Paris Saint-Germain's French forward Kylian Mbappe leaves the bus upon his arrival before the French L1 football match between Paris-Saint Germain (PSG) and Olympique Lyonnais at The Parc des Princes Stadium in Paris on September 19, 2021. (Photo by FRANCK FIFE / AFP)

Oui, les grands clubs peuvent prendre le train

Alors que le Paris Saint-Germain s’apprête à disputer son premier match de Ligue des champions contre la Juventus de Turin ce soir à 21h, une polémique touche de plein fouet l’image du club.

Contexte

Pendant une conférence de presse organisée ce lundi 5 septembre, un journaliste de LCI demanda à Christophe Galtier pourquoi son équipe ne prenait pas davantage le train. Après un fou rire partagé avec Kylian Mbappé, l’entraineur ironisa sèchement : « On est en train de voir si on ne peut pas se déplacer en char à voile ».

Pour certains, c’est une mauvaise blague mais pour d’autres, c’est du dédain et un mépris total envers la cause environnementale.

La polémique a pris de l’ampleur et est maintenant au cœur des débats. En sont sorties plusieurs questions dont celle de la faisabilité du déplacement en train.

Pour y répondre, il faut bien cerner le problème : l’on reproche ici au club de ne pas prendre le train lorsque c’est possible. Evidemment, il parait compliqué de se déplacer sur plusieurs centaines de kilomètres en enchainant les arrêts tout en gardant les joueurs en pleine forme pour le match (ce qui nous rappelle le côté intrinsèquement pollueur des matchs longue distance).

Une option convaincante

Néanmoins, le train semble être une option convaincante. Tout comme les aéroports, les gares sont sécurisées. Pour un budget qui, selon plusieurs estimations, est comparable à un déplacement en avion, la SNCF pourrait également mettre au service du club un train privatisé (le reste des wagons pourra notamment être rempli par des supporters officiels). De plus, si les lignes à grande vitesse sont souvent fermées la nuit pour entretien, il est possible de décaler ces travaux afin que l’équipe rentre chez elle.

Mais qu’en est-il de leur réputation d’infatigables retardateurs ? La SNCF joue en effet d’une effroyable image ce qui renforce le débat public en faveur de l’avion, jugé plus sûr. Cependant, si on prend le cas du dernier match en date, Nantes-PSG, l’avion a dû se déplacer de Nantes à l’aéroport de Saint Nazaire (12 minutes de trajet à vide) et les joueurs ont donc dû rejoindre ce dernier en bus à la suite de leur victoire 3-0 face aux Canaris. En outre, depuis le printemps dernier, l’aéroport de Nantes n’accepte plus les décollages et atterrissages de minuit à 6h afin de répondre aux protestations des habitants. Il n’est donc pas disponible de nuit…comme les gares SNCF habituellement (mais on le rappelle, elles peuvent ouvrir de nuit si un arrangement est trouvé pour décaler les travaux sur les voies).

Certaines équipes professionnelles (ici Rennes) ont déjà opté à plusieurs reprises pour le déplacement en train. Crédits : SRFC

Mais alors, qu’est ce qui coince ? Pourquoi le club français ne prend-t-il pas plus régulièrement le train ? Premièrement, il faut savoir que des négociations sont censées être en cours entre le PSG et la SNCF. En effet, le club n’est pas un fervent opposant aux voyages en train. L’équipe féminine l’emprunte d’ailleurs régulièrement. Que ce soit du fait de la SNCF ou du club, les négociations ont cependant l’air bloquées. Tout l’enjeu est donc de les redémarrer afin de trouver un accord pour se diriger vers des déplacements davantage décarbonés.

Selon une étude de la LFP, sur l’ensemble des matchs de la saison 2019-2020 de Ligue 1 et de Ligue 2, 65 % des trajets ont été effectués en avion, 31 % en bus et seulement 4 % en train.

Changer de train-train quotidien

En outre, les déplacements en train sont bien moins polluants que ceux en avion. Mais au-delà de l’impact direct de la diminution des émissions de GES, c’est tout un mode de vie qui serait remis en question. C’est symbolique. De fait, quoi de mieux pour sensibiliser la population entière à la cause environnementale que des stars de football portant un message écologiste ?

Récemment (voir article du 02/09), Vincent Lindon imaginait un grand joueur de football boycotter la coupe du monde au Qatar notamment pour raison écologique. Il semblerait bien que ce ne soit pas Kylian Mbappé...

