Cette semaine, les employés de l’usine Watts de Hauvillers-Ouville dans la Somme ont appris par mail la fermeture de leur usine à la fin du premier semestre 2025. Une énième catastrophe dans une région frappée de plein fouet par la désindustrialisation depuis 40 ans.
Pourquoi nous vous parlons aujourd’hui de cette fermeture de cette usine de 98 employés et 25 intérimaires ? C’est d’après nous un cas d’école des dérives néo-libérales de l’union européenne et une illustration des limites de la politique de réindustrialisation du gouvernement depuis 7 ans.
Un cas d’école
Sortons de notre posture à chaud et essayons de prendre de la hauteur pour comprendre les enjeux liés à cette fermeture. La plupart du temps, lorsqu’une entreprise décide de fermer une usine c’est que la conjecture économique de son secteur d’activité est mauvaise depuis plusieurs années, et que les mesures tampons de sauvegarde et/ou de reprise ont toutes été épuisées, ce qui en général prend entre 1 ou 2 ans.
Or ici, nous sommes face à une entreprise qui dégageait près de 350 millions d’euros de bénéfices en 2021 en Europe, et qui avait fait des investissements massifs début 2022 pour ouvrir et moderniser de nouvelles lignes de production. De plus depuis le début de l’année l’entreprise demande à ses employés de faire des heures supplémentaires le samedi matin ce qui est normalement annonciateur d’une bonne santé et d’un carnet de commande rempli.
Dans son communiqué l’entreprise présente une prétendue baisse d’activité dû au fort ralentissement du marché de la construction de logements neufs : -30 % entre 2022 et 2024 et encore -10 % depuis le début de l’année, ce qui représenterait d’après eux une baisse de 40% pour certaines gammes. Le classique mais néanmoins efficace combo guerre en Ukraine et inflation est également invoqué pour justifier cette décision.
Pourtant pour Franck Carpentier, ouvrier qualifié chez Watts depuis 35 ans, les bénéfices étaient encore bons l’an dernier et rien ne transparaissait en interne sur un prétendu fonctionnement à perte.
Sans avoir tous les éléments en notre possession, et d’après certaines rumeurs l’entreprise compterait délocaliser la production en Bulgarie où le SMIC est à 475€. Un cas d’école d’un “capitalisme vorace”, pour reprendre l’expression d’Angelo Tonolli, conseiller départemental. de la Somme Les gros groupes internationaux ont la fâcheuse tendance à privilégier la quête de toujours plus de profit à court-terme et de piloter les décisions stratégiques depuis des bureaux aux Etats-Unis (ou ailleurs), bien loin des préoccupations et réalités locales .
Un drame pour le tissu économique local
La direction a indiqué vouloir mettre de la bonne volonté dans les consultations qui commenceront le 10 octobre pour établir un plan de sauvegarde de l’emploi, et se dit “consciente de ses responsabilités à l’égard du tissu socio-économique local”. Toutefois, étant donné les délais très courts, on peut raisonnablement douter d’une issue favorable. Ce serait un véritable drame pour l’économie locale car de nombreux sous-traitants dépendent de l’usine Watts. Et cela risque de s’étendre au-delà de l’industrie comme le craint Lucie Melchilsen, boulangère et gérante du dernier commerce de ce village de 500 habitants. En effet, les ouvriers venaient midi et soir consommer à la boulangerie. Sans usine donc, on peut dire au revoir aux commerces locaux.
Les ouvriers ont planté symboliquement 98 croix sur la route départementale qui jouxte l’usine pour manifester leur désaccord. Un message fort et lourd de sens pour informer et symboliser la mort qui plane sur eux et sur les alentours.
Un secteur clé pour la transition
Le pire dans tout ça c’est que Watts est un fleuron de la robinetterie et un maillon essentiel dans la fabrication de pompes à chaleur (PAC) pour le marché français. Se laisser plumer dans un secteur aussi crucial pour la transition énergétique est irresponsable et l’Etat se doit absolument d’intervenir pour faire pression sur l’entreprise, en recentrant par exemple les subventions sur les pompes à chaleur fabriqués en France. Le SGPE dont nous vous avons parlé récemment (ici) faisait état dans son rapport sur le bâtiment en juin 2023, d’une nécessité de structurer la filière d’ici 2030 pour produire près de 1.3 millions de PAC par an. Si des progrès doivent encore être fait pour la formation à l’entretien de ces machines, les PAC apparaissent comme une véritable solution disponible, fiable et facile d’emploi. Elles permettent d’une part de réduire massivement l’empreinte carbone des logements en France et d’autre part s’assurer une souveraineté énergétique. Elle diminue ainsi la dépendance aux énergies fossiles encore trop utilisées pour le chauffage.
On ne peut donc que déplorer la vision court-termiste de Watts, qui n’en est pas à son premier fait d’arme en la matière en France. Le groupe américain a déjà fermé de manière brutale et inattendue un site à Méry (Savoie) en 2021 avec pour seules perspectives pour les employés le chômage ou un reclassement à Châlons sur Saône pour les plus chanceux, à plus de 2 heures de route de l’usine. La vision trop libérale de l’Union Européenne qui continue indéniablement de mettre en concurrence déloyale les travailleurs et d’avoir une foi incontesté dans le marché et le ruissellement, n’arrange évidemment pas la situation.
Quel avenir ?
Les élus locaux comme Angelo Tonolli (DVG), François Ruffin député de la Somme (Picardie Debout), ou encore Xavier Bertrand, président de la région Haut de France (la droite républicaine) sont mobilisés pour tenter de faire pression au maximum sur l’entreprise américaine et conserver ce fleuron industriel essentiel pour le tissu local.
Nous vous tiendrons informés de la suite de cet épisode.
Vous pouvez aussi compter sur nous pour vous informer des prochains autres désastre qui guette le peu d’industrie qui nous reste. Car au-delà de la communication du gouvernement, la réindustrialisation est un mirage en France : on a encore fermé plus d’usines qu’on en a ouvert en ce début d’année 2024. Il est donc urgent pour l’Etat français et l’Union Européenne de penser long terme et planification pour réussir la transition écologique et énergétique !