Depuis quelques décennies, un concept prend de plus en plus d’ampleur dans le monde environnementaliste : le réensauvagement. “Libre naturalité”, “laisser faire” ou encore “non-gestion”, les thermes sont nombreux pour en décrire l’idée : des espaces isolés de toute activité humaine, à l’exception d’un peu d’écotourisme, pour en faire des havres de vie sauvage.
Seulement, les réserves en question commencent à se heurter aux réalités des limites de ce concept.
Exemple de fiasco de la “non-gestion” : Oostvaarderplassen
En 1968 fut fondée au Pays Bas, par l’écologiste Franz Vera, la réserve naturelle de Oostvaarderplassen. L’idée du biologiste était de laisser la nature “se réguler toute seule”, en clôturant 5000 hectares de zone humide. Au bout de quelques années, le milieu a commencé à se fermer, c’est-à-dire que les arbres se sont mis à pousser.
Ne souhaitant pas que la diversité d’habitat soit étouffée par la forêt, il a été décidé d’introduire 34 aurochs de Heck, 20 chevaux koniks et 44 cerfs élaphes, des grands brouteurs semblables à ceux de la région à la fin de la dernière ère glaciaire.
30 ans plus tard, le parc était peuplé de 5000 de ces animaux. Après des années de surpopulation, donc de surpâturage, le parc, qui avait atteint un bon niveau de biodiversité, s’est considérablement désertifié.
Après plusieurs hivers cléments, plus de 3000 animaux sont morts de faim lorsque le froid s’est abattu de nouveau sur la réserve. Désormais, les autorités maintiennent le nombre de brouteurs à 1500 têtes.
On ne peut pas dire que le laisser faire ait été une réussite. D’autres réserves n’ont cependant pas eu le même destin.
Parcs nationaux : quand le laisser faire fonctionne
En 1872, dans le Wyoming, fut fondé le premier parc national des Etats Unis d’Amérique, le Yellowstone. Il s’agit de la première réserve de vie sauvage de cette ampleur : de par sa taille, 8 983 km², mais aussi par ses nouvelles règles.
Jusqu’alors, que ce soit sur le jeune ou le vieux continent, les espaces sauvages connus et fréquentés par les Hommes étaient la plupart du temps des territoires de chasse ou d’exploitation forestière. Au Yellowstone, le tourisme est globalement la seule activité humaine autorisée.
Aujourd’hui, c’est un nom qui fait référence, pourtant, cette réserve aussi a connu des jours difficiles. Plus d’un siècle après sa création, le parc était en proie au même mal qui a rongé Oostvaarderplassen : le surpâturage.
En effet, faute de grands prédateurs (le loup ayant disparu de la région en 1930), les grands ongulés, comme les wapitis, ont proliféré, brouté les jeunes pousses d’arbres dont ils sont friands, mettant en péril la régénération des forêts.
Dans les années 90, pour résoudre ce problème, les autorités du parc ont décidé d’y réintroduire des loups, capturés au Canada. D’une soixantaine de loups réintroduits entre 1995 et 1996, la population du parc serait passée à environ 120 têtes en 2005 selon une étude. Cette réintroduction a porté ses fruits : la population de wapitis a diminué de moitié sur cette même période. Aujourd’hui, les populations semblent avoir trouvé un certain équilibre.
Le problème des réensauvageurs
Le Yellowstone n’est pas le seul exemple, on pourrait citer de nombreuses réserves du même type partout dans le monde rencontrant le même succès.
Mais alors, comment expliquer ces écarts de résultats entre des réserves qui ont vraisemblablement la même doctrine ? Une réponse s’impose : il faut se donner les moyens de ses ambitions ou accepter de revoir ses objectifs à la baisse.
Une différence qui saute aux yeux entre les réserves fonctionnelles et celles qui échouent est la taille. Regardons les 2 exemples que nous avons utilisés : presque 90 000 hectares pour le Yellowstone contre 5000 hectares pour Oostvaarderplassen : la réserve hollandaise ne couvre qu’un dix huitième de la surface du Yellowstone.
Une réserve en libre naturalité nécessite de très grands espaces sauvages, ce qui est difficile à trouver dans notre Europe de l’Ouest, aux campagnes morcelées et anthropisées.
Faute de pouvoir faire des réserves plus grandes, il semble raisonnable d’abandonner le fétiche de la “nature qui se régule toute seule” et préférer à la non-gestion des modes de gestion douce, qui consistent par exemple à recourir à la force de travail d’animaux plutôt que d’engins, bruyants et brutaux (dans la mesure du possible évidemment).
La gestion d’espaces naturels nécessite du pragmatisme, pour le bien-être des animaux qui y évoluent comme pour celui des Hommes qui vivent à proximité. Les gestionnaires de Oostvaarderplassen ont su s’adapter et changer leur doctrine face aux résultats désastreux du laisser faire dans leur réserve.
Il est dommage de voir des associations de réensauvagement s’entêter dans cette voie, malgré les dangers qui menacent leurs parcs, et contre lesquels Oostvaarderplassen met en garde.