La Mongolie: Quand Attila passe l’herbe trépasse

La Mongolie: Quand Attila passe l’herbe trépasse

Selon le Monde depuis le début de l’hiver 2023-2024 les éleveurs mongoles font face à un hiver très rude avec des températures se rapprochant de -50°.Entre 3 et 6 millions de bêtes n’ont pas passé l’hiver, certaines familles ont perdu l’intégralité de leurs troupeaux. Les éleveurs nomment ce phénomène, de plus en plus fréquent, le dzud (désastre en Mongole).

Des phénomènes météorologiques de plus en plus extrêmes

Les éleveurs nomades Mongoles ont toujours dû faire face à des conditions de vie difficile, or depuis quelques années les températures moyennes annuelles ont augmenté de 2° et les précipitations sont plus courtes et plus intenses selon l’OMM. De plus en 80 ans les cheptels Mongols ont doublé ne permettant pas avec ces températures extrêmes, oscillant entre 40° l’été à -40° l’hiver, de renouveler les pâturages accentuant dans le sud du pays une désertification intense.

Un exode rural massif

Face à ces difficultés de nombreux éleveurs nomades décident de quitter leur mode de vie traditionnel afin de se rendre en ville pour une meilleure vie. Chaque année environ 20 000 personnes partent des steppes vers la capitale Oulan Bator. Aujourd’hui la capitale Mongole compte 1,5 millions d’habitants pour un pays d’environ 3,3 millions d’habitants. Le gouvernement est dépassé, la ville déborde et les nomades s’entassent avec leurs yourtes dans des bidonvilles. Entre 2017 et 2020 le Grand Khoural d’Etat (parlement) à interdit l’immigration interne au sein du pays.

Une capitale qui étouffe

Les migrants nomades venus à Oulan Bator ont apporté avec eux leurs yourtes dans lesquelles ils vivent. Ces habitats traditionnels ne sont pas des mieux isolés et pour faire face aux grands froids les Mongols y installent des poils à charbons pour se réchauffer. Or à Oulan Bator ce regroupement massif de yourtes entraîne l’hiver une pollution atmosphérique gigantesque faisant d’elle la seconde ville la plus polluée au monde, avec des seuils de pollution 14x plus élevés que les seuils recommandés par l’OMS.

Un équilibre difficile entre économie et environnement

Alors que l’on pensait que la Mongolie, jouissant d’importantes réserves minières, allait suivre un développement similaire à celui des quatres dragons asiatiques, celle-ci n’a jamais réussi à se hisser et stagne toujours avec un PIB par habitant de 5000 dollars par an. Son enclavement entre la Chine et la Russie a rendu le pays dépendant de ses voisins. L’exploitation des mines par des entreprises Russes et Chinoises entraîne beaucoup de pollution dans les cours d’eau devenant de plus en plus rare. De ce fait le gouvernement Mongole recherche un 3ème partenaire qui pourrait avoir les capacités de limiter son impact écologique sur le pays.

Le cas de la Mongolie est révélateur de la crise environnementale, la hausse des températures et les phénomènes météorologiques de plus en plus extrêmes entraînent de nombreux habitants à fuir leurs lieux de vie vers un autre entraînant une hausse de la pollution notamment à Oulan Bator. C’est le serpent qui se mord la queue. Les pays en développement sont en première ligne du dérèglement climatique, ce sont des peuples, leurs modes de vie et leurs cultures qui sont en danger.

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Sortie de l’Union Européenne du traité sur la Charte de l’énergie

C’est une petite victoire qui a été offerte à l’environnement le mercredi 24 avril. En effet, les eurodéputés ont approuvé le retrait coordonné de l’Union européenne du traité international sur la charte de l’énergie (TCE), un traité dont la France n’était déjà plus membre depuis le 8 décembre 2023.

Mais c’est quoi le TCE ?

Le TCE est un accord international signé en 1994 et qui vise à promouvoir la coopération entre pays, protéger les investissements dans le domaine de l’énergie, mais qui vise également à régler les différends. Initialement, il devait donc permettre une coopération énergétique facilitée entre les pays d’Europe de l’Est et d’ex-URSS. Avant le vote du 24 avril, ce traité réunissait l’UE et 50 autres Etats.

Mais ce qui est le plus important concernant ce traité et qui a poussé ce retrait de l’UE, ce sont ses nombreuses dispositions permettant la protection des investissements et les mesures de règlement des contentieux qui permettent par exemple à des entreprises s’estimant lésées d’obtenir un règlement devant un tribunal international privé. Cela permet donc de protéger les investisseurs en cas de changement législatif concernant l’énergie. 

Le début des problèmes…

Eh bien oui, en accordant une protection juridique aux industriels de l’énergie fossile, cela leur permet de réclamer toute sorte de dédommagements financiers face à des Etats qui auraient eu la terrible audace de s’adonner à des politiques en faveur du climat et de l’environnement qui contraignent donc de facto ces entreprises fossiles. Cet outil est même tellement puissant qu’il suffit parfois aux entreprises de menacer d’employer le recours à l’arbitrage international pour faire plier les gouvernements. La chercheuse Yamina Saheb qui a travaillé pour le secrétariat du traité a dénoncé l’impact négatif de celui-ci sur la marge de manoeuvre des Etats dans leur action en faveur de l’environnement : « Si vous changez une virgule dans une loi, et que cela peut affecter un investisseur dans l’énergie, l’entreprise privée peut réclamer des milliards de l’Etat. Or la décarbonation oblige à changer beaucoup de textes. »

Les Etats ayant un semblant d’ambition en faveur du climat sont donc limités par les entreprises privées qui peuvent réclamer des milliards s’ils estiment qu’une politique publique pourra affecter leur rentabilité. 

