peur avion

La peur de l’avion est une peur saine

La peur de l’avion n’a rien d’anormal. En fait, elle serait même plutôt bénéfique pour le climat et nourrirait un rejet idéologiquement construit de l’aviation du XXIème siècle.

« Tu sais, la peur de l’avion ça se soigne » me répète-t-on souvent quand j’explique que j’en ai peur. Les compagnies aériennes sont effectivement nombreuses à proposer des soins. Air France propose par exemple un programme d’une durée d’un mois comprenant des séances à réaliser avec un casque de réalité virtuelle. On y explique sûrement que l’avion est le moyen de transport le plus sûr, que tout est contrôlé et que finalement il n’y a pas de raison d’en avoir peur.

Mais malgré cet élan à rassurer les voyageurs, je n’ai jamais pensé à me séparer de cette peur. Bien loin d’être le fruit d’un traumatisme, cette peur, je la porte avec assurance parce que je la crois tout à fait saine d’un point de vue philosophique et écologique.

Habiter partout

Avoir peur de l’avion est devenu une anomalie au vingtième siècle chez les occidentaux. Voyager à plus de 10 000 mètres de haut pendant des heures pour se rendre à des milliers de kilomètres de là est tout à fait normal, presque naturel pour certains. Cette normalisation de l’avion s’est faite innocemment dans un contexte de fluidification du monde : les échanges sont devenus plus faciles, ce qui a éloigné nos lieux de vie les uns des autres et donc renforcé le pouvoir de l’avion. Son apogée étant le Concorde qui reliait Paris à New-York en près de 3h à la fin du XXe siècle – un projet supersonique promet d’améliorer ce temps record. Le message était le suivant : peu importe où vous vivez, on trouvera un moyen de relier ces endroits le plus rapidement possible.

Ce fantasme d’un déplacement magique est aujourd’hui l’un des enjeux écologiques les plus importants en Occident, où les transports représentent une majeure partie de nos émissions de gaz à effets de serre (GES). En France, en 2020, 28,7% des émissions de GES émanait des transports. Si l’avion occupe une petite part parmi ces déplacements, il est le symbole de nos excès. L’avion est utilisé par un petit nombre de privilégiés et pollue proportionnellement beaucoup plus que tous les autres modes de transport. Avoir peur de cet oiseau d’acier paraît beaucoup moins déraisonnable. Ce serait même tout à fait raisonnable.

Lucidité environnementale

En fait, je me rends compte que plus que de la peur, c’est du rejet que je ressens envers l’avion. Un rejet qui s’apparente plutôt avec le terme suédois flygskam, qui signifie la honte de prendre l’avion en raison du réchauffement climatique. Certains diront certainement que cette honte est le résultat des messages culpabilisateurs des écologistes, mais je leur répondrais qu’elle est plutôt le fruit d’une lucidité environnementale. D’ailleurs, le terme émerge de Suède, là où seulement 2% des citoyens sont climatosceptiques.

La très grande majorité des Suédois (86%) perçoit comme “grande” la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Source : Novus, 2019

Continuer de prendre l’avion aveuglement tel un bienheureux, voilà le vrai souci. En avoir honte est la première étape vers une réelle prise de conscience écologique. Du moins, il faudrait admettre que l’avion est un moyen de transport qui pose de nombreux problèmes. Mais voilà : l’avion est puissant et il est difficile de s’en défaire. Que dire à ceux dont la famille et les amis sont éparpillés aux quatre coins du globe ? Nos relations sont imbriquées dans ce modèle polluant. Nos proches sont loin et il ne nous reste parfois que le voyage par le ciel pour les voir.

Du reste, l’avion concerne surtout une minorité de privilégiés. Porter un coup à l’avion c’est alors porter un coup à un microcosme vicieux, et non à toute la société française comme on aimerait parfois nous le faire croire.

