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Pourquoi il est urgent de relancer Superphénix

Le retour de Dominique Voynet à l’Assemblée Nationale s’est accompagné de son lot de controverses. N’est-elle pas celle qui, après tout, s’était vanté dans une vidéo restée célèbre d’avoir mis fin au programme Superphénix ? A l’époque, les Verts avaient présenté cela comme une grande victoire contre le dangereux lobby nucléaire. Mais la vérité est tout autre et l’on commence aujourd’hui à s’en rendre compte… 

Déjà, qu’est-ce que Superphénix ? Lancé dans les années 70, le programme Phénix, puis Superphénix était révolutionnaire. Il s’agissait d’un réacteur à neutron rapide (RNR), unique en son genre à l’époque. Ce type de réacteur est appelé « surgénérateur ». En effet, il permet de produire plus d’isotope fissile qu’il n’en consomme. Sans vouloir rentrer dans des détails trop techniques, on peut résumer la chose ainsi : l’uranium utilisé par les réacteurs nucléaires produisent des déchets sous forme de plutonium. Or, les RNR permettent de réutiliser ce plutonium. Cela a deux conséquences et non des moindres. Premièrement, cela étend considérablement les réserves stratégiques du pays doté d’une telle technologie. On estime ainsi que le stock français actuel passerait d’une durée de vie de 100 ans à une durée de vie d’environ 2300 ans si nous utilisions cette technologie. Surtout, cela permettrait de recycler les déchets nucléaires. Déchets qui sont le principal argument avancé par les anti-nucléaires pour que nous cessions d’utiliser cette technologie. 

Mais alors pourquoi avoir arrêté Superphénix ? Il y a deux raisons. La première est évidemment idéologique : pour certains militants ecologistes, l’énergie nucléaire est par essence mauvaise. Les mêmes qui se veulent radicalement constructivistes lorsque l’on parle de nature humaine deviennent subitement profondément essentialistes lorsque l’on parle de l’atome.

Le nucléaire ne trouvera jamais grâce à leurs yeux. Il y a aussi et surtout un argument économique. Beaucoup avancent ainsi qu’en l’état actuel, les RNR ne sont pas rentables au regard du coût de l’uranium. C’est la raison pour laquelle le projet Astrid, qui devait remplacer Superphénix, fut abandonné sous Emmanuel Macron.

C’est cependant une vision de court terme. Ceux qui la défendent affirment qu’il sera toujours temps de relancer des RNR lorsque la situation changera. Certes, mais ferons-nous assez vite ? Construire un réacteur nucléaire est toujours un projet pharaonique, or il nous faudrait idéalement construire plusieurs RNR. 

Cela demande du temps et donc de l’anticipation. De plus, le nucléaire est la pierre angulaire de l’industrie française. L’économie, c’est de l’énergie transformée. En nous assurant une énergie peu onéreuse, c’est donc le nucléaire qui permet à notre industrie d’être compétitive. Du moins… en théorie. En ce domaine, le grand problème de la France s’appelle « marché commun de l’électricité », mais c’est un sujet pour un autre jour… 

Reste l’essentiel. Les RNR comportent plusieurs avantages et non des moindres. Ils permettraient de faire du nucléaire une énergie verte à 99,99% en recyclant la quasi-totalité de ses déchets. Ils donneraient à la France une autonomie stratégique de plusieurs milliers d’années et ils permettraient en théorie de faire de son industrie l’une des plus compétitive au monde. Alors, on attend quoi ? 

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Une France sans nucléaire est-elle possible ?

Chez Ecolucide, on a longtemps défendu le nucléaire. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’est né le média. Mais aujourd’hui, alors que nous sommes en pleine période d’élections législatives, nous pensons qu’il est nécessaire de discuter du nucléaire, de le remettre en cause pour mieux l’apprécier.