Plusieurs exemples d’abus :

Cette clause d’arbitrage du traité a donc amené à des nombreux cas absurdes de poursuites d’Etats ayant défavorisé des entreprises fossiles et en voici une liste non exhaustive :

  • Condamnation de l’Italie à verser une compensation d’environ 200 millions d’euros à la compagnie pétrolière britannique Rockhopper pour un refus de permis de forage offshore.
  • Multiples condamnations de l’Espagne qui a par exemple dû verser 290 millions à la compagnie américaine NextEra Energy ou bien 32 millions à l’entreprise Renergy
  • L’UE attaquée pour sa taxation des superprofits de l’énergie.
  • Les Pays-Bas ont été attaqués pour avoir annoncé leur sortie du charbon en 2030 par les compagnies allemandes RWE et Uniper. Malgré l’arrêt des poursuites, la procédure judiciaire a coûté plus de 5 millions de frais d’arbitrage selon l’ONG Somo.
  • L’affaire Ioukos avec la Russie condamnée à verser 50 milliards même si la décision de justice a finalement été annulée en 2021 par un tribunal néerlandais.
  • La France poursuivie pour la première fois dans le cadre du TCE par Encavis AG ou bien les pressions de la part du pétrolier Canadien Vermilion lors de l’élaboration de la loi Hulot sur la fin de l’exploitation des hydrocarbures en France qui ont débouché sur une loi moins ambitieuse.

L’ensemble de ces exemples montrent à quel point le TCE n’était absolument pas en accord avec notre temps concernant les engagements internationaux climatiques en favorisant les intérêts privés dans le domaine fossile au travers d’un abus délibéré de la clause d’arbitrage. Le TCE est par ailleurs l’accord sur le commerce et l’investissement qui aurait déclenché le plus de poursuites entre les Etats et les investisseurs devant un tribunal d’arbitrage avec plus de 150 plaintes au titre du traité, touchant majoritairement les Etats d’Europe occidentale concernés dans 98 de ces plaintes.

Les tentatives de réforme

C’est donc pour l’ensemble de ces raisons que les Etats ont cherché à réformer ce traité à partir de 2017 en tentant par exemple d’ajouter l’exclusion de la protection des investissements dans les énergies fossiles sur les territoires des parties contractantes qui le souhaitent ou la réaffirmation du droit des États signataires à mettre en place des mesures législatives selon leurs objectifs de politiques publiques. Mais ces négociations terminées en 2022 n’ont pas abouti à quelque chose de véritablement intéressant pour justifier un non retrait du traité.

Un rapport du Haut Conseil sur le climat (HCC) qui est un organisme indépendant placé auprès du Premier ministre avait par ailleurs souligné le fait que « le TCE, y compris dans une forme modernisée, n’est pas compatible avec le rythme de décarbonation du secteur de l’énergie et l’intensité des efforts de réduction d’émissions nécessaires pour le secteur à l’horizon 2030 » et a ajouté que les risques de contentieux permis par le mécanisme de règlement des différends du TCE ne pouvaient que entraver les Etats cherchant à mettre en place des politiques de décarbonation.

Pour en finir avec le TCE

C’est donc une excellente nouvelle de voir un retrait groupé de l’UE de ce traité liberticide et favorisant les intérêts des entreprises fossiles.

Mais tout n’est pas encore gagné car l’article 47-3 du TCE prévoit une «clause de survie» qui permet de continuer la protection des investissements fossiles 20 ans après le retrait d’un pays signataire, il va donc falloir encore attendre encore un peu pour être libérés des menaces des industriels du fossile, l’Italie ayant justement été condamnée alors qu’elle avait quitté le traité plusieurs années auparavant. Cependant, le député européen Renew Christophe Grudler affirme que cette sortie du traité peut contribuer à dissuader les poursuites au sein de l’UE, à voir… 

En tout cas, ce mouvement est à imiter sur d’autres traités aux conséquences tragiques avec par exemple le CETA au hasard  ; ) 

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Le Sahel Sous l’Étau d’une Vague de chaleur mortelle

CLIMAT

Une récente étude du réseau World Weather Attribution (WWA) a révélé que la vague de chaleur meurtrière qui a frappé le Sahel début avril est directement liée au changement climatique d’origine humaine. Du 1er au 5 avril 2024, le Mali et le Burkina Faso ont été témoins d’une vague de chaleur sans précédent, avec des températures dépassant les 45 °C, provoquant un nombre considérable de décès dans ces régions.

Les scientifiques du WWA ont déterminé que des températures aussi extrêmes auraient été impossibles sans un réchauffement global de 1,2 °C, principalement causé par l’activité humaine, notamment la combustion d’énergies fossiles. De plus, ils ont souligné que ce type d’événement ne se produit en principe qu’une fois tous les 200 ans, soulignant l’exceptionnalité de cette vague de chaleur.

Si les émissions de gaz à effet de serre continuent au rythme actuel, cette étude prédit que de telles vagues de chaleur pourraient devenir jusqu’à 10 fois plus fréquentes dans un futur où le réchauffement atteindrait 2 °C. Cette perspective inquiétante soulève des préoccupations majeures quant à l’adaptation des populations à ces conditions climatiques extrêmes.

L’impact de cette vague de chaleur a été dévastateur, avec une augmentation significative des décès et des hospitalisations enregistrés. Bien que les habitants du Mali et du Burkina Faso soient habitués à des températures élevées, la durée et l’intensité de cet événement ont dépassé les normes habituelles, mettant en lumière les vulnérabilités croissantes face aux changements climatiques.

Des facteurs tels que les coupures de courant on exacerbés les conséquences de cette chaleur, qui ont limité l’accès aux dispositifs de refroidissement et affecté les services de santé. Au Mali, où les coupures de courant sont fréquentes en raison de problèmes d’infrastructures et de gestion énergétique, la situation a été particulièrement critique.