Des militants au GPSO, au sud de Bordeaux, le 3 juin 2023. Crédit : THIBAUD MORITZ / AFP

LGV Sud-Ouest : un projet gigantesque qui questionne

La ligne grande vitesse (LGV) du Sud Ouest est de plus en plus contestée. Il y a une semaine, les Soulèvements de la Terre ont rejoint la lutte, élevant la portée médiatique de cette dernière qui dure désormais depuis 30 ans. Mais qu’en est-il vraiment de ce projet de 327 kilomètres de long ? Si le train est globalement un allié de la transition écologique, nous devons rester lucides quant aux projets qui le concernent. Enquête.

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Fermeture de Watts Picardie : le mirage de la réindustrialisation

L’usine Watts de Picardie jette ses employés comme de “vulgaires Kleenex”, pour reprendre l’expression de Xavier Bertrand (LDR). Le groupe a en effet annoncé la fermeture par mail cette semaine du site de Hauvillers-Ouville, dans la quasi indifférence des médias et politiques nationaux. Nous allons voir dans cet article que c’est malheureusement une démonstration de l’échec de la politique de réindustrialisation du pays et un coup dur pour la transition énergétique.

Barnier Premier ministre, un coup d’arrêt pour la transition écologique ?

L’attente interminable de la nomination du gouvernement devrait prendre fin dans les prochaines heures. Nous devrions enfin connaître le nom du futur locataire de l’hôtel de Roquelaure. Les dernières rumeurs font part d’un retour d’Agnès Pannier-Runacher, ancienne ministre de la transition énergétique du gouvernement Borne. 

Plus que le casting, ce qui nous intéresse chez Écolucide c’est avant tout le programme et les priorités de ce nouveau gouvernement en termes d’écologie.

Nous portons majoritairement l’idée d’une planification étatique sur plusieurs décennies de la transition écologique et de l’aménagement du territoire, afin de ne pas laisser le marché seul décider mais bien d’orienter les entreprises et les collectivités dans des directions claires. Il est important pour nous de ne pas laisser l’écologie à la main d’un seul ministre. Elle doit en effet infuser dans tous les secteurs de la société et de l’Etat..

Le SGPE, une promesse électorale de Macron

Lors des élections présidentielles 2022, Emmanuel Macron s’était engagé à mettre en œuvre une planification écologique. Suite à sa réélection la promesse a été pour une fois tenue avec la création du secrétariat général à la planification écologique (SGPE) en juillet 2022 après la constitution du gouvernement Borne. Cet organisme interministériel fut placé sous l’autorité directe de la Première Ministre avec pour principales missions de coordonner l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies nationales en matière de climat, énergie, biodiversité et économie circulaire. 

Ainsi le Secrétaire Général Antoine Peillon devenait un membre à part entière du cabinet de la Première Ministre de l’époque. Celle-ci dans le protocole gouvernemental était même indiquée comme “Première Ministre chargée de la planification écologique”. Gabriel Attal, après sa nomination en janvier 2024 avait fait le choix de garder le même fonctionnement et le même titre protocolaire.

Barnier désolidarise le SGPE de Matignon

Coup de tonnerre ce lundi lorsqu’un changement obscur au journal officiel indiquait qu’Antoine Pellion, n’était plus conseiller et chef du pôle environnement à Matignon. Un décision lourde de sens puisque son homologue Secrétaire Général aux Affaires Européennes reste quant à lui conseiller Europe. Qu’on soit clair le SGPE n’est pas supprimé mais se retrouve complètement déconnecté de Matignon et risque donc de perdre énormément en influence et en utilité. Cette décision s’avère surprenante quand on connaît l’attachement prétendue au “gaullisme social” de notre nouveau Premier ministre dont la planification fut un des principes fondamentaux.

Antoine Peillon, Secrétaire général du SGPE

Un existence courte mais des initiatives intéressantes

La courte existence du SGPE n’est pas suffisante pour juger de son impact et de son utilité réelle, n’en déplaise au gouvernement sortant. Toutefois il a produit plusieurs rapports concernant l’écologie et l’action avec des objectifs chiffrées mais des actions parfois assez vagues. On recense également une initiative très intéressante : le déploiement de COP régionale pour engager la planification écologique dans les territoires, par le travail conjoint des collectivités et services de l’Etat. Le but était de rassembler dans un même cadre les politiques publiques portées par les différents ministères et leurs opérateurs (ADEME, OFB, Agences de l’eau, etc.). 