Comme l’ensemble de la société, le milieu du football va devoir embrasser la sobriété. Mais en est-il seulement capable ? La réaction des deux membres du PSG nous envoie malheureusement un mauvais signal. Peut-être surestimons-nous alors la capacité et la volonté d’adaptation du football lui-même ? En effet, on peut s’interroger sur la compatibilité du football international, et les énormes enjeux financiers qui régissent la FIFA, avec la sobriété qui s’imposera inéluctablement.

Selon le New York Times, Gianni Infantino, le président de la FIFA, étudierait l'idée d'une nouvelle Coupe des confédérations ou d'une Ligue des nations internationale afin de générer de nouveaux revenus...et de nouvelles émissions.

Dès lors, la polémique n’est pas futile. Elle met en exergue le manque de volonté des clubs à voyager en train, le manque de couverture ferroviaire (on comprend que les clubs veulent se déplacer en ligne directe) et l’inquiétante inconscience écologique qui semble régner dans le monde du football.

D’un autre côté, la polémique a eu pour effet de lancer une réelle interrogation sur les modes de déplacement des clubs de foot. Paradoxalement, par leurs réactions particulièrement interpellantes, Mbappé et Galtier ont accéléré le débat sur la question, dévoilant peut-être leurs vrais visages. Mais s’ils s’étaient contentés de faire la langue de bois, le débat en serait resté au statu quo.

Par esprit chauvin assumé, on espère tout de même la victoire du PSG ce soir face à une Juve dont elle aurait peut-être à apprendre étant donné que le club italien s’est déjà fait remarquer en ayant conclu un accord avec Trenitalia (la société ferroviaire italienne) par le passé.

Cristiano Ronaldo dormant dans un train après la victoire de la Juventus en coupe d'Italie le 19/05/2021. Crédits : Instagram de Ronaldo
indecanicule2022

« Il fait tellement chaud, c’est intenable » : En Inde, une vague de chaleur fait rage depuis 2 mois

Sous le silence assourdissant de la plupart des médias, l’Inde est en train de suffoquer. Avec plus de 40°C parsemant son territoire ainsi que celui de son voisin pakistanais, cet épisode de chaleur extrême additionné à un important déficit pluviométrique nous apparait comme un avertissement. Telle une entrevue du futur de l’humanité. Les experts sont clairs : les évènements climatiques extrêmes vont augmenter en cadence ainsi qu’en intensité, au grand dam des populations les plus pauvres.

Températures Samedi 30 avril à 14h heure française et environ 17h heure locale. A minuit, il fera environ 27°C (prévisions) Données fournies par Windy.

5 à 7°C au dessus des normes

Alors que l’Inde est concernée par le phénomène de La Niña, (mise en place d’une anomalie froide de température), elle présente tout de même des records de températures pour le mois de mars (33,1°C). Mais depuis quelques jours, ce sont d’autres chiffres qui attirent notre attention : 43°C, 45°C …soit plus de 5 à 7°C au-dessus des normales de saison. La région est devenue une véritable fournaise, contribuant à embraser les montagnes de déchets parfois hauts d’une centaine de mètres jonchant allégrement les rues des grandes villes. Des fumées toxiques et nauséabondes s’élèvent alors, se dirigeant vers les habitats environnants.

On distingue à peine les silhouettes des habitants de New Delhi qui regardent l'incendie qui fait rage sur une décharge de la capitale indienne le 26 avril 2022. AFP

Une chaleur inégalitaire

Ces hausses de température concernent plus d’un milliard de personnes, mais ne les impactent pas de la même façon, évidemment. En outre, les ouvriers continuent de travailler sur les chantiers de construction. « Je suis payé au jour le jour, si j’arrête, je ne suis pas indemnisé », explique au Monde un maçon, sans se plaindre. Les habitants les plus pauvres paient de leur santé voire de leur vie des conséquences maintenant clairement instituées comme anthropiques.

Ces évènements de chaleur ne sont pourtant pas rares dans la région : « Il fait tellement chaud, c’est intenable. Normalement, en mars-avril, il fait doux, c’est le printemps, ce sont les mois de mai-juin-juillet qui sont très chauds. Là, il fait déjà très lourd. », expliquait une habitante de New Dehli. « C’est la première fois que je vois une telle chaleur en avril », témoignait une autre à France Info.

Près d’un quart des récoltes perdues

Loin de s’arrêter à quelques gouttes de sueur, cette canicule est meurtrière. Depuis 2010, l’AFP a décompté plus de 6 500 morts en Inde. Au-delà des pertes humaines – que l’on peut comparer à celles de la canicule de 2003 qui avait causé près de 20 000 morts en France -, cet épisode de chaleur cause bien des maux aux secteurs agricole et énergétique.

