Sous le silence assourdissant de la plupart des médias, l’Inde est en train de suffoquer. Avec plus de 40°C parsemant son territoire ainsi que celui de son voisin pakistanais, cet épisode de chaleur extrême additionné à un important déficit pluviométrique nous apparait comme un avertissement. Telle une entrevue du futur de l’humanité. Les experts sont clairs : les évènements climatiques extrêmes vont augmenter en cadence ainsi qu’en intensité, au grand dam des populations les plus pauvres.
5 à 7°C au dessus des normes
Alors que l’Inde est concernée par le phénomène de La Niña, (mise en place d’une anomalie froide de température), elle présente tout de même des records de températures pour le mois de mars (33,1°C). Mais depuis quelques jours, ce sont d’autres chiffres qui attirent notre attention : 43°C, 45°C …soit plus de 5 à 7°C au-dessus des normales de saison. La région est devenue une véritable fournaise, contribuant à embraser les montagnes de déchets parfois hauts d’une centaine de mètres jonchant allégrement les rues des grandes villes. Des fumées toxiques et nauséabondes s’élèvent alors, se dirigeant vers les habitats environnants.
Une chaleur inégalitaire
Ces hausses de température concernent plus d’un milliard de personnes, mais ne les impactent pas de la même façon, évidemment. En outre, les ouvriers continuent de travailler sur les chantiers de construction. « Je suis payé au jour le jour, si j’arrête, je ne suis pas indemnisé », explique au Monde un maçon, sans se plaindre. Les habitants les plus pauvres paient de leur santé voire de leur vie des conséquences maintenant clairement instituées comme anthropiques.
Ces évènements de chaleur ne sont pourtant pas rares dans la région : « Il fait tellement chaud, c’est intenable. Normalement, en mars-avril, il fait doux, c’est le printemps, ce sont les mois de mai-juin-juillet qui sont très chauds. Là, il fait déjà très lourd. », expliquait une habitante de New Dehli. « C’est la première fois que je vois une telle chaleur en avril », témoignait une autre à France Info.
Près d’un quart des récoltes perdues
Loin de s’arrêter à quelques gouttes de sueur, cette canicule est meurtrière. Depuis 2010, l’AFP a décompté plus de 6 500 morts en Inde. Au-delà des pertes humaines – que l’on peut comparer à celles de la canicule de 2003 qui avait causé près de 20 000 morts en France -, cet épisode de chaleur cause bien des maux aux secteurs agricole et énergétique.
En outre, les autorités indiennes estiment que 20 à 25% des principales récoltes auraient été perdues. L’Inde pensait pouvoir exporter du blé afin de pallier le manque de production que conduit l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le climat exceptionnel a vite brisé ce rêve, mettant davantage en danger les besoins de sa propre population.
Un cercle vicieux
Aussi, la situation a créé une augmentation conséquente des besoins énergétiques indiens, faisant augmenter ces derniers jusqu’au pic encore jamais atteint de 201 066 gigawatts. Le mix énergétique de l’Inde étant composé à 75% d’énergies fossiles, (dont + de 40% de charbon), ces chaleurs extrêmes créent un cercle vicieux : plus on utilise de l’énergie, plus on devra en utiliser dans le futur. Les distributeurs d’énergie ont déjà coupé l’électricité dans plusieurs millions de foyers au Pakistan et en Inde. Et pour cause : les centrales à charbon manquent de carburant.
Un exemple criant
La situation actuelle est un exemple criant de la gravité des changements climatiques qui nous attendent. A cause du principe d’inertie climatique, nous sommes en partie impuissants face à la probabilité de voir ces phénomènes, aujourd’hui encore plutôt rares, se multiplier. Si des épisodes de chaleur que l’Inde se manifestaient tous les 50 ans, ils devraient désormais apparaitre tous les 4 ans selon Mariam Zachariah, chercheuse au Grantham Institute de l’Imperial College de Londres.
L’Inde devrait connaitre un mois de mai pire encore, qu’en sera-t-il de ses 1,3 milliard d’habitants ? Comment vont-ils gérer cette crise multiforme ?
Selon de nombreux spécialistes, de plus en plus d’habitants migrent pour fuir cet enfer, et cela va continuer. Pour Fabio D’Andrea, chercheur au CNRS au laboratoire de météorologie dynamique de l’Ecole normale supérieure à Paris, « le changement climatique, qui nous porte vers des températures encore plus élevées, pourrait rendre ces régions complètement inhabitables. » L’Europe aura-t-elle son rôle à jouer notamment dans l’accueil de migrants climatiques se faisant ainsi de plus en plus nombreux ?