Qu’adviendra t’il de ce travail, maintenant que le SGPE risque de se transformer en une coquille vide et devenir un énième commission sans importance d’un appareil d’Etat qui raffole d’organismes de ce genre ? L’avenir nous le dira mais comme évoqué lors de notre article sur la nomination de Michel Barnier, l’écologie risque de vraiment passer au second plan.

Barnier et Attal

Michel Barnier premier ministre : enfin un écolo de droite ?

Après plus de 2 mois d’un insoutenable suspense et des concertations à n’en plus finir, le couperet est tombé ce jeudi, Emmanuel Macron a choisi de nommer Michel Barnier, membre du parti Les Républicains, premier ministre. 

Âgé de 73 ans, il possède une expérience de près de 50 ans et un parcours politique assez impressionnant.

On trouve notamment dans son CV les fonctions de ministre de l’environnement et de l’agriculture. Ancien candidat à la primaire des Républicains en 2022, il s’était distingué par une certaine “lucidité” vis à vis de la crise climatique, chose assez rare pour un politique de droite. 

Sa nomination est-elle donc une bonne nouvelle pour l’écologie ?  A t-on réellement affaire à un écolo de droite comme le laisse entendre notre titre quelque peu accrocheur ?

Un savoyard au bilan intéressant

Commençons par la genèse de son parcours, Michel Barnier est savoyard et vient donc d’un territoire profondément rural ce qui dénote pas mal de la majorité des personnalités politiques au pouvoir ces dernières années. Il est issu d’une famille de la classe moyenne avec un père chef d’une petite entreprise et une mère revendiquée comme catholique de gauche pratiquante et assez engagée en faveur de la sécurité routière. Il lui a d’ailleurs rendu un bel hommage dans son discours de passation.

Si l’on revient sur son bilan en tant que ministre de l’environnement du gouvernement Juppé, sous la présidence de Jacques Chirac, on retrouve à son actif plusieurs initiatives intéressantes dont la loi Barnier, une des premières loi à instaurer les principes généraux du droit de l’environnement, votée en 1995 qui définit pour la première fois les principes de “précaution”, “prévention” et “pollueur-payeur”. À cela s’ajoute la création du “fond Barnier” pour la prévention des risques naturels majeurs. 

De son passage au ministère de l’agriculture pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, on retiendra un bras de fer remporté contre la FNSEA et les lobbies de l’industrie chimique pour lancer le plan ECOPHYTO afin de réduire de 50% l’usage des pesticides. Il a également été remarqué pour avoir ouvert son ministère aux ONG environnementales, rompant alors la tradition d’un dialogue uniquement concentré entre les syndicats et le monde politique. Ce fut également un fervent défenseur de l’agriculture biologique. 

Son bilan aux 2 ministères est salué, au-delà de ses partisans, par des ONG comme Générations Futures ou Greenpeace. Celles-ci émettent toutefois de fortes réserves sur sa nomination qui “s’inscrit dans la continuité d’une politique ultra-libérale », et serait “incompatible avec les enjeux de transformation radicale de notre système économique”.

Des positions écologiques libérales

On vous a parlé ici, d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. A l’aune des derniers rapports du GIEC et des nombreuses alertes sur les risques liés au changement climatique, quelles sont les positions de notre nouveau premier ministre ? Lors de la passation, il a promis de dire “la vérité » sur la « dette écologique qui pèse lourdement sur les épaules de nos enfants ». Mais de quelle vérité parle-t-il ?

Sur l’énergie, il est très attaché au nucléaire pour assurer notre souveraineté mais il s’est montré dans le passé, également favorable à l’investissement dans des énergies renouvelables, comme le photovoltaïque, la biomasse ou encore l’hydraulique. Il est toutefois sceptique sur l’éolien, qui d’après lui  “fait beaucoup de dégâts”.