En outre, cette vague de chaleur est survenue à un moment sensible, pendant le jeûne du Ramadan, rendant les conditions encore plus difficiles pour de nombreuses personnes. Ce phénomène a particulièrement touché les personnes âgées et les jeunes enfants. Ceci souligne encore une fois que les vagues de chaleur sont parmi les catastrophes naturelles les plus meurtrières et qu’elles exacerbent les inégalités existantes.

Il est impératif que des mesures urgentes soient prises pour atténuer ses effets et renforcer la résilience des communautés vulnérables. Cela nécessite des actions concertées à l’échelle mondiale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et s’adapter aux réalités d’un climat en évolution rapide.

Sources:
https://www.ouest-france.fr/environnement/rechauffement-climatique/la-vague-de-chaleur-meurtriere-au-sahel-est-d-origine-humaine-selon-les-scientifiques-e72e066e-fd73-11ee-9b3d-44ca7a681769

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Our Ocean, un coup de nageoire en eau trouble

La Grèce pourrait bien être le premier pays Européen à interdire la pêche au chalutage. Pendant ce temps, la France continue à noyer le poisson ! On vous explique :

La semaine dernière s’est tenue pour la 9e fois, la conférence Our Ocean (Notre Océan en bon français), à Athènes en Grèce. L’océan représentant 50% de l’apport en oxygène de la planète, il devient un enjeu majeur des années à venir. Cet événement permet de rassembler des représentants d’états, des ONG mais aussi des acteurs de l’industrie maritime autour de notions comme les zones marines protégées, la pollution marine, la pêche durable ou plus généralement, le changement climatique.

Une nouvelle a particulièrement retenu l’attention. La Grèce, le pays organisateur, a annoncé vouloir interdire d’ici 2 ans la pêche au chalutage à l’intérieur de ses zones protégées (30% de la superficie des eaux grecques). La pêche au chalut, c’est une industrie qui utilise d’énormes engins dont les filets ratissent les fonds marins jusqu’à 15 mètres de profondeur. En plus d’être un réel désastre environnemental, ces gros bâteaux de pêches relâcheraient chaque année plus de 370 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.

Bien que rien n’oblige réellement la Grèce à mener son projet jusqu’au bout, nous pouvons espérer que cette décision incite les autres pays européens, et notamment de la France, à amorcer des politiques en faveur de la préservation de l’océan mais surtout de nos zones marines dites “protégées”.

Si plus de 30% de notre surface maritime est couverte par des zones protégées, seules 4% le sont strictement. Lorsque l’on se rappelle que nous sommes la seconde puissance maritime mondiale, il y a de quoi s’inquiéter. Et le pire dans tout ça, c’est que les chaluts sont dans nos aires protégées et aux yeux du gouvernement, comme des poissons dans l’eau. Le secrétaire d’Etat chargé de la mer et de la biodiversité Hervé Berville avait lui-même annoncé en 2023 être contre l’interdiction du chalutage, sous peine de mettre en péril notre souveraineté alimentaire.

A l’aube de la 3e conférence sur l’Océan des Nations Unies qui aura lieu à Nice en juin 2025, ne serait-il pas temps d’entamer une pêche plus raisonnée et durable ?

Barrage d'Assouan, Albéric

Le véritable secret de l’électricité : comment Assouan assouvit l’Egypte 

L’impact environnemental de l’hydroélectrique : étude de cas sur le barrage d’Assouan

 

Lorsque l’on évoque les énergies renouvelables, l’une des critiques revenant le plus souvent concerne leur intermittence. C’est pourquoi l’énergie hydroélectrique, issue des barrages (républicains ou non) principalement, est si utile. Le débit du cours d’eau étant régulier, c’est l’une des rares sources produisant une grande quantité d’énergie de manière pilotable. 

Le barrage d’Assouan, situé dans le sud de l’Égypte, permettait ainsi de fournir en électricité la moitié du pays à l’origine dans les années 1970, contre 12% seulement en 2013 pour l’intégralité des installations hydroélectriques. 

Dans son cas, son rôle n’est pas seulement de fournir en électricité la population. Ceux qui se souviennent de leurs cours d’histoire de 6e se rappelleront que l’une des grandes richesses de l’Égypte antique résidait dans les plaines fertiles du Nil. Chaque année, lors de la crue puis la décrue, le Nil débordait et recouvrait les rives de limon, riche en minéraux, fertilisant naturellement les sols. 

Cependant, cela a soumis la production agricole aux caprices du fleuve, qui en cas de grosse crue ravageait et inondait les villages, ou à l’inverse provoquait sécheresses et famines. Le barrage a alors servi à réguler les humeurs du Nil et à assurer un débit régulier et fiable tout au long de l’année, permettant plusieurs récoltes par an, au détriment de l’apport en limon. 

Avec un flux plus ou moins constant, les croisières sur le Nil se retrouvent facilitées, notamment en période hivernale, bien que leur impact écologique nous force à les déconseiller.

Cependant, il serait incorrect de penser que l’hydroélectrique et les barrages n’ont que des avantages. Il est bon de rappeler concrètement quels sont les problèmes qu’ils impliquent. 

Tout d’abord, il faut bien construire ces installations titanesques (le barrage d’Assouan fait 3,6km de long ; 111m de haut ; 980m de large à la base et retient près de 169km3 d’eau). Or le principe de l’hydroélectrique (la conversion de l’énergie potentielle de l’eau retenue en hauteur en énergie mécanique) implique que les barrages soient construits en hauteur, dans des zones parfois difficiles d’accès, ce qui demande davantage de ressources que lorsque l’on peut construire une centrale nucléaire, un champ d’éoliennes ou de panneaux solaires. 