Jouissant d’un appui solide des Français, de nombreux partis politiques ont embrassé l’atome. Mais tels Icare, certains pourraient se brûler les ailes à trop s’approcher du soleil que représente l’énergie nucléaire. Le Rassemblement National est ainsi devenu la risée des experts quand Marine Le Pen a annoncé vouloir construire 20 EPR d’ici 2036. « C’est plus que ce que la filière nucléaire réclame et ne saura faire, et il est complètement irréaliste de penser que ces réacteurs pourraient être construits dans de tels délais », explique à L’Express Nicolas Goldberg, responsable énergie au think tank Terra Nova et consultant dans le secteur. A l’inverse, le Nouveau Front Populaire s’est attiré les foudres de bien des Français en masquant le sujet du nucléaire [1]. “Quel est donc ce parti se disant écolo qui ne parle pas de nucléaire ?” pouvait-on entendre. Mais le nucléaire est-il un argument rédhibitoire ?

Après avoir montré en quoi nous pouvons nous en passer, nous nous demanderons si c’est un choix souhaitable.

Un scénario 100% renouvelable

Sa place dans le mix électrique français est telle qu’on tendrait presque à oublier que le nucléaire n’est pas indispensable. Dans sa synthèse des Futurs énergétiques 2050, RTE a imaginé six scénarios de mix électrique, allant du 100% renouvelable (M0) au mi-nucléaire mi-renouvelable (N03). D’un côté on a donc RTE, le gestionnaire de réseau de transport d’électricité français, qui dit que le sans nucléaire est possible, et de l’autre une ribambelle de commentateurs qui écartent tout parti politique ne mettant pas l’atome sur un piédestal.

L'ensemble des 6 scénarios imaginés par RTE. Nous nous concentrerons sur le scénario M0 qui parie sur un mix 100% renouvelable en 2050.

Explorons rapidement les tenants d’un mix sans nucléaire en 2050.

Vous êtes sûrement nombreux à vous demander comment un mix sans nucléaire et sans centrale thermique polluante est réaliste. En effet, l’Allemagne a déjà investi dans ce pari du sans nucléaire, un pari perdant puisque c’est le charbon – bien plus polluant – qui a pris la place du nucléaire. RTE prévoit évidemment un autre scénario pour la France. Un deuxième défi consiste à trouver un moyen de sécuriser le réseau, c’est-à-dire d’être capable d’alimenter les Français et les infrastructures. Cependant, s’il n’y a que des éoliennes et des panneaux solaires, l’électricité produite sera au bon vouloir du vent et du soleil. RTE insiste : gérer des cycles jour/nuit et de très grandes différences de production est « un défi technique majeur. […] Le système doit notamment pouvoir absorber des périodes de plusieurs semaines consécutives sans vent en déstockant de l’énergie, ce que des batteries ou une gestion intelligente de la demande ne permettront pas de réaliser » (p. 34 -35). D’ailleurs, les rythmes de développement des énergies renouvelables (éolien terrestre et offshore et énergie solaire) devront être très importants, et même « plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques » (p.28). C’est un véritable défi technique qui a des chances de rater.

Selon RTE, « il n’existe pas d’autre moyen [pour faire face au problème de l’intermittence] que les centrales nucléaires ou les centrales thermiques utilisant des stocks de gaz décarbonés » (p. 35). C’est ce qu’on appelle des solutions de « back-up », de renfort. Le dilemme se pose alors entre le nucléaire et les “gaz décarbonés” (parfois dits gaz verts). Par cette expression RTE entend « l’hydrogène bas-carbone, le biométhane, le méthane de synthèse ou le méthane fossile associé à un dispositif de captage et stockage du carbone (CCS) » (p. 197 [2]). Autant de méthodes de production d’énergie qui permettraient de se passer du nucléaire. Néanmoins, ces gaz verts en sont à leur balbutiements en France, et font déjà face à des défis d’acceptabilité sociale. Par exemple, si la méthanisation rejette peu de gaz à effets de serre, elle produit des odeurs nauséabondes qui compliqueraient son développement à l’échelle nationale (Stéphane CARIOU & Jean-François DESPRES, 2023, Émissions gazeuses odorantes issues de la méthanisation).