Dans une tribune du journal Le Monde publiée en 2023, il s’insurgeait contre “l’écologie punitive” que pratiquerait l’Union Européenne. Il se dit favorable à une politique “plus équitable”, à plus de liberté pour les Etats, les entreprises ou les agriculteurs, pour faire “avec eux et pas contre eux”. On retrouve ici certains réflexes néo-libérales de confiance en le marché pour changer les choses, ce qui va à l’encontre de la logique de planification écologique recommandée par certains experts.

Sur le logement, il indiquait lors de sa campagne en 2022 vouloir un « grand plan national d’isolation des logements ».

L’écologie au 2nd plan malgré tout ?

On peut craindre que malgré l’ampleur des réformes nécessaires, l’écologie ne soit malheureusement pas le chantier prioritaire, alors qu’elle devrait infuser dans tous les domaines du gouvernement. En effet, Barnier ne doit sa nomination qu’à l’unique bonne volonté du RN de ne pas le censurer. Ces derniers n’étant pas réputés comme étant de farouches défenseurs de l’environnement, leurs thèmes de prédilection comme la sécurité ou l’immagrition risquent d’occuper davantage que l’écologie l’espace médiatique et politique

De plus, dans un contexte de déficit budgétaire important, on risque d’assister à des coupes au ministère de l’écologie et sur certains dispositifs d’accompagnement, dans la continuité des économies réalisées par le gouvernement Attal sur les injonctions de Bruno Lemaire. 

En résumé, parmi tous les noms (hors NFP) qui ont circulé ces dernières semaines, Michel Barnier apparaît comme “la moins pire des solutions” pour l’écologie. Mais l’ampleur du défi qui nous attend, saurait-elle se contenter de si peu d’ambitions ?

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Pourquoi il est urgent de relancer Superphénix

Le retour de Dominique Voynet à l’Assemblée Nationale s’est accompagné de son lot de controverses. N’est-elle pas celle qui, après tout, s’était vanté dans une vidéo restée célèbre d’avoir mis fin au programme Superphénix ? A l’époque, les Verts avaient présenté cela comme une grande victoire contre le dangereux lobby nucléaire. Mais la vérité est tout autre et l’on commence aujourd’hui à s’en rendre compte… 

Déjà, qu’est-ce que Superphénix ? Lancé dans les années 70, le programme Phénix, puis Superphénix était révolutionnaire. Il s’agissait d’un réacteur à neutron rapide (RNR), unique en son genre à l’époque. Ce type de réacteur est appelé « surgénérateur ». En effet, il permet de produire plus d’isotope fissile qu’il n’en consomme. Sans vouloir rentrer dans des détails trop techniques, on peut résumer la chose ainsi : l’uranium utilisé par les réacteurs nucléaires produisent des déchets sous forme de plutonium. Or, les RNR permettent de réutiliser ce plutonium. Cela a deux conséquences et non des moindres. Premièrement, cela étend considérablement les réserves stratégiques du pays doté d’une telle technologie. On estime ainsi que le stock français actuel passerait d’une durée de vie de 100 ans à une durée de vie d’environ 2300 ans si nous utilisions cette technologie. Surtout, cela permettrait de recycler les déchets nucléaires. Déchets qui sont le principal argument avancé par les anti-nucléaires pour que nous cessions d’utiliser cette technologie. 

Mais alors pourquoi avoir arrêté Superphénix ? Il y a deux raisons. La première est évidemment idéologique : pour certains militants ecologistes, l’énergie nucléaire est par essence mauvaise. Les mêmes qui se veulent radicalement constructivistes lorsque l’on parle de nature humaine deviennent subitement profondément essentialistes lorsque l’on parle de l’atome.

Le nucléaire ne trouvera jamais grâce à leurs yeux. Il y a aussi et surtout un argument économique. Beaucoup avancent ainsi qu’en l’état actuel, les RNR ne sont pas rentables au regard du coût de l’uranium. C’est la raison pour laquelle le projet Astrid, qui devait remplacer Superphénix, fut abandonné sous Emmanuel Macron.