Ensuite, l’apport en eau à certes permis une augmentation des terres agricoles grâce à une irrigation permanente, qui offre également la possibilité de réaliser plusieurs récoltes par an, mais cela s’est traduit par une hausse considérable de la demande en eau, et donc un abaissement du niveau du lac de retenue en plus d’un appauvrissement des sols. 

A cela il faut ajouter l’impact de la rétention d’une eau qui s’écoulait autrefois librement. Cette eau charriait près de 110 millions de tonnes de sédiments par an, ce qui formait le limon, et dont seulement 1,5 à 4% se retrouvent au-delà du barrage aujourd’hui. 

Les sols souffrent donc d’une double peine : ils sont de moins en moins riches à cause de cette perte et de plus en plus pauvres à cause de la surexploitation. Une autre conséquence de cette retenue est l’érosion accrue des sols au niveau du delta du Nil, sans les sédiments charriés par le fleuve, ce dernier ne peut plus faire face aux courants marins et la ligne de côte se réduit d’année en année. 

Ce phénomène remonte déjà aux premiers barrages construits sur le Nil, ainsi entre 1898 et 1926, le phare de Rosette qui se situait à près d’un kilomètre de la mer s’est retrouvé les pieds dans l’eau. 

Enfin, l’une des plus grandes tragédies causées par le barrage d’Assouan est humaine et culturelle. En effet, il arrive fréquemment qu’un barrage entraîne l’inondation de villages et habitations situés en amont pour créer le lac de rétention. Dans le cas du Haut barrage, ce sont les terres des Nubiens, qui ont été englouties, entraînant le déplacement de plusieurs dizaines de milliers de personnes, et l’émigration d’une grande partie d’entre eux. 

Enfin, la montée des eaux a condamné de nombreux monuments historiques Égyptiens, vieux de plusieurs millénaires, même si grâce aux efforts de la communauté internationale, les imposants temples d’Abu Simbel et de Philae ont pu être déplacés et sauvegardés.

 

Pour aller plus loin, la question de l’impact sur la biodiversité et surtout l’assèchement des fleuves causés par la création de barrages est abordée dans l’ouvrage de Guillaume Pitron, L’Enfer numérique, où il aborde le cas du barrage de Letsi en suède, qui a causé le tarissement du fleuve Lilla Luleälven, un bras du Luleälven. Il cite notamment un rapport du WWF de 2019 sur l’hydroélectrique, qui critique une trop grande focalisation sur les questions de CO2 au détriment de l’impact global sur l’environnement, dans une acception plus large, incluant la biodiversité, la richesse des sols et la qualité de vie.

EP Plenary session - Formal sitting with William RUTO, President of the Republic of Kenya

Accord UE, Chili, Kenya

Accord UE, Chili, Kenya, cessez le (libre) échangisme

En dépit de la crise agricole qui sévit en France et dans plusieurs pays européens, le Parlement européen a ratifié deux accords de libre-échange avec le Chili et le Kenya le 29 février en attente de la réponse du Conseil de l’Union Européenne. Ces accords, bien que favorables au commerce, soulèvent des préoccupations écologiques majeures et exacerbent les tensions socio-économiques déjà existantes.

Le premier accord concerne le partenariat économique entre l’UE et le Kenya. Il prévoit la suppression des droits de douane pour les produits kényans entrant sur le marché européen, tout en exigeant une ouverture progressive du marché kényan aux importations européennes. Cette libéralisation accrue des échanges commerciaux risque non seulement d’accroître le trafic maritime et les émissions de CO2, mais également de compromettre la sécurité alimentaire du Kenya en favorisant l’importation de produits laitiers bon marché, mettant ainsi en péril les moyens de subsistance des agriculteurs locaux.

De même, l’accord-cadre avec le Chili, approuvé par une majorité de députés européens, entraînera la suppression de la plupart des droits de douane sur les exportations de l’UE vers le Chili, notamment sur des produits agricoles. Cependant, cela pourrait accentuer la crise agricole en France en exposant les agriculteurs européens à une concurrence déloyale et à des normes de production moins strictes. D’un autre côté, cet accord permet l’importation de lithium et de cuivre dont l’extraction, bien que polluante, est essentielle à la transition énergétique. 

 

Il est paradoxal que ces accords soient soutenus alors même que le gouvernement français s’oppose à un accord similaire avec le Mercosur, arguant des préoccupations environnementales et de la protection des agriculteurs. Cette incohérence souligne les tensions entre les priorités économiques et environnementales au sein de l’UE. Bien que d’un point de vue commercial, ces accords nous connectent plus à d’autres pays, elle met à risque l’indépendance européenne que l’UE dit vouloir atteindre. En effet, cela ne rime à rien de faire des accords de libre-échange avec des pays si lointains géographiquement alors que ceux-ci sont supposés nous souder dans notre continent.

Il est urgent que l’UE reconsidère sa politique commerciale et accorde une plus grande importance à la justice sociale et à la préservation de l’environnement. L’approbation de ces accords de libre-échange en pleine crise agricole et climatique témoigne d’une approche à courte vue qui met en péril les intérêts à long terme des citoyens européens et de la planète dans son ensemble.

 

sources:

https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/libre-echange-le-parlement-europeen-approuve-les-accords-commerciaux-avec-le-kenya-et-le-chili/

https://www.greenpeace.fr/espace-presse/accords-de-libre-echange-et-mercosur-lhypocrisie-du-parti-demmanuel-macron-en-pleine-crise-agricole/

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Conduire seul, conduire avec Hitler

Qui a battu Hitler ? 

Cette affiche a réellement existé.  Contexte : la Seconde Guerre mondiale. Et l’or noir est le nerf de la guerre.  

