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Guerre Russie-Ukraine : comment le mix énergétique européen est remis en question

C’est le sujet qui fait sien les unes de tous les journaux : la Russie est en train d’envahir l’Ukraine. Relevant d’un contexte historique et culturel complexe et non pas de nos domaines de prédilection, nous ne nous intéresserons pas ici à la légitimité ou non de l’une ou l’autre des parties.

Suite à l’annonce de l’offensive militaire russe, le soutien de l’Union Européenne à l’encontre de l’Ukraine fut général et inconditionnel. L’UE ne s’arrêta pas là et commença alors à attaquer la Russie par des sanctions économiques. Cependant, la Russie n’est pas dépourvue de défense. Comme l’expliquait le politologue Bertrand Badie à l’Obs le 23 février, « avec la mondialisation, les sanctions économiques pèsent presque autant sur celui qui les impose ». En effet, les sanctions à l’encontre de la Russie pourraient s’apparenter à une grève de la faim qui n’aura peut-être pas les effets escomptés…

La dépendance européenne

En outre, les pressions économiques, et notamment sur le secteur énergétique, pourraient très bien se retourner contre l’Europe au vu de la très forte dépendance de cette dernière envers le gaz naturel russe. En 2020, la Russie fournissait plus de 40% du total des importations de gaz naturel de l’UE. Ce chiffre s’élève à 66% pour notre voisin allemand. Pourtant, c’est bien ce dernier qui, mercredi 23 février, a suspendu la procédure de certification de Nord Stream 2, le tout nouveau gazoduc devant conduire le gaz naturel russe vers l’Allemagne, très dépendante de par son abandon du nucléaire (ils ne lisent donc pas Ecolucide…) et sa moindre utilisation du charbon, jugé trop polluant par les verts allemands. (Maj : l’Allemagne déjà annoncé avoir débloqué un fond exceptionnel de 1,5 milliard d’euros qui devra servir à l’assurer en énergie par le biais provisoire de gaz naturel liquéfié (GNL). Reste à savoir avec qui elle commercera)

Néanmoins, d’autres pays sont encore plus énergétiquement dépendants du gaz russe :

Toujours est-il que, si la Russie et l’UE n’ont pas encore clairement instauré de mesures, on assiste en Europe depuis une semaine, à une augmentation de 50% du prix du gaz.

Prenons l’exemple de la France. L’on observe qu’elle a relativement su se passer d’importations russes (17% des importations) afin de se concentrer davantage chez les norvégiens (environ 36%). Selon le commissariat général au développement durable, le gaz servirait en grande partie au chauffage (60% en 2011). Et si le chauffage au gaz est la prochaine cible à abattre, il reste 21% des maisons neuves et 75% des logements collectifs neufs qui en sont équipés. Ainsi, une partie non négligeable des Français pourrait être impactée par la crise énergétique qui se dessine en Europe, même si Bruno Le Maire soutient que le bouclier tarifaire sur le gaz sera maintenu.

La Russie et son robinet

Cependant, il ne faut pas oublier que la France est un des pays les moins dépendants. Si l’on regarde la Macédoine du nord ou les pays Baltes (Lettonie, Lituanie et Estonie : respectivement à 100%, 93% et 93% de gaz russe parmi leurs exportations totales selon Eurostat pour l’année 2020), cela fait froid dans le dos. Et le froid, les habitants le sentiront si la Russie décide de couper le robinet.

D’où cette question qui nous taraude : l’Europe peut-elle subvenir à ses besoins de gaz sans l’une des plus grandes réserves du monde ?

La Russie est évidemment le fournisseur incontournable de l’Europe, mais elle n’est pas seule à y exporter son gaz. La Norvège (18% des importations) et l’Algérie (10%), respectivement 2ème et 3ème exportateurs, sont aussi présents. Mais pourraient-ils compenser la perte de gaz russe ? En octobre 2021, le Norvège avait déjà augmenté ses exportations de 2% vers l’UE. En Algérie, le cas est différent. Son potentiel est énorme, d’autant plus qu’on y trouve également en grande partie du gaz de schiste, ce qui la classe troisième en matière de volume des ressources en gaz de schiste à l’échelle mondiale. L’Algérie l’a bien compris et alors signé des accords avec des entreprises telles que TotalEnergies (à l’époque, simplement Total) et Exxon Mobil. Néanmoins, le gaz de schiste est très polluant, et en Algérie, son exploitation n’a jamais débuté du fait de fortes protestations populaires de 2015 à 2019, date à laquelle le projet semble avoir été définitivement enterré.