En outre, les autorités indiennes estiment que 20 à 25% des principales récoltes auraient été perdues. L’Inde pensait pouvoir exporter du blé afin de pallier le manque de production que conduit l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le climat exceptionnel a vite brisé ce rêve, mettant davantage en danger les besoins de sa propre population.

Un cercle vicieux

Aussi, la situation a créé une augmentation conséquente des besoins énergétiques indiens, faisant augmenter ces derniers jusqu’au pic encore jamais atteint de 201 066 gigawatts. Le mix énergétique de l’Inde étant composé à 75% d’énergies fossiles, (dont + de 40% de charbon), ces chaleurs extrêmes créent un cercle vicieux : plus on utilise de l’énergie, plus on devra en utiliser dans le futur. Les distributeurs d’énergie ont déjà coupé l’électricité dans plusieurs millions de foyers au Pakistan et en Inde. Et pour cause : les centrales à charbon manquent de carburant.

Mix énergétique de l'Inde (1990-2019) en térajoule. IEA. Ce pays émergent produit presque exclusivement de l'énergie à partir de méthodes fortement polluantes.

Un exemple criant

La situation actuelle est un exemple criant de la gravité des changements climatiques qui nous attendent. A cause du principe d’inertie climatique, nous sommes en partie impuissants face à la probabilité de voir ces phénomènes, aujourd’hui encore plutôt rares, se multiplier. Si des épisodes de chaleur que l’Inde se manifestaient tous les 50 ans, ils devraient désormais apparaitre tous les 4 ans selon Mariam Zachariah, chercheuse au Grantham Institute de l’Imperial College de Londres.

L’Inde devrait connaitre un mois de mai pire encore, qu’en sera-t-il de ses 1,3 milliard d’habitants ? Comment vont-ils gérer cette crise multiforme ?

Selon de nombreux spécialistes, de plus en plus d’habitants migrent pour fuir cet enfer, et cela va continuer. Pour Fabio D’Andrea, chercheur au CNRS au laboratoire de météorologie dynamique de l’Ecole normale supérieure à Paris, « le changement climatique, qui nous porte vers des températures encore plus élevées, pourrait rendre ces régions complètement inhabitables. » L’Europe aura-t-elle son rôle à jouer notamment dans l’accueil de migrants climatiques se faisant ainsi de plus en plus nombreux ?

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L’Europe peut-elle supporter un embargo sur le pétrole russe ?

La question de le dépendance énergétique est un sujet majeur en cette période de guerre. L’Union Européenne essaie tant bien que mal de se parer d’une pseudo indépendance énergétique. Du moins, elle serait capable d’atteindre ce niveau. Or, comme nous le rappelions dans un article précèdent, l’Europe est indéniablement dépendante de la Russie.

Dépendance énergétique russe en Europe par rapport à la consommation intérieure brute. Carte : Le Grand Continent.

Le « taux de dépendance »

Premièrement, il parait utile de rappeler le lien entre les importations et la consommation d’un pays. En outre, les pays qui apparaissent les plus dépendants sur la plupart des cartes partagées par les médias ne le sont pas toujours de la façon dont on l’entend. L’on parle souvent de la part des importations russes par rapport aux importations totales. L’on en voit bien vite la limite lorsque l’on étudie le cas de l’Estonie. Si ce pays importe 100% de gaz et de charbon russe, les importations de ces deux sources d’énergie ne représentent qu’1,7 % de leur Consommation Intérieure Brute (CIB). Si l’on prend seulement en compte les importations, on oublie qu’un pays peut aussi produire localement et par d’autres moyens sur lesquels la Russie a peu d’influence, tels que la plupart des énergies bas carbone. C’est d’ailleurs le cas en Estonie où la majorité de l’énergie produite par charbon provient d’entre ses frontières.

La réelle dépendance énergétique est donc mise à jour par la part des importations de sources d’énergie russes par rapport à la CIB laquelle est concrétisée par un certain « taux de dépendance » énergétique.

Le patrole en ligne de mire

Toujours est-il qu’après avoir déclenché un embargo sur le charbon russe le mois dernier – plutôt symbolique car peu d’États européens en dépendent fortement – Ursula von der Leyen cible maintenant le pétrole. Le 4 mai dernier, la présidente de la Commission européenne expliquait : « L’UE devrait renoncer aux livraisons de [pétrole] brut dans les six mois et de produits raffinés d’ici la fin de l’année ». Et d’ajouter une volonté de réduire « au minimum les dommages collatéraux pour nous et nos partenaires ».

