultat des messages culpabilisateurs des écologistes, mais je leur répondrais qu’elle est plutôt le fruit d’une lucidité environnementale. D’ailleurs, le terme émerge de Suède, là où seulement 2% des citoyens sont climatosceptiques.
Continuer de prendre l’avion aveuglement tel un bienheureux, voilà le vrai souci. En avoir honte est la première étape vers une réelle prise de conscience écologique. Du moins, il faudrait admettre que l’avion est un moyen de transport qui pose de nombreux problèmes. Mais voilà : l’avion est puissant et il est difficile de s’en défaire. Que dire à ceux dont la famille et les amis sont éparpillés aux quatre coins du globe ? Nos relations sont imbriquées dans ce modèle polluant. Nos proches sont loin et il ne nous reste parfois que le voyage par le ciel pour les voir.
Du reste, l’avion concerne surtout une minorité de privilégiés. Porter un coup à l’avion c’est alors porter un coup à un microcosme vicieux, et non à toute la société française comme on aimerait parfois nous le faire croire.