En effet, les champs pétroliers roumains, qui abreuvent l’Allemagne nazie, s’épuisent. Alors les Allemands fabriquent un carburant de synthèse via l’hydrogénation du charbon. Mais les rendements sont très moyens. 

 Les Japonais sont à sec : à Bornéo, leur port pétrolier principal est pris pour cible. Dans une tentative désespérée, le Japon essaiera même de produire du carburant avec des racines de pins.  P(e)in(e) perdu(e). 

Morale de l’histoire : plus de covoiturage = moins de nazis et moins de CO2 

De leur côté, les Américains contrôlent, en 1941, 60 % de la production mondiale de pétrole. Plus de 3 millions de barils par jour. Mais la guerre est gourmande en énergie, et Tonton Sam s’inquiète. 

Alors le gouvernement américain encourage son peuple à économiser les ressources vitales : la nourriture comme le carburant. Pas évident quand on sait que pour un Américain, conduire une voiture c’est un droit sacré.

Le déni de la dépendance

Pourquoi vous raconter ça ? Parce que notre société est toujours murée dans le déni de sa dépendance. L’histoire de l’or noir éclaire l’histoire des relations internationales contemporaines. Mais “Big Oil” n’est pas éternel. Alors quelle histoire écrirons-nous demain ?  

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Ce que signifie le logo de la COP 28

Quand on réalise un logo pour un évènement d’ampleur internationale, chaque choix est mûrement réfléchi. De la couleur aux éléments qui le composent.

En m’intéressant au logo de la COP 28, j’ai été surpris de constater un logo aussi complexe, agrémenté d’un tas d’éléments. Si on fait l’historique des logos des COP, on s’aperçoit en effet que le logo de la 28ème qui se tient en ce moment à Dubaï se démarque nettement. A y regarder d’un peu plus, le logo n’est pas qu’un simple design apolitique mais renferme énormément de contenu au sens surprenant au regard des différents enjeux environnementaux et de la réalité économique et politique qui agit le monde et les Emirats Arabes Unis.

Protection de la nature

Une bonne partie du logo comporte des animaux et des plantes. On retrouve un dromadaire, plusieurs arbres, des algues, des fleurs, etc. Un choix somme toute logique : tout le monde veut sauver les bébés baleines et préserver son paysage. Il parait néanmoins ambitieux quand on sait que les Emiratis sont particulièrement friands d’animaux sauvages et font donc tourner le trafic illégal d’animaux. Ou bien quand on sait que les énergies fossiles dont les EAU raffolent contribuent à la diminution de la biodiversité.

Cependant, les Emirats sont aussi capables de protéger la nature, à l’image de Sir Bani Yas. Cette île autrefois désertique a été réhabilitée en savane africaine. Aujourd’hui, des milliers de gazelles ou bien de guépards y vivent et plusieurs centaines de villas y ont été installées. Peut-être que cette île est davantage protégée pour la rendre plus attrayante pour leurs riches touristes plutôt que par réel intérêt environnemental, mais il reste néanmoins que c’est une entreprise louable.

Mais instaurer des parcs nationaux, ce n’est pas assez. Guillaume Blanc, historien de l’environnement et théoricien du « colonialisme vert » expliquait récemment au journal L’Echo que l’on « croit qu’en préservant, on fait quelque chose de bénéfique pour la nature. Mais cette idéologie nous exonère des dégâts que l’on cause partout ailleurs et elle nous permet de faire perdurer notre mode de vie destructeur. »

Le prix de vivre au milieu du désert

Afin de réduire le plus possible les émissions de gaz à effets de serre (GES) et autres pollutions induites par les systèmes alimentaires (plus d’un tiers des émissions mondiales de GES), il faut consommer local en plus de consommer des produits qui consomment tout simplement moins d’énergie. Ça, les Emiratis n’arrivent pas vraiment à le concrétiser puisque leur nourriture est en très grande majorité importée. Et on les comprend étant donné qu’ils vivent tout bonnement au milieu d’un désert qui n’offre que peu d’opportunités alimentaires. Néanmoins, leur consommation alimentaire représente un anti-modèle. On finit par se demander pourquoi près de 10 millions d’humains vivent ici. On me souffle dans l’oreillette que ça aurait avoir avec un certain or noir ? Justement, je crois que l’émission Questions pour un champion a déjà abordé le sujet…

Les éoliennes qui tournent au pétrole

Top ! Je suis un des pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre par habitant, mon mix énergétique est composé en écrasante majorité par le pétrole et le gaz naturel, je suis le 5ème exportateur mondial de pétrole et comme source d’énergie fétiche pour la COP 28, je choisis, je choisis…

– Des panneaux solaires et des éoliennes ?

Ah oui oui oui ! C’est gagné !

Quoiqu’en dise France TV avec un surprenant – pour ne pas dire honteux – reportage mettant en lumière Dubaï comme étant une ville verte parsemée de panneaux solaires, les Emirats ne se dirigent pas vers un modèle énergétique soutenable. Leurs innovations économes en énergies ne sont permises que par leur exploitation sans vergogne du pétrole et du gaz. On remarquera aussi l’absence de l’atome dans le logo.

Dimanche 3 décembre, le président de la COP, aussi président de la compagnie pétrolière nationale, avait d’ailleurs montré un visage plus sombre lors d’un échange avec Mary Robinson, l’ancienne présidente irlandaise : « Aucune étude scientifique, aucun scénario, ne dit que la sortie des énergies fossiles nous permettra d’atteindre 1,5 °C. (…) Montrez-moi la feuille de route d’une sortie des énergies fossiles qui soit compatible avec le développement socio-économique, sans renvoyer le monde à l’âge des cavernes ». Le ton est donné. L’écologisme, c’est bien mais il ne faut quand même pas pousser le bouchon trop loin ; le PIB passe avant les GES.