Les conséquences pourraient effectivement être énormes dans certains pays de l’Union Européenne, qu’elles soient au niveau socio-économique ou géopolitique.

Une ligne rouge franchie

Viktor Orban, le premier ministre de la Hongrie, a déjà fait savoir que Bruxelles allait trop loin : « nous avons clairement signifié dès le début qu’il y avait une ligne rouge : l’embargo sur l’énergie. Ils ont franchi cette ligne (…), il y a un moment où il faut dire stop ». En outre, 14% de leur CIB provient du pétrole russe (le charbon ne représentait que 0,3%). La Hongrie craint alors que les difficultés s’accumulent, d’autant plus que l’embargo sur le pétrole ouvre la voie à celui sur le gaz, dont les membres européens dépendent encore plus.

« Lorsque nous imposons des sanctions, nous devons le faire de manière à maximiser la pression sur la Russie tout en minimisant les dommages collatéraux pour nous-mêmes. »

– Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne, au Times le 25 avril.

A court terme du moins, les 27 ne peuvent pas tous s’affranchir de l’or noir russe, ce qui met à mal la mise en place de l’embargo prévu par la Commission Européenne qui nécessite un accord unanime. Les États concernés cherchent donc à déroger à la règle, afin qu’ils ne bloquent pas la décision des membres les moins dépendants. Ainsi, la Hongrie menace d’utiliser son veto au cas où elle ne serait pas totalement exemptée. La Slovaquie (taux de dépendance : 16%) et la Bulgarie (14%) demandent, quant à elles, des dérogations moins radicales et d’autres États tels que la Grèce, Chypre et Malte, ont témoigné, lundi 9 mai, de la difficulté que pourrait représenter cette contre-attaque.

Le G7 gonfle les pecs

Au total, huit pays européens sont dépendant à plus de 10% du pétrole russe. Dans le même temps, Bruxelles assure faire en sorte que l’embargo soit progressif et adapté. Le 8 mai, les pays du G7 ont déjà fait savoir leur volonté d’arrêter progressivement d’importer du pétrole russe afin de « priver [Poutine] des revenus dont il a besoin pour financer sa guerre. » Néanmoins, ces pays membres, à savoir l’Allemagne, le Canada, les Etats-Unis, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni, sont peu dépendants (excepté l’Allemagne) du pétrole russe. Cette décision ressemble alors davantage à l’embargo européen concernant le charbon russe : elle est symbolique.

Mais les pays les plus dépendants peuvent-ils se le permettre ? L’UE trouvera-t-elle de nouveaux approvisionnements en énergie ? Comment va-t-elle se sortir de cette crise ?

L’OPEP + timide

La Russie fournit près de 25 % du pétrole consommé dans l’Union européenne. Le Venezuela, le Moyen-Orient, les Etats Unis ou même la Norvège auraient pu être des solutions, seulement pour des raisons logistiques, ils ne peuvent nous soulager de notre dépendance russe.

Que dit l’OPEP+ dans tout cela ? Le cartel amélioré (dont fait partie la Russie) se montre bien frileux : la guerre en Ukraine n’étant pas source d’inquiétude pour le marché, elle ne sera pas la solution. Elle promet seulement d’augmenter sa production de 432 000 barils par jour pour le mois de juin. Un geste bien léger, témoignant d’une épée de Damoclès russe qui pèse au-dessus de l’organisation régulatrice.

L'OPEP+ nait en 2016. Aux 14 membres de l'OPEP s'ajoute 10 exportateurs de pétrole dont la Russie est le plus important.

Lorsqu’on ne veut plus dépendre du pétrole russe, il existe une autre solution si simple qu’on l’oublierait presque : baisser sa consommation de pétrole. En outre, si l’UE consommait un quart moins de pétrole, nous n’aurions plus besoin de la Russie. Évidemment, si l’on demandait à gégène de se déplacer à l’usine en vélo, il nous répondrait surement « vous voulez pas plutôt que j’y aille à cloche pied avec un bouquet de fleurs dans le derche ? ». Et il toucherait un point sensible : certains – et par extension, certains États – sont plus en difficulté face au défi de la sobriété.