A plus petite échelle, des batteries pourront également être mises en place. Les panneaux solaires les rechargeraient la journée, et on dépenserait l’énergie accumulée du soir au matin. Dans une France sans nucléaire, la flexibilité énergétique, soit la capacité d’ajuster l’offre avec la demande, deviendra un enjeu important étant donné le poids des énergies intermittentes.

Souhaitable ?

Le sans nucléaire est donc possible, mais est-il souhaitable pour autant ? La production d’électricité nucléaire par fission en France émet relativement peu de gaz à effet de serre, est plutôt pilotable, sûre, et est de plus en plus plébiscitée par les Français (75% des Français s’exprime favorablement sur la production d’électricité nucléaire, IFOP, 2022). Le hic tient en ses infrastructures vieillissantes et menacées par le changement climatique. Le risque est de paralyser le parc nucléaire avec des maintenances à répétition et donc des pertes d’énergie de plus en plus importantes. Néanmoins, les problèmes comme les solutions sont plutôt bien connus. Il faudrait davantage construire les centrales près de la mer en circuit ouvert ou bien près d’une importante source d’eau et avec des tours aéroréfrigérantes. De plus, il faudra veiller à ce que les centrales ne soient pas installées dans des zones inondables – là aussi, c’est loin d’être insolvable.

Sortir du nucléaire a également un cout : « les scénarios de sortie du nucléaire dès 2050 (M0) ou fondés majoritairement sur le solaire diffus (M1) sont significativement plus onéreux que les autres options » (p. 33), écrivent bleu sur blanc les experts d’RTE dans leur synthèse. Néanmoins, on ne peut pas mettre sous le tapis les retentissants surcoûts de l’EPR de Flamanville. Selon Reporterre qui s’appuie sur une enquête parlementaire, le nucléaire coûte même de plus en plus cher, d’autant plus que les coûts sont difficilement chiffrables. Le coût du nucléaire ne fait donc pas vraiment consensus : « tout dépend de la dose d’optimisme, ou inversement du pessimisme », estimait France Inter en 2021.

Le nucléaire n’est pas magique

Le nucléaire ne doit donc pas devenir un élément magique. Il n’est pas la clé de voûte d’une politique environnementale, ni même énergétique. S’il est prôné par certains, retenez bien que la meilleure énergie c’est d’abord celle qu’on ne consomme pas. Il serait très intéressant d’analyser sociologiquement les raisons qui poussent ces individus à chérir aussi fort l’électricité nucléaire. Sans doute y-a-t-il un peu de chauvinisme mélangé au fait que le nucléaire réconforte les éco anxieux ; le nucléaire apaise peut-être. C’est précisément pour cette raison qu’il faut mieux l’expliquer et lui enlever cette aura qui le protège de toute critique. A droite surtout, on ne jure que par lui, peut-être pour apaiser sa conscience et ne plus penser aux autres enjeux. Non, le nucléaire ne résoudra pas le réchauffement climatique à lui tout seul. D’ailleurs, il est souvent prôné par opportunisme, car les politiques savent que l’étiquette “nucléaire” gonfle les voix. Il faut aussi garder en tête que l’énergie nucléaire n’est pas une énergie renouvelable et qu’il faudra un jour s’en séparer.

« Le nucléaire c’est 5% du problème mais 95% des discussions »

Dicton largement popularisé par Jean-Marc Jancovici

La position d’Ecolucide est moins celle, figée, qui défend le nucléaire à tout prix, que celle qui remet calmement en question ses détracteurs, et ce toujours avec un objectif de lucidité.

[1] Il y a quatre occurrences du mot “nucléaire” dans leur programme, et aucune visibilité sur la place de cette énergie dans leur mix électrique.

[2] Toutes les précisions de page concernent la version du rapport “résumé exécutif”. Cette citation est tirée du rapport complet.