C’est cependant une vision de court terme. Ceux qui la défendent affirment qu’il sera toujours temps de relancer des RNR lorsque la situation changera. Certes, mais ferons-nous assez vite ? Construire un réacteur nucléaire est toujours un projet pharaonique, or il nous faudrait idéalement construire plusieurs RNR. 

Cela demande du temps et donc de l’anticipation. De plus, le nucléaire est la pierre angulaire de l’industrie française. L’économie, c’est de l’énergie transformée. En nous assurant une énergie peu onéreuse, c’est donc le nucléaire qui permet à notre industrie d’être compétitive. Du moins… en théorie. En ce domaine, le grand problème de la France s’appelle « marché commun de l’électricité », mais c’est un sujet pour un autre jour… 

Reste l’essentiel. Les RNR comportent plusieurs avantages et non des moindres. Ils permettraient de faire du nucléaire une énergie verte à 99,99% en recyclant la quasi-totalité de ses déchets. Ils donneraient à la France une autonomie stratégique de plusieurs milliers d’années et ils permettraient en théorie de faire de son industrie l’une des plus compétitive au monde. Alors, on attend quoi ? 

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Une France sans nucléaire est-elle possible ?

Chez Ecolucide, on a longtemps défendu le nucléaire. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’est né le média. Mais aujourd’hui, alors que nous sommes en pleine période d’élections législatives, nous pensons qu’il est nécessaire de discuter du nucléaire, de le remettre en cause pour mieux l’apprécier.

Jouissant d’un appui solide des Français, de nombreux partis politiques ont embrassé l’atome. Mais tels Icare, certains pourraient se brûler les ailes à trop s’approcher du soleil que représente l’énergie nucléaire. Le Rassemblement National est ainsi devenu la risée des experts quand Marine Le Pen a annoncé vouloir construire 20 EPR d’ici 2036. « C’est plus que ce que la filière nucléaire réclame et ne saura faire, et il est complètement irréaliste de penser que ces réacteurs pourraient être construits dans de tels délais », explique à L’Express Nicolas Goldberg, responsable énergie au think tank Terra Nova et consultant dans le secteur. A l’inverse, le Nouveau Front Populaire s’est attiré les foudres de bien des Français en masquant le sujet du nucléaire [1]. “Quel est donc ce parti se disant écolo qui ne parle pas de nucléaire ?” pouvait-on entendre. Mais le nucléaire est-il un argument rédhibitoire ?

Après avoir montré en quoi nous pouvons nous en passer, nous nous demanderons si c’est un choix souhaitable.

Un scénario 100% renouvelable

Sa place dans le mix électrique français est telle qu’on tendrait presque à oublier que le nucléaire n’est pas indispensable. Dans sa synthèse des Futurs énergétiques 2050, RTE a imaginé six scénarios de mix électrique, allant du 100% renouvelable (M0) au mi-nucléaire mi-renouvelable (N03). D’un côté on a donc RTE, le gestionnaire de réseau de transport d’électricité français, qui dit que le sans nucléaire est possible, et de l’autre une ribambelle de commentateurs qui écartent tout parti politique ne mettant pas l’atome sur un piédestal.

L'ensemble des 6 scénarios imaginés par RTE. Nous nous concentrerons sur le scénario M0 qui parie sur un mix 100% renouvelable en 2050.

Explorons rapidement les tenants d’un mix sans nucléaire en 2050.

Vous êtes sûrement nombreux à vous demander comment un mix sans nucléaire et sans centrale thermique polluante est réaliste. En effet, l’Allemagne a déjà investi dans ce pari du sans nucléaire, un pari perdant puisque c’est le charbon – bien plus polluant – qui a pris la place du nucléaire. RTE prévoit évidemment un autre scénario pour la France. Un deuxième défi consiste à trouver un moyen de sécuriser le réseau, c’est-à-dire d’être capable d’alimenter les Français et les infrastructures. Cependant, s’il n’y a que des éoliennes et des panneaux solaires, l’électricité produite sera au bon vouloir du vent et du soleil. RTE insiste : gérer des cycles jour/nuit et de très grandes différences de production est « un défi technique majeur. […] Le système doit notamment pouvoir absorber des périodes de plusieurs semaines consécutives sans vent en déstockant de l’énergie, ce que des batteries ou une gestion intelligente de la demande ne permettront pas de réaliser » (p. 34 -35). D’ailleurs, les rythmes de développement des énergies renouvelables (éolien terrestre et offshore et énergie solaire) devront être très importants, et même « plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques » (p.28). C’est un véritable défi technique qui a des chances de rater.