– 2,7 millions de barils par jour

L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) a notamment publié un rapport de 21 pages expliquant par 10 actions comment réduire la consommation de pétrole en particulier dans les pays développés. A la suite du constat sur notre dépendance et sur les mauvais augures planant sur le marché pétrolier, l’agence préconise de diminuer la demande de pétrole par des « actions gouvernementales et citoyennes » et « de viser en priorité les populations les plus pauvres, ainsi que ceux dont l’activité économique dépend en partie de la voiture » afin de pouvoir les accompagner au mieux. Le secteur des transports étant essentiel pour le marché du pétrole, l’AEI s’est concentrée sur ce secteur. Parmi les 10 mesures, l’on retrouve, l’abaissement des limites de vitesse sur l’autoroute, l’augmentations des voitures électriques ainsi que l’utilisation des transports en commun. La sobriété se révèlerait-elle comme une arme géopolitique en plus d’être une arme écologique ?

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Allemagne : l’exemple d’une transition énergétique ratée ?

Vendredi 13 janvier, TotalEnergies annonçait la mise en place de son terminal d’import de gaz naturel liquéfié (GNL, aussi appelé gaz de schiste). La guerre en Ukraine a indéniablement levé le voile sur la dépendance européenne envers la Russie en matière d’énergie. Le recours au GNL, anciennement boudé par nos voisins outre-Rhin, en est une conséquence directe. Ce revirement est également très politique. En effet, il s’inscrit parfaitement dans la levée de boucliers occidentaux – et notamment européens – contre l’invasion russe.

Après avoir suspendu la mise en fonction de Nord Stream 2 (gazoduc reliant la Russie et l'Allemagne, carte ci-contre), les Allemands ont décidé d'investir 1,5 Md dans...le Gaz naturel liquéfié, et, qui plus est...du Qatar.

La guerre en Ukraine a bon dos

Mais en réalité, tout cela dépasse la guerre en Ukraine. La dépendance à la Russie n’est qu’une conséquence des politiques menées depuis 20 ans en Allemagne. Des politiques ayant pour fer de lance la transition énergétique amorcée sous Angela Merkel (2005-2021) dans l’optique de se diriger vers un mix électrique dompté par les énergies renouvelables (EnR). Pourtant, malgré une Allemagne devenue le modèle européen de l’électricité verte – 4O% (données 2021) de son électricité provient d’énergies renouvelables -, le pays affiche aujourd’hui l’une des plus haute empreinte carbone par habitant d’Europe (8,70 tonnes par habitant en 2017, 5ème plus importante d’Europe) et le prix de l’électricité le plus élevé (31 c/kWh).

Mais alors, à quoi ont servi les efforts de l’Allemagne ? Tout s’est-il passé comme prévu, ou est-ce un échec complet ? D’abord, observons l’évolution du mix électrique allemand pendant l’ère Merkel :

La part du renouvelable est passée de 11% en 2005 à 50% en 2020. Fabuleux, non ? Infographie Le Monde.

Halte là, il ne faut pas oublier de distinguer le mix énergétique du mix électrique. En outre, l’électricité n’est qu’une source de production d’énergie. D’autres, souvent fossiles, produisent directement de l’énergie, sans passer par la « case électricité » (exemples : essence, chauffage au gaz). Ainsi, en Allemagne, l’électricité compose environ 21% du mix énergétique, contre 36% pour le pétrole, 26% pour le gaz et 8% pour le renouvelable et les biocarburants (Le Monde, 2021). Ainsi, selon l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA) la part des énergies bas carbone dans le mix énergétique allemand s’élève à environ 20%, dont 2% de nucléaire (voir graphique ci-dessous) . C’est moins que la France, dont le mix énergétique est composé à environ 50% d’énergies bas carbone dont 40% de nucléaire.

« L’Allemagne s’est concentrée sur l’électricité en négligeant les transports, première source d’émission de CO2. »

Cécile Maisonneuve, ancienne directrice du centre énergie de l’Institut français des Relations Internationales (IFRI). Le Monde, 2019.

L’énergie allemande reste donc majoritairement fossile. Est-ce un aveu d’échec ? Car l’objectif de toute transition énergétique est justement de mettre en place des énergies décarbonées et donc de diminuer l’importance des plus émettrices en GES. Or l’Allemagne n’a diminué la part de ces énergies que de 7 points de pourcentage environ, le nucléaire se faisant remplacer par des EnR, ne changeant quasiment pas les émissions globales de GES.

Répartition des types de productions d'énergies en Allemagne (1990-2020). Source : IEA.