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Pourquoi en France le nucléaire n’est pas une énergie dangereuse

Dans le paysage énergétique français, le nucléaire joue un rôle prépondérant, alimentant des débats souvent polarisés. Pour certains, le nucléaire est une panacée, tandis qu’il représente un péril écologique majeur pour d’autres. Ici, comme ailleurs en écologie, seule une approche pragmatique et dépassionnée permet d’en saisir les véritables enjeux.

La France est le deuxième plus grand producteur d’énergie nucléaire au monde après les États-Unis, avec environ 70% de son électricité provenant de cette source. Cette prédominance du nucléaire, initiée par le général de Gaulle et poursuivie dans les années 1970, visait à réduire la dépendance aux énergies fossiles et à garantir notre souveraineté énergétique. Aujourd’hui, cette stratégie positionne la France comme l’un des pays ayant les plus faibles émissions de gaz à effet de serre par unité d’électricité produite. En effet, les émissions de CO2 liées à la production d’énergie nucléaire sont minimes comparées à celles des combustibles fossiles. Cette caractéristique fait du nucléaire une énergie « décarbonée ». Ce n’est donc pas ici que le bât blesse. Pour ses détracteurs, les principaux problèmes du nucléaire sont les suivants : la sécurité des centrales et la gestion de leurs déchets.

La question de la sécurité des installations nucléaires est l’un des principaux épouvantails qu’agitent les opposants au nucléaire. Les accidents de Tchernobyl et de Fukushima ont marqué la mémoire collective par leur aspect spectaculaire. Pourtant, ces deux évènements (et surtout Fukushima) ont laissé peu de séquelles sur l’environnement et les hommes. Ainsi l’ONU estime que l’accident de Tchernobyl n’a directement tué que 56 personnes. Certes, l’organisation craint que la catastrophe provoque à terme 4000 cas de cancers de la thyroïde. En revanche, le taux de guérison est estimé à 99%. A Fukushima, aucun mort, direct ou indirect, n’est pour l’instant imputable ou prévu des suites de la catastrophe nucléaire. La tragédie qu’à connu le Japon est essentiellement due au tsunami et au conséquent déplacement de population.  Mieux, on estime que le niveau d’exposition aux radiations autour de la centrale est aujourd’hui repassé en dessous du seuil d’intolérance humaine. Pour nous autres Français, le point essentiel à comprendre est le suivant : ces accidents n’ont aucune chance de se produire dans notre pays. L’accident de Tchernobyl est lié à deux facteurs : le type de centrale et la mauvaise sécurité de l’installation. Un tel accident est impensable en France. Tout d’abord, le réacteur en cause était un RBMK-1000 dont la conception diffère radicalement des réacteurs à eau pressurisée ou bouillante utilisés en France. Surtout, les normes de sûreté en vigueur en France sont bien plus strictes qu’elles ne l’étaient à Tchernobyl en 1986. Rappelons que l’Autorité de Sûreté Nucléaire s’assure chaque année que les centrales du parc français respectent les protocoles de sûreté et que leurs équipes soient formées à la gestion des situations d’urgence. Les ingénieurs français accomplissent leur mission avec sérieux et diligence. Notre problème n’est pas là mais dans notre incapacité à renouveler notre parc. Quant à Fukushima, le problème est différent mais ne concerne pas non plus la France. Le Japon est un pays surexposé aux risques sismiques et aux raz de marée. Ce n’est pas notre cas. Au contraire, en France métropolitaine, l’activité des plaques tectoniques est très faible, faisant de notre pays l’un des plus sûrs au monde concernant les risques de tremblements de terre et de tsunami. Ainsi, la probabilité que l’activité sismique provoque dans notre pays une catastrophe telle que celle de Fukushima est extrêmement faible, si ce n’est tout à fait nulle.