En effet, je ne pense pas que les hommes des cavernes se déplaçaient en avion par exemple. En revanche, les Emiratis, eux, en raffolent.

Avions et voiliers

On ne l’attendait pas vraiment au rendez-vous, mais on aperçoit en effet un avion dans ce logo qui, décidément, continue de nous surprendre. Tel la courbe du PIB, l’avion doit continuer de s’envoler. L’avion qui, rappelons-le, est le moyen de déplacement le plus polluant au monde, le carburant propre n’étant pas pour aujourd’hui et assurément pour jamais. Peut-être l’avion est-il tout simplement un clin d’œil au moyen de transport favori des participants à la COP ? Plus bas dans le logo, on trouve un voilier et une barque qui contrastent fortement avec l’avion ? Une présence hors sol qui a tout l’air de vouloir camoufler la présence de l’avion.

Harmonie et prospérité

En un mot, le logo de la COP 28 montre qu’un modèle prospère et harmonieux est possible. Que, main dans la main, nous pouvons sereinement redresser le changement de climat. Fermez donc les yeux, nous nous en occupons. Ma démonstration vient remettre en cause cette logique. Qu’y-a-t-il donc de prospère dans le fait de continuer à extraire gaz et pétrole de manière frénétique ? Où sera l’harmonie dans nos sociétés inégalitaires alors même qu’on sait que ce sont les plus pauvres qui seront le plus durement touchés ? Où est l’harmonie toujours, chez les migrants qui sont obligés de quitter leur terre à cause de conséquences du réchauffement climatique ? Si le logo était séparé de la réalité, ce ne serait pas si grave. Seulement, il représente très bien ce discours hypocrite en arrière-fond qui nie les enjeux actuels et essaie de tout régler par la technologie. Il est essentiel de ne pas couper le dialogue avec les pays les plus pollueurs – dont le nôtre fait partie – afin de les convaincre, mais cela ne nous empêche de les critiquer et de pointer leur hypocrisie.

Humanitaire, Humain à terre

Humanitaire, humains à terre ?

Humanitaire, humains à terre ?

Tout a commencé il y a un an. Fraîchement débarqué dans une école de commerce, j’entends qu’une asso étudiante y organise régulièrement des “Missions de Solidarité Internationale”. Et les destinations ne manquent pas. Un mois pour bâtir une école et rencontrer des locaux, un mois pour explorer des pays comme le Togo, un mois pour se rendre vraiment utile… Quoi de plus alléchant pour justifier une empreinte carbone légèrement supérieure à la moyenne ? Et puis, j’en discute avec une amie, qui me dit si justement : “En allant construire une école alors que tu n’en as aucune compétence, tu ne crois pas que tu vas justement prendre l’emploi de ceux qui ont cette compétence sur place ?”. Implacable.

En quête de certitudes, je me tourne vers la communauté Écolucide : l’humanitaire n’est- ce pas une vaste arnaque de plus ? Vous êtes très nombreux à répondre, et vos expériences sont diverses. Disons qu’il y a du bon, et du beaucoup moins bon. Alors essayons de faire le tri, vu que c’est écolo.

L’humanitaire, c’est un sacré fourre tout. L’humanitaire, c’est le bras armé de l’humanitarisme, qui se fonde sur le respect et la solidarité entre êtres humains. En 1864, sur le champ de bataille de Solférino, Henri Dunant, suisse de son état, est choqué de voir à quel point les blessés sont livrés à eux mêmes : la Croix Rouge est née. Elle est la digne fille de la déclaration des Droits de l’homme, où la condition d’une humanité partagée, d’une humanité blessée, dépasse les intérêts nationaux. La mondialisation n’aura de cesse d’élargir l’aide humanitaire, quitte à titiller les gardiens des frontières (les Etats). C’est la création de Médecins sans Frontières en 1971, peu après la guerre civile nigériane.

Parler d’humanitaire, c’est parler d’aide humanitaire. Et ça n’est pas tout et n’importe quoi. Primo, il faut identifier des personnes vulnérables. La vulnérabilité peut être critique et très soudaine, : c’est tout le sens de l’aide d’urgence, et le but de l’humanitaire est alors de répondre à des catastrophes naturelles ou d’origine anthropique (les guerres par exemples). Dans une acception plus large, l’humanitaire lutte aussi contre la pauvreté : c’est  l’aide au développement. Une fois les personnes identifiées, et les risques considérés, il faut alors évaluer l’assistance nécessaire, recruter des équipes compétentes pour intervenir sur place, veiller chaque jour à la bonne utilisation des fonds et à la logistique, respecter des standards, et surtout : prévoir une stratégie de sortie. Parce que tout ça ne doit pas durer éternellement.

En 1987, le Live Aid rassemble les plus grands artistes de l’époque (U2, David Bowie, Queen…) et récolte plus de 127 millions de dollars pour soulager la famine éthiopienne. Les ONG (organisation non gouvernementales), récoltent les dons à travers le monde. Et ça représente beaucoup d’argent. A la fin des années 2000,  une multinationale comme Oxfamaffiche par exemple un budget qui avoisine les 5 milliards de dollars : cinq fois plus que le PIB du Burundi à la même époque. S’il existe un certain nombre de réussites indéniables, l’aide internationale n’a pas eu que des vertus. Dans un ouvrage choc, intitulé Pourquoi l’aide ne fonctionne pas, et pourquoi il y a une meilleure voie pour l’Afrique, Dambisa Moyo, économiste zambienne, déclare même que l’aide internationale maintient l’Afrique dans la pauvreté, la dépendance encourageant en effet la corruption. Un constat que tout le monde ne partage pas, mais qui a le mérite d’appeler à une analyse plus lucide de l’efficacité d’une action humanitaire.