Le mix électrique n’est rien de plus que le haut de l’iceberg du mix énergétique. Il est bien plus attrayant de voir que 55% d’énergies renouvelables alimentent l’électricité allemande que la dure réalité qui est celle d’un mix énergétique dominé à près de 80% par de polluantes énergies fossiles. Angela Merkel semblait l’avoir bien compris. Quelques jours après l’accident nucléaire de Fukushima de 2011, Mutti choisit de sortir progressivement de l’énergie nucléaire, acclamée par une partie du peuple allemand. Hourra ! L’Allemagne allait sortir du nucléaire afin de construire des milliers d’éoliennes et de panneaux solaires ! Oui mais voilà, ces derniers n’ont remplacé que la moitié du nucléaire allemand, qui représente encore 11% de la production électrique allemande. De plus, ces types de production renouvelable sont intermittents, et il est alors nécessaire de mettre en place des énergies pilotables, qui sont en grande partie fossiles – puisque le nucléaire n’est plus une possibilité.

Délaissement du nucléaire

Celle qu’on surnommait la chancelière du climat (Klima Kanzlerin) aurait peut-être dû compter sur l’énergie nucléaire comme un moyen de transition entre le fossile et le renouvelable, mais, hâtée par les écologistes allemands, son devoir d’incarner une figure protectrice et les élections qui approchaient, elle engagea un processus qu’on sait aujourd’hui dans une certaine mesure inefficace. Certes, la question se jouait à l’époque sur la sûreté nucléaire, et on lui aurait reproché de ne pas avoir fermé le parc nucléaire si un accident s’était produit, mais le nucléaire civil était (et est toujours) si stratégique – voire prometteur – que l’ex chancelière ne peut que remettre en question les politiques qu’elle a engagées. D’ailleurs, en 1995, alors ministre de l’environnement, Angela Merkel avait prophétiquement déclaré ceci : « sans l’énergie nucléaire, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs en matière de réchauffement climatique ».

D’autant plus que la perte du nucléaire a rimé avec une forte dépendance, notamment envers la Russie. En outre, avant la crise énergétique actuelle, 34% du pétrole, 65% du gaz et 23% du charbon en provenait (Le Grand Continent, 2022).

« 10 ans de cette vie ont suffi à la changer en junkie. »

Telle une junkie donc, l’Allemagne doit combler ses besoins. Les relations qu’elle entretenait avec son dealeur – la Russie – étaient en train de se renforcer. Mais la Russie a voulu jouer sur un autre terrain propice à tout trafiquant, celui de la guerre de territoire. Par relation d’alliance (et non par souci démocratique au vu de son nouveau fournisseur), l’Allemagne se doit de changer de produit et de fournisseur. Quoi de plus naturel de se tourner alors vers le GNL et de se rediriger vers le Qatar !

« Manifestement la « transition » n’a pas les vertus décarbonantes que l’on peut voir mises en avant dans diverses publications institutionnelles – voire universitaires – allemandes… »

Jean-Marc Jancovici, ingénieur et fondateur de The Shift Project. (site personnel, 2013)

Une transition en double teinte

Une transition énergétique a pour but de tendre vers un modèle pérenne d’approvisionnement en énergie, autant indépendant et décarboné qu’économiquement convenable. En ce sens, l’on ne peut pas dire que l’Allemagne ait réussi sa transition. Néanmoins, ses efforts n’ont pas été vains. En effet, l’Allemagne a appris à manier la technologie du renouvelable, ce qui va inéluctablement aider le reste de l’Europe pour le développement de ces technologies. De plus, les puissances industrielles et les pouvoirs publics se concertent afin de trouver une solution commune. Ainsi, le BDI, la fédération de l’industrie allemande, a jugé possible l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, à condition d’y mettre le prix : 2 300 milliards d’euros. (Le Monde, 2022)

« Entre 2010 et 2020, nous avons réduit les émissions de 15 millions de tonnes par an en moyenne. D’ici à 2030, nous devons les réduire de plus de 40 millions chaque année. »

Robert Habeck, ministre de l’Économie et du Climat lors de la présentation ambitieuse de son plan climat, le 11/01/2022

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Guerre Russie-Ukraine : comment le mix énergétique européen est remis en question

C’est le sujet qui fait sien les unes de tous les journaux : la Russie est en train d’envahir l’Ukraine. Relevant d’un contexte historique et culturel complexe et non pas de nos domaines de prédilection, nous ne nous intéresserons pas ici à la légitimité ou non de l’une ou l’autre des parties.