Selon RTE, « il n’existe pas d’autre moyen [pour faire face au problème de l’intermittence] que les centrales nucléaires ou les centrales thermiques utilisant des stocks de gaz décarbonés » (p. 35). C’est ce qu’on appelle des solutions de « back-up », de renfort. Le dilemme se pose alors entre le nucléaire et les “gaz décarbonés” (parfois dits gaz verts). Par cette expression RTE entend « l’hydrogène bas-carbone, le biométhane, le méthane de synthèse ou le méthane fossile associé à un dispositif de captage et stockage du carbone (CCS) » (p. 197 [2]). Autant de méthodes de production d’énergie qui permettraient de se passer du nucléaire. Néanmoins, ces gaz verts en sont à leur balbutiements en France, et font déjà face à des défis d’acceptabilité sociale. Par exemple, si la méthanisation rejette peu de gaz à effets de serre, elle produit des odeurs nauséabondes qui compliqueraient son développement à l’échelle nationale (Stéphane CARIOU & Jean-François DESPRES, 2023, Émissions gazeuses odorantes issues de la méthanisation).

A plus petite échelle, des batteries pourront également être mises en place. Les panneaux solaires les rechargeraient la journée, et on dépenserait l’énergie accumulée du soir au matin. Dans une France sans nucléaire, la flexibilité énergétique, soit la capacité d’ajuster l’offre avec la demande, deviendra un enjeu important étant donné le poids des énergies intermittentes.

Souhaitable ?

Le sans nucléaire est donc possible, mais est-il souhaitable pour autant ? La production d’électricité nucléaire par fission en France émet relativement peu de gaz à effet de serre, est plutôt pilotable, sûre, et est de plus en plus plébiscitée par les Français (75% des Français s’exprime favorablement sur la production d’électricité nucléaire, IFOP, 2022). Le hic tient en ses infrastructures vieillissantes et menacées par le changement climatique. Le risque est de paralyser le parc nucléaire avec des maintenances à répétition et donc des pertes d’énergie de plus en plus importantes. Néanmoins, les problèmes comme les solutions sont plutôt bien connus. Il faudrait davantage construire les centrales près de la mer en circuit ouvert ou bien près d’une importante source d’eau et avec des tours aéroréfrigérantes. De plus, il faudra veiller à ce que les centrales ne soient pas installées dans des zones inondables – là aussi, c’est loin d’être insolvable.

Sortir du nucléaire a également un cout : « les scénarios de sortie du nucléaire dès 2050 (M0) ou fondés majoritairement sur le solaire diffus (M1) sont significativement plus onéreux que les autres options » (p. 33), écrivent bleu sur blanc les experts d’RTE dans leur synthèse. Néanmoins, on ne peut pas mettre sous le tapis les retentissants surcoûts de l’EPR de Flamanville. Selon Reporterre qui s’appuie sur une enquête parlementaire, le nucléaire coûte même de plus en plus cher, d’autant plus que les coûts sont difficilement chiffrables. Le coût du nucléaire ne fait donc pas vraiment consensus : « tout dépend de la dose d’optimisme, ou inversement du pessimisme », estimait France Inter en 2021.