On rétorquera que le chiffre de 4000 morts potentielles des suites de cancers est un chiffre intolérable qui devrait résolument nous pousser à interdire l’exploitation du nucléaire. Il est pourtant à relativiser. Comparons donc ce chiffre avec quelques accidents survenus lors de la rupture de barrages hydrauliques : en 1923, le barrage à voûte du Gléno céda en raison d’un défaut de construction, déversant 4,5 millions de mètre cube d’eau en contrebas et tuant 356 personnes. En France, la rupture du barrage à voûte de Malpasset en 1959 entraîna le déferlement d’une cinquantaine de millions de mètres cubes d’eau et la mort de 423 personnes. Celle du barrage de Banqiao en Chine suite au typhon Nina entraîna la rupture de 61 autres barrages en aval et aurait provoqué la mort de 26 000 personnes selon le gouvernement chinois voir 100 000 selon d’autres estimations. Notons également qu’au même titre que les centrales, les barrages sont stratégiquement de potentiels cibles militaires, alimentant notamment de nombreuses craintes du gouvernement chinois concernant les fameux barrages des trois gorges en cas d’invasion de Taïwan.  De plus, les risques professionnels et civils liés à la construction et à l’exploitation des barrages demeurent élevés.

Les autres sources d’énergies vertes ne sont pas en reste. Les centrales à biomasse, exploitant le carbone contenu dans de la matière organique, entraînent peu ou prou les mêmes risques sanitaires que les énergies fossiles (pollution atmosphérique, cendres, rejet de particules fines et ultrafines. Enfin les dangers relatifs à l’éolien et au photovoltaïque se trouvent plutôt en amont. Ces technologies nécessitent des métaux rares et précieux ce qui entraîne les mêmes risques que dans toute activité de minage. Cependant les révélations des dernières années sur les conditions d’exploitation de ces mines, souvent dans des pays pauvres, a de quoi glacer le sang. La ville chinoise de Baotou, proche d’une exploitation de terres rares est ainsi surnommée la ville cancer par les médias locaux car aucun être humain ne semble y survivre plus de quarante ans…

L’atome est donc certes une source d’énergie présentant des risques, mais ceux-ci sont minimes dans notre pays et surtout, il ne présente in fine pas plus de risques que les autres sources d’énergie. Critiquer le nucléaire sur ce point relève donc de l’idéologie ou de la peur irrationnelle. Au contraire, l’uranium 235, bien qu’imparfait, demeure une ressource dont nous disposons en abondance et dont l’impact écologique est minime. Dans les prochains articles, nous verrons d’ailleurs en quoi les risques liés à la gestion des déchets sont maîtrisés en France et surtout en quoi le nucléaire est le meilleur atout de notre pays dans la guerre mondiale énergétique en cours.

  • Rapport de L’ASN sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2021
  • Maxime Amblard, Abondance et Pénurie, 2023
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Le phénomène JMJ

Un phénomène médiatique

On ne le présente plus, Jean-Marc Jancovici (JMJ) est une des personnalités scientifiques les plus célèbres de l’hexagone. Reconnu pour son rôle majeur dans la sensibilisation aux enjeux climatiques, il a su éveiller l’intérêt de milliers de personnes, dont le nôtre chez Ecolucide. Il est aussi très célèbre pour ses exemples parlants, sa sagacité et sa rhétorique cinglante. Son influence est indéniable, tant par son engagement dans diverses institutions telles que le Haut Conseil pour le climat et Mines ParisTech, que par la création de sa société Carbone4, du think tank The Shift Project et, plus récemment, par le succès de sa bande dessinée best-seller “Le Monde sans fin”.

Thèses controversées

Seulement, il n’est pas rare de voir JMJ présenter certains énoncés comme des vérités établies, les utilisant comme fondements pour ses démonstrations, bien que ces points ne fassent pas consensus parmi les scientifiques. Nous verrons dans un instant de quoi il s’agit. Je pense qu’il est important de mettre en exergue ces questions, afin de donner la parole à d’autres spécialistes qui ne bénéficient pas forcément de la même aura médiatique ou des mêmes talents d’orateurs que JMJ, c’est ce que cet article s’efforce humblement de faire.