Suite à l’annonce de l’offensive militaire russe, le soutien de l’Union Européenne à l’encontre de l’Ukraine fut général et inconditionnel. L’UE ne s’arrêta pas là et commença alors à attaquer la Russie par des sanctions économiques. Cependant, la Russie n’est pas dépourvue de défense. Comme l’expliquait le politologue Bertrand Badie à l’Obs le 23 février, « avec la mondialisation, les sanctions économiques pèsent presque autant sur celui qui les impose ». En effet, les sanctions à l’encontre de la Russie pourraient s’apparenter à une grève de la faim qui n’aura peut-être pas les effets escomptés…

La dépendance européenne

En outre, les pressions économiques, et notamment sur le secteur énergétique, pourraient très bien se retourner contre l’Europe au vu de la très forte dépendance de cette dernière envers le gaz naturel russe. En 2020, la Russie fournissait plus de 40% du total des importations de gaz naturel de l’UE. Ce chiffre s’élève à 66% pour notre voisin allemand. Pourtant, c’est bien ce dernier qui, mercredi 23 février, a suspendu la procédure de certification de Nord Stream 2, le tout nouveau gazoduc devant conduire le gaz naturel russe vers l’Allemagne, très dépendante de par son abandon du nucléaire (ils ne lisent donc pas Ecolucide…) et sa moindre utilisation du charbon, jugé trop polluant par les verts allemands. (Maj : l’Allemagne déjà annoncé avoir débloqué un fond exceptionnel de 1,5 milliard d’euros qui devra servir à l’assurer en énergie par le biais provisoire de gaz naturel liquéfié (GNL). Reste à savoir avec qui elle commercera)

Néanmoins, d’autres pays sont encore plus énergétiquement dépendants du gaz russe :

Toujours est-il que, si la Russie et l’UE n’ont pas encore clairement instauré de mesures, on assiste en Europe depuis une semaine, à une augmentation de 50% du prix du gaz.

Prenons l’exemple de la France. L’on observe qu’elle a relativement su se passer d’importations russes (17% des importations) afin de se concentrer davantage chez les norvégiens (environ 36%). Selon le commissariat général au développement durable, le gaz servirait en grande partie au chauffage (60% en 2011). Et si le chauffage au gaz est la prochaine cible à abattre, il reste 21% des maisons neuves et 75% des logements collectifs neufs qui en sont équipés. Ainsi, une partie non négligeable des Français pourrait être impactée par la crise énergétique qui se dessine en Europe, même si Bruno Le Maire soutient que le bouclier tarifaire sur le gaz sera maintenu.

La Russie et son robinet

Cependant, il ne faut pas oublier que la France est un des pays les moins dépendants. Si l’on regarde la Macédoine du nord ou les pays Baltes (Lettonie, Lituanie et Estonie : respectivement à 100%, 93% et 93% de gaz russe parmi leurs exportations totales selon Eurostat pour l’année 2020), cela fait froid dans le dos. Et le froid, les habitants le sentiront si la Russie décide de couper le robinet.

D’où cette question qui nous taraude : l’Europe peut-elle subvenir à ses besoins de gaz sans l’une des plus grandes réserves du monde ?

La Russie est évidemment le fournisseur incontournable de l’Europe, mais elle n’est pas seule à y exporter son gaz. La Norvège (18% des importations) et l’Algérie (10%), respectivement 2ème et 3ème exportateurs, sont aussi présents. Mais pourraient-ils compenser la perte de gaz russe ? En octobre 2021, le Norvège avait déjà augmenté ses exportations de 2% vers l’UE. En Algérie, le cas est différent. Son potentiel est énorme, d’autant plus qu’on y trouve également en grande partie du gaz de schiste, ce qui la classe troisième en matière de volume des ressources en gaz de schiste à l’échelle mondiale. L’Algérie l’a bien compris et alors signé des accords avec des entreprises telles que TotalEnergies (à l’époque, simplement Total) et Exxon Mobil. Néanmoins, le gaz de schiste est très polluant, et en Algérie, son exploitation n’a jamais débuté du fait de fortes protestations populaires de 2015 à 2019, date à laquelle le projet semble avoir été définitivement enterré.

Ces ressources auraient pu constituer une bonne alternative face au gaz russe alors que des engagements avec l’Espagne et le Portugal bloqueraient les capacités de production du gaz naturel. A un tel point que le ministre qatari de l’Energie qualifiait de « quasiment impossible » le fait de « remplacer rapidement » les exportations russes lors du Forum des pays exportateurs du gaz de 2014. On peut néanmoins supposer que, au vu de la situation exceptionnelle, les contrats pourraient être renégociés, et des fonds, débloqués, pour augmenter la production algérienne. D’ailleurs, si l’Algérie ne produit pas de gaz de schiste, les Etats-Unis, l’Australie et le Qatar – qui a assuré ne pas être la solution – en sont d’importants, et pourraient alors boucher le vide que laisserait la Russie, ce qui serait une perte de marché importante.