Il est temps de mettre les choses au clair : Si une agence vous demande de régler les dépenses et les billets d’avion pour une mission de quelques semaines, CE N’EST PAS DE L’HUMANITAIRE ! C’est du volontourisme. Et votre seule bonne volonté n’est pas un critère suffisant pour partir au bout du monde, contrairement à ce que certains voudraient vous faire croire. Partir en mission humanitaire, ça demande des compétences, une formation. Folle arrogance de certains, que de croire que du haut de leur vingt ans (peu importe l’âge), ils seraient plus apte, à donner des cours de langue, bâtir, ou administrer des soins, qu’un personnel plus qualifié qu’eux sur place.

Payer 6 000 euros pour donner un coup de peinture, remblayer, puis partir en trek, ce n’est pas de l’humanitaire. C’est d’abord du business, certains en ont fait leur coeur de métier comme Project Abroad et ses 600 salariés. Attention aussi à l’image renvoyée. Seriez vous heureux qu’un cortège de Japonais vienne distribuer de la nourriture en France et prendre deux trois photos avec des enfants (sans le consentement des familles) pour alimenter leurs réseaux sociaux ? Est ce que ça vaut vraiment le coup de cramer plusieurs tonnes de carbone pour nouer des liens avec des gens que vous ne verrez plus dans trois semaines (pas terrible pour la stabilité émotionnelle des enfants au passage) ?

Si le Cambodge est passé en 30 ans de 7 000 à 37 000 orphelins, c’est d’abord parce que certains ont compris que la compassion des Occidentaux rapporte gros. Voilà pourquoi une mission humanitaire sérieuse doit être passée au crible de toutes ses conséquences. On dit que la route vers l’enfer est pavée de bonnes intentions, alors attention. Si vous décidez de partir, privilégiez des dispositifs encadrés, comme par exemple, le volontariat de solidarité internationale. Ok, Écolucide, mais je ne veux pas me prendre la tête, je veux juste voyager, et quitte à cramer beaucoup de kérosène, autant me rendre utile non ? Outre que ce discours n’est pas très responsable, il ne faut pas faire tout et n’importe quoi. Ex : si vous comptez distribuer gratuitement vos habits de fond de tiroir, abstenez vous. Vous flinguez l’économie locale, alors achetez plutôt chez les commerçants du coin, ce sera déjà mieux.

Vous voulez aider ? Pas besoin de jouer les héros sur Linkedin avec une expérience en volontourisme. Vous ne vous différencierez que de ceux qui ne sont pas tombés dans le panneau. Faire de l’humanitaire ailleurs, c’est très exigeant, peut être trop. Alors pourquoi partir (ça vaut aussi pour le tourisme) ? Près de chez vous, des associations vous tendent les bras : Secours Populaire, Secours Catholique, Restos du Coeur, le Rocher, les Petites Soeurs des Pauvres… Et tant d’autres qui se battent pour les plus vulnérables. Aide matérielle, financière, éducative, émotionnelle : tout le monde y trouvera son compte, et l’on y fait de magnifiques rencontres. D’aucuns diront que c’est moins sexy, certes. Mais tellement plus authentique, plus durable, plus lucide… Bref, pas d’excuse pour ne pas se rendre utile.

jongle avec la terre

Qatar : un Mondial neutre en carbone ?

Cette 22ème coupe du monde n’a pas encore commencé que les articles pleuvent déjà par dizaines, voire par centaines : d’aucuns accusent la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) et le Qatar d’organiser un mondial qualifié par certains d’une « aberration écologique”. Au milieu de ce déluge, personne ne nage sérieusement à contre-courant – ou alors il se ferait vite emporter au fond de l’eau. En cela, nous faisons face à un paradoxe : alors que tous pointent d’un doigt accusateur le mondial 2022, peu voire aucune conséquence ne semble se dégager. Comme si nous décochions nos flèches vers une même cible, la raison individuelle, sans qu’elle ne daigne convertir les convictions en actions (manifestation, boycott, …). Il faut dire que de l’autre côté – pour une partie non négligeable des Français en tout cas – la passion tire la corde avec acharnement. Une passion sous stéroïdes en Europe, a fortiori cette année en France dont l’équipe est détentrice du titre de champion du monde.

Qui sème la pluie récolte le déluge

Les raisons de cette colère sont désormais bien connues : un désastre humain et moral ainsi qu’un fourvoiement total des objectifs environnementaux. Cependant, quand on parle des dérives du mondial, c’est plus souvent pour dénoncer les conditions des ouvriers – sujet toutefois très important – ayant construit les stades que pour parler du désastre écologique, du moins dans sa totalité. Ainsi, nous nous concentrerons sur l’aspect environnemental de l’événement. Et croyez-moi, un article n’est pas de trop.

Sur le plan environnemental donc, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) montre patte verte et assure que le mondial 2022 sera « neutre en carbone ». A première vue, cela fait un peu trop beau pour être vrai, mais il faut tout de même souligner que cette question n’est que très peu traitée dans les médias. Pourtant, si les dires des organisateurs sont vrais – et réalisables -, la polémique écologique n’aurait pas lieu d’être.

Dans une vidéo publiée en juin 2022, Gianni Infantino, président de la FIFA depuis 2016, appelle chacun à brandir le carton vert de la FIFA pour la planète.

Des chiffres remis en question

Selon les organisateurs, 3,63 Mégatonnes d’équivalent CO2 (MtCO2e) seront émis par la coupe du monde, dont la moitié (51%) par les transports. C’est autant que l’empreinte carbone de 440 000 Français (ministère de l’environnement, données 2020). En mesure concrète, l’on retrouve notamment la climatisation des stades (qui sont à ciel ouvert) ou bien la mise en place d’un couloir aérien entre le Qatar et d’autres pays étrangers. Selon L’Obs, un avion décollera toutes les 10 minutes.