L’énergie comme déterminant de l’histoire des sociétés humaines

Affirmer que c’est « l’énergie » ou la disponibilité en énergie qui détermine les comportements sociétaux est une avancée audacieuse par rapport aux connaissances scientifiques actuelles. Selon les travaux académiques de Giraud et Kahraman [1], il y aurait bien une causalité entre l’énergie et la croissance, mais cela ne permet pas de dire que c’est l’énergie qui détermine les comportements sociétaux. En amont de la consommation d’énergie, il y a des choix humains et sociaux de vouloir augmenter son capital, faire croître des entreprises, développer des activités, etc.

Dans le prisme énergétique, ces choix sont ignorés, alors que c’est la donnée principale du problème. Les ressources étaient déjà là, il y a quelques siècles, mais on ne les exploitait pas de manière exponentielle comme on le fait depuis la Révolution industrielle. Il en va de même pour la croissance de l’utilisation de la voiture qui avait une forte composante sociale. La réponse n’est pas simplement technique. Le prisme énergétique comme seule grille de lecture ne permet pas d’expliquer l’évolution des sociétés.

 La question du pic de pétrole

JMJ soutient la thèse selon laquelle le pic pétrolier (conventionnel et non-conventionnel) surviendra à court terme (« quelque part entre 2018 et 2022 »). Cependant, cette thèse est loin de faire l’unanimité parmi les spécialistes internationaux, même si certains la trouvent convaincante. Une première estimation suggère que nous devrions atteindre un plateau d’extraction, toutes techniques confondues, dans la deuxième moitié de la décennie 2020. Une seconde estime que les réserves accessibles sont suffisamment importantes pour que nous puissions continuer à augmenter la production (et détruire le climat) jusqu’en 2060.

Il convient toutefois de mentionner un article du Shift Project [2] qui, sous l’angle de la finance, fait l’effort d’argumenter en faveur de l’existence probable de ce pic. Cependant, il n’y a pas de consensus scientifique sur la question. Il est également important de noter que le Shift Project, en tant que think tank, n’est pas soumis au processus de peer review, ce qui peut remettre en question la légitimité de certaines de ses publications.

L’éternelle controverse du nucléaire et des énergies renouvelables

Bien que JMJ soit souvent considéré comme pro-nucléaire, sa position est plus nuancée et il considère le nucléaire comme un outil de transition pour amortir le choc de la décroissance. Il affirme que les énergies renouvelables seules ne peuvent amortir la crise climatique. Pour autant, on ne peut pas nier non plus l’existence d’un débat – que balayent pourtant d’un revers de la main nombre de « jancovicistes », convaincus d’avoir accédé à la vérité ultime qui viendrait clore le débat.

En 2020, une étude du CIRED a relancé le débat sur la possibilité d’atteindre 100% d’électricité renouvelable en France d’ici 2050 [3]. L’étude montre qu’il est possible d’atteindre cet objectif pour un coût égal ou inférieur au coût actuel, même en prenant en compte les incertitudes liées aux conditions météorologiques et aux coûts des technologies émergentes. Les résultats ont suscité de vives réactions, en particulier de la part des partisans de JMJ, alors même que cette publication académique offre une méthode de simulation beaucoup plus fines que les quelques règles de trois de JMJ. L’ingénieur en énergie Emmanuel Pont s’est penché sur cette étude pour tenter un éclairage vis-à-vis de l’analyse de JMJ pour les plus curieux [4]. Il est assez évident qu’un mix énergétique est plus souhaitable que du 100% nucléaire ou du 100% renouvelables, mais cet article montre bien que JMJ a peut être une position trop affirmée sur ce sujet.

Le mot de la fin

L’influence de l’excellent vulgarisateur JMJ sur le débat public est aujourd’hui incontestable. Ces nombreux travaux et activités ont eu un impact extrêmement positif et sont passionnants. Seulement, je pense qu’il est primordial de se prémunir contre la pensée unique. Son style très péremptoire jette parfois un flou entre les arguments scientifiques qu’il avance et ses opinions personnelles moins factuelles. Attention, l’objectif de cet article n’est absolument pas de faire le procès JMJ, mais plutôt d’encourager à aller au-delà de ses idées attrayantes, qui peuvent être si convaincantes qu’elles incitent souvent à