Le nucléaire n’est pas magique

Le nucléaire ne doit donc pas devenir un élément magique. Il n’est pas la clé de voûte d’une politique environnementale, ni même énergétique. S’il est prôné par certains, retenez bien que la meilleure énergie c’est d’abord celle qu’on ne consomme pas. Il serait très intéressant d’analyser sociologiquement les raisons qui poussent ces individus à chérir aussi fort l’électricité nucléaire. Sans doute y-a-t-il un peu de chauvinisme mélangé au fait que le nucléaire réconforte les éco anxieux ; le nucléaire apaise peut-être. C’est précisément pour cette raison qu’il faut mieux l’expliquer et lui enlever cette aura qui le protège de toute critique. A droite surtout, on ne jure que par lui, peut-être pour apaiser sa conscience et ne plus penser aux autres enjeux. Non, le nucléaire ne résoudra pas le réchauffement climatique à lui tout seul. D’ailleurs, il est souvent prôné par opportunisme, car les politiques savent que l’étiquette “nucléaire” gonfle les voix. Il faut aussi garder en tête que l’énergie nucléaire n’est pas une énergie renouvelable et qu’il faudra un jour s’en séparer.

« Le nucléaire c’est 5% du problème mais 95% des discussions »

Dicton largement popularisé par Jean-Marc Jancovici

La position d’Ecolucide est moins celle, figée, qui défend le nucléaire à tout prix, que celle qui remet calmement en question ses détracteurs, et ce toujours avec un objectif de lucidité.

[1] Il y a quatre occurrences du mot “nucléaire” dans leur programme, et aucune visibilité sur la place de cette énergie dans leur mix électrique.

[2] Toutes les précisions de page concernent la version du rapport “résumé exécutif”. Cette citation est tirée du rapport complet.

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Le phénomène JMJ

Un phénomène médiatique

On ne le présente plus, Jean-Marc Jancovici (JMJ) est une des personnalités scientifiques les plus célèbres de l’hexagone. Reconnu pour son rôle majeur dans la sensibilisation aux enjeux climatiques, il a su éveiller l’intérêt de milliers de personnes, dont le nôtre chez Ecolucide. Il est aussi très célèbre pour ses exemples parlants, sa sagacité et sa rhétorique cinglante. Son influence est indéniable, tant par son engagement dans diverses institutions telles que le Haut Conseil pour le climat et Mines ParisTech, que par la création de sa société Carbone4, du think tank The Shift Project et, plus récemment, par le succès de sa bande dessinée best-seller “Le Monde sans fin”.

Thèses controversées

Seulement, il n’est pas rare de voir JMJ présenter certains énoncés comme des vérités établies, les utilisant comme fondements pour ses démonstrations, bien que ces points ne fassent pas consensus parmi les scientifiques. Nous verrons dans un instant de quoi il s’agit. Je pense qu’il est important de mettre en exergue ces questions, afin de donner la parole à d’autres spécialistes qui ne bénéficient pas forcément de la même aura médiatique ou des mêmes talents d’orateurs que JMJ, c’est ce que cet article s’efforce humblement de faire.

L’énergie comme déterminant de l’histoire des sociétés humaines

Affirmer que c’est « l’énergie » ou la disponibilité en énergie qui détermine les comportements sociétaux est une avancée audacieuse par rapport aux connaissances scientifiques actuelles. Selon les travaux académiques de Giraud et Kahraman [1], il y aurait bien une causalité entre l’énergie et la croissance, mais cela ne permet pas de dire que c’est l’énergie qui détermine les comportements sociétaux. En amont de la consommation d’énergie, il y a des choix humains et sociaux de vouloir augmenter son capital, faire croître des entreprises, développer des activités, etc.

Dans le prisme énergétique, ces choix sont ignorés, alors que c’est la donnée principale du problème. Les ressources étaient déjà là, il y a quelques siècles, mais on ne les exploitait pas de manière exponentielle comme on le fait depuis la Révolution industrielle. Il en va de même pour la croissance de l’utilisation de la voiture qui avait une forte composante sociale. La réponse n’est pas simplement technique. Le prisme énergétique comme seule grille de lecture ne permet pas d’expliquer l’évolution des sociétés.