Ces ressources auraient pu constituer une bonne alternative face au gaz russe alors que des engagements avec l’Espagne et le Portugal bloqueraient les capacités de production du gaz naturel. A un tel point que le ministre qatari de l’Energie qualifiait de « quasiment impossible » le fait de « remplacer rapidement » les exportations russes lors du Forum des pays exportateurs du gaz de 2014. On peut néanmoins supposer que, au vu de la situation exceptionnelle, les contrats pourraient être renégociés, et des fonds, débloqués, pour augmenter la production algérienne. D’ailleurs, si l’Algérie ne produit pas de gaz de schiste, les Etats-Unis, l’Australie et le Qatar – qui a assuré ne pas être la solution – en sont d’importants, et pourraient alors boucher le vide que laisserait la Russie, ce qui serait une perte de marché importante.

Une dépendance mutuelle

Patrick Martin-Genier, spécialiste des questions européennes, expliquait mercredi 23 février sur France Info que la Russie n’a, en effet, pas intérêt à ne plus fournir l’Europe puisqu’elle dépend de sa rente énergétique (ses exportations de gaz représentent 15% de son PIB). En effet, comme l’expliquait en 2007 un rapport d’information du Sénat sur les relations UE/Russie : « la dépendance en matière énergétique est mutuelle, l’UE représentant le principal débouché des exportations d’hydrocarbures de la Russie. » La Russie peut toujours se tourner vers la Chine mais cette dernière, en position de force, serait en mesure de revoir les prix avec la Russie à la baisse… En réalité, et pour appuyer ce qui est dit plus haut, le fait que nous vivions ce système d’échanges où tous les États sont interdépendants implique un contrat avec ce dernier stipulant une sorte de respect de la dépendance. Si nous ne la respectons plus et la perturbons – ce qui se passe aujourd’hui par l’envoi de sanctions -, alors le système se retourne contre nous et nous punit tous, l’UE en lui coupant le gaz russe, et la Russie en lui privant d’une part de marché considérable. Mais la Chine, étant placé à l’extérieur de ce contrat, peut profiter de ce capotage pour en créer un nouveau, plus avantageux, mais toujours d’interdépendance.

Ainsi, toute sanction économique devrait être soigneusement réfléchie et concertée avec les autres clients européens de la Russie – ceux faisant partie de ce fa(fu?)meux contrat – du fait que tous n’apprécieraient pas cette possible crise énergétique et toutes les perturbations économiques et sociales qui en découleraient de la même façon.

Qu’en tirer ?

Nul ne sait encore précisément ce qui découlera de cette crise géopolitique, mais la simple évocation de l’épée de Damoclès suspendue en ce moment sur les importations de gaz russe met à jour la sur-dépendance européenne concernant l’énergie, notamment d’énergie fossile (Dans l’Union européenne, plus de 70 % de l’énergie disponible est d’origine fossile : pétrole (36 %), gaz (22 %) et charbon (11 %). Ce malheureux dessein nous fait alors réfléchir à ce qui cloche dans ce contrat de dépendance, pourtant si communément admis.

D’abord, le secteur de l’énergie est bien trop important, vital, qu’aucun pays ne devrait dépendre à ce point d’autres États, qui plus sont, totalement instables. Ensuite, il nous faut nous interroger sur la nécessité du gaz : pourquoi en raffolons nous ? Les réponses divergent selon les pays (nous l’avons vu avec le cas allemand), mais ce que l’on sait, c’est que le gaz n’est pas la meilleure des solutions, étant polluant.

Se dressent alors des solutions :

Nous devons alors changer notre consommation énergétique et ainsi se rapprocher d’une indépendance énergétique ou, à défaut, d’une dépendance fiable et maitrisée. Parce qu’aujourd’hui, en Europe, choisir le gaz, c’est faire le choix de la perte de son indépendance couplée à une pollution conséquente – certes moins que le charbon ou le pétrole. Le cas de l’Allemagne est particulier car sa dépendance relève du choix de son mix énergétique, supposément écologique. D’autres solutions sont possibles et la France devrait être fière et montrer les avantages d’avoir gardé ses centrales nucléaires.

Néanmoins, être énergétiquement indépendant n’est pas assez : nous devons également décarboner notre consommation d’énergie et minimiser nos pertes, à commencer par le chauffage (notamment en France). En outre, ce dernier doit être économiquement et écologiquement optimisé en améliorant l’isolation thermique des infrastructures et investissant dans des solutions plus performantes telles que la pompe à chaleur et le chauffe-eau solaire. En ce point, la Finlande est novatrice, car, si ses exportations de gaz dépendent presque uniquement de la Russie (98%), elle possède, selon la Société française d’énergie nucléaire (Sfen), le plus grand nombre de pompes à chaleur par habitant au sein de l’Union européenne, soit 700 000 pour 5 500 000 habitants et est par ailleurs en lice pour devenir une grande nation nucléaire (d’où l’intérêt que lui porte la Sfen)

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