Mais les 3,63 MtCO2e annoncés par la FIFA sont fortement remis en question, tout comme leur compensation à l’aide de crédits carbone. A l’origine de ces doutes, il y a une ONG belge. En mai 2022, Carbon Market Watch a publié un rapport mettant très fortement en doute les dires de la FIFA.

7 stades de plus dans le désert

En outre, les émissions concernant la construction des six stades permanents seraient 8 fois plus importantes. Le royaume n’accueillant que peu de matchs importants, il n’existait qu’un seul grand stade. Il a donc fallu en construire sept pour l’occasion : six permanents et un démontable.

Les émissions de GES comprennent donc logiquement les émissions liées à la construction des 6 stades permanents. Cependant, elles sont rapportées au temps d’utilisation, soit 70 jours. Ainsi, alors que la construction du stade démontable a été évaluée à 438 kt d’équivalent CO2, la construction d’un stade permanent (sans les sièges démontables) a été évaluée à 4,5 kt CO2e… Dans leur logique, les stades seront utilisés après la coupe du monde, contrairement au stade démontable (le dénommé « stade 974 » ou « Ras Abu Aboud ») ou aux sièges démontables dont la mise en place et leur désinstallation est directement et incontestablement imputable à l’évènement du mondial.

Vers des stades fantômes ?

Mais le futur de ces stades semble loin d’être radieux. En outre, quand le mondial sera terminé, l’utilité de ces stades sera remise en question. J’en veux comme preuve ce qu’il se passe déjà dans certains stades russes (cdm 2018), brésiliens (cdm 2014) ou sud-africains (cdm 2010) qui sont en difficulté financière au vu de l’absence d’activité, contrairement aux stades allemands (cdm 2006). Par exemple, un stade de 40 000 places (qui sera ensuite transformé en un stade 20 000 places) sera réhabilité comme stade d’une équipe locale auquel le stade actuel a une capacité inférieure de presque deux fois.

Ainsi, la réhabilitation des stades à posteriori de la coupe du monde est secondaire. Ce n’est qu’une conséquence du mondial et qui plus est fort instable. Néanmoins, l’on ne peut pas exclure le fait que les stades se rempliront grâce à un possible intérêt généré par cet évènement international de taille qui n’a encore jamais eu lieu dans un pays arabe. Une sorte d’« effet coupe du monde », mais, dans une certaine mesure, à retardement : D’abord, le Qatar pourrait bénéficier de l’exposition médiatique gigantesque de la coupe du monde pour attirer le public qatari et des alentours afin de renflouer les nouveaux stades. De même, des jeunes espoirs pourraient voir dans le Qatar un lieu plein de potentiel pour leur carrière professionnelle. Ensuite, les jeunes qataris, et même les jeunes arabes, pourraient bien se décider à obtenir une licence de football et agrandir de ce fait les ligues nationales.

Toujours est-il que selon Carbon Market Watch, la construction des 6 stades permanents génèrerait au total (et au minimum, car l’ONG se réfère aux stades les moins grands et donc les moins émetteurs car elle n’a pas les données pour chaque stade) 1,62 MtCO2e, soit 8 fois plus qu’annoncé.

Des crédits carbone potentiellement caduques

Cependant, même si la FIFA avait correctement évalué les émissions de GES, la compensation environnementale qui doit mener à un bilan carbone neutre serait tout de même mise en péril. En effet, les organisateurs prévoient de compenser leurs émissions en achetant des crédits carbone (1 crédit carbone = 1 tonne de CO2). Le problème, c’est que les projets bénéfiques pour l’environnement qui génèrent ces crédits sont potentiellement « non additionnels ». Si c’est le cas, ces projets verraient le jour de toute manière et la vente de ces crédits ne sera donc qu’un plus, qu’une addition. D’ailleurs, les principaux standards de certification – Verified Carbon Standard (VCS) et Gold Standard (GS) – ont exclu les projets de ce type.

De plus, le principe même de la compensation environnementale via le marché du carbone a un côté pervers. Il aurait été plus utile de chercher un moyen d’émettre un minimum de GES plutôt que de chercher à les compenser très maladroitement. De plus, ce marché ne favorise pas la transition vers un modèle plus sobre mais reste, au contraire, dans le mythe de la croissance verte.

Un choix pour le moins questionnable

Le choix de ce pays est décidemment un amas d’inepties et de contre-sens. Il a fallu construire 7 stades, des routes, des hôtels de luxe et d’autres infrastructures pour accueillir le public dans un pays très chaud et dont – comme si ce n’était pas assez – le mix énergétique est composé à 99% de sources d’énergie haut carbone (gaz et pétrole en tête). Pour tout dire, le Qatar est même classé comme l’un des pays les plus pollueurs au monde en émissions de CO2 par habitant (32,5 tonnes/habitant en 2019, Banque Mondiale). Toujours sans oublier que la condition des ouvriers au Qatar est épouvantable et que les droits humains y sont chétifs.

L’on aurait aimé pouvoir croire à une adaptation extraordinaire de la part de la FIFA, mais que nenni. Il se produit ce que à quoi tout le monde s’attendait : absolument rien sinon que des chiffres et promesses en herbe tenus de nous laisser endormis. Une question plus large apparait alors : le football international est-il compatible avec l’écologie ? Peut-il même l’être ? A en voir les rires de Christophe Galtier et de Kylian Mbappé lundi 5 septembre lorsque l’on avait soumis la possibilité de déplacements plus sobres, la réponse semble être négative. Mais qui sait, le football retrouvera peut-être la raison.