 La question du pic de pétrole

JMJ soutient la thèse selon laquelle le pic pétrolier (conventionnel et non-conventionnel) surviendra à court terme (« quelque part entre 2018 et 2022 »). Cependant, cette thèse est loin de faire l’unanimité parmi les spécialistes internationaux, même si certains la trouvent convaincante. Une première estimation suggère que nous devrions atteindre un plateau d’extraction, toutes techniques confondues, dans la deuxième moitié de la décennie 2020. Une seconde estime que les réserves accessibles sont suffisamment importantes pour que nous puissions continuer à augmenter la production (et détruire le climat) jusqu’en 2060.

Il convient toutefois de mentionner un article du Shift Project [2] qui, sous l’angle de la finance, fait l’effort d’argumenter en faveur de l’existence probable de ce pic. Cependant, il n’y a pas de consensus scientifique sur la question. Il est également important de noter que le Shift Project, en tant que think tank, n’est pas soumis au processus de peer review, ce qui peut remettre en question la légitimité de certaines de ses publications.

L’éternelle controverse du nucléaire et des énergies renouvelables

Bien que JMJ soit souvent considéré comme pro-nucléaire, sa position est plus nuancée et il considère le nucléaire comme un outil de transition pour amortir le choc de la décroissance. Il affirme que les énergies renouvelables seules ne peuvent amortir la crise climatique. Pour autant, on ne peut pas nier non plus l’existence d’un débat – que balayent pourtant d’un revers de la main nombre de « jancovicistes », convaincus d’avoir accédé à la vérité ultime qui viendrait clore le débat.

En 2020, une étude du CIRED a relancé le débat sur la possibilité d’atteindre 100% d’électricité renouvelable en France d’ici 2050 [3]. L’étude montre qu’il est possible d’atteindre cet objectif pour un coût égal ou inférieur au coût actuel, même en prenant en compte les incertitudes liées aux conditions météorologiques et aux coûts des technologies émergentes. Les résultats ont suscité de vives réactions, en particulier de la part des partisans de JMJ, alors même que cette publication académique offre une méthode de simulation beaucoup plus fines que les quelques règles de trois de JMJ. L’ingénieur en énergie Emmanuel Pont s’est penché sur cette étude pour tenter un éclairage vis-à-vis de l’analyse de JMJ pour les plus curieux [4]. Il est assez évident qu’un mix énergétique est plus souhaitable que du 100% nucléaire ou du 100% renouvelables, mais cet article montre bien que JMJ a peut être une position trop affirmée sur ce sujet.

Le mot de la fin

L’influence de l’excellent vulgarisateur JMJ sur le débat public est aujourd’hui incontestable. Ces nombreux travaux et activités ont eu un impact extrêmement positif et sont passionnants. Seulement, je pense qu’il est primordial de se prémunir contre la pensée unique. Son style très péremptoire jette parfois un flou entre les arguments scientifiques qu’il avance et ses opinions personnelles moins factuelles. Attention, l’objectif de cet article n’est absolument pas de faire le procès JMJ, mais plutôt d’encourager à aller au-delà de ses idées attrayantes, qui peuvent être si convaincantes qu’elles incitent souvent à l’adhésion sans une analyse approfondie. Il convient de rappeler qu’il s’inscrit dans le sillage de centaines d’autres chercheurs et vulgarisateurs, parfois divergeant avec ses idées, qui contribuent également de manière significative à ces débats et qui méritent que l’on écoute attentivement ce qu’ils ont à dire.

Un article largement inspiré de l’excellent article de signaux faible https://signauxfaibles.co/partie-3-jancovici-le-revers-de-la-medaille/

[1]https://www.parisschoolofeconomics.eu/IMG/pdf/article-pse-medde-juin2014-giraud-kahraman.pdf

[2]https://theshiftproject.org/article/pic-petrolier-mondial-et-miracle-du-petrole-de-schiste/

[3]http://www.iaee.org/en/publications/ejarticle.aspx?id=3776&fbclid=IwAR0T_zqSxufdoXRI4EE6XuqiYo9sl_wH-JroFkb2UT4YRew4nIyCi6XtFKA

[4]https://medium.com/enquetes-ecosophiques/jancovici-100-renouvelable-1a820334496e