Une dépendance mutuelle

Patrick Martin-Genier, spécialiste des questions européennes, expliquait mercredi 23 février sur France Info que la Russie n’a, en effet, pas intérêt à ne plus fournir l’Europe puisqu’elle dépend de sa rente énergétique (ses exportations de gaz représentent 15% de son PIB). En effet, comme l’expliquait en 2007 un rapport d’information du Sénat sur les relations UE/Russie : « la dépendance en matière énergétique est mutuelle, l’UE représentant le principal débouché des exportations d’hydrocarbures de la Russie. » La Russie peut toujours se tourner vers la Chine mais cette dernière, en position de force, serait en mesure de revoir les prix avec la Russie à la baisse… En réalité, et pour appuyer ce qui est dit plus haut, le fait que nous vivions ce système d’échanges où tous les États sont interdépendants implique un contrat avec ce dernier stipulant une sorte de respect de la dépendance. Si nous ne la respectons plus et la perturbons – ce qui se passe aujourd’hui par l’envoi de sanctions -, alors le système se retourne contre nous et nous punit tous, l’UE en lui coupant le gaz russe, et la Russie en lui privant d’une part de marché considérable. Mais la Chine, étant placé à l’extérieur de ce contrat, peut profiter de ce capotage pour en créer un nouveau, plus avantageux, mais toujours d’interdépendance.

Ainsi, toute sanction économique devrait être soigneusement réfléchie et concertée avec les autres clients européens de la Russie – ceux faisant partie de ce fa(fu?)meux contrat – du fait que tous n’apprécieraient pas cette possible crise énergétique et toutes les perturbations économiques et sociales qui en découleraient de la même façon.

Qu’en tirer ?

Nul ne sait encore précisément ce qui découlera de cette crise géopolitique, mais la simple évocation de l’épée de Damoclès suspendue en ce moment sur les importations de gaz russe met à jour la sur-dépendance européenne concernant l’énergie, notamment d’énergie fossile (Dans l’Union européenne, plus de 70 % de l’énergie disponible est d’origine fossile : pétrole (36 %), gaz (22 %) et charbon (11 %). Ce malheureux dessein nous fait alors réfléchir à ce qui cloche dans ce contrat de dépendance, pourtant si communément admis.

D’abord, le secteur de l’énergie est bien trop important, vital, qu’aucun pays ne devrait dépendre à ce point d’autres États, qui plus sont, totalement instables. Ensuite, il nous faut nous interroger sur la nécessité du gaz : pourquoi en raffolons nous ? Les réponses divergent selon les pays (nous l’avons vu avec le cas allemand), mais ce que l’on sait, c’est que le gaz n’est pas la meilleure des solutions, étant polluant.

Se dressent alors des solutions :

Nous devons alors changer notre consommation énergétique et ainsi se rapprocher d’une indépendance énergétique ou, à défaut, d’une dépendance fiable et maitrisée. Parce qu’aujourd’hui, en Europe, choisir le gaz, c’est faire le choix de la perte de son indépendance couplée à une pollution conséquente – certes moins que le charbon ou le pétrole. Le cas de l’Allemagne est particulier car sa dépendance relève du choix de son mix énergétique, supposément écologique. D’autres solutions sont possibles et la France devrait être fière et montrer les avantages d’avoir gardé ses centrales nucléaires.

Néanmoins, être énergétiquement indépendant n’est pas assez : nous devons également décarboner notre consommation d’énergie et minimiser nos pertes, à commencer par le chauffage (notamment en France). En outre, ce dernier doit être économiquement et écologiquement optimisé en améliorant l’isolation thermique des infrastructures et investissant dans des solutions plus performantes telles que la pompe à chaleur et le chauffe-eau solaire. En ce point, la Finlande est novatrice, car, si ses exportations de gaz dépendent presque uniquement de la Russie (98%), elle possède, selon la Société française d’énergie nucléaire (Sfen), le plus grand nombre de pompes à chaleur par habitant au sein de l’Union européenne, soit 700 000 pour 5 500 000 habitants et est par ailleurs en lice pour devenir une grande nation nucléaire (d’où l’intérêt que lui porte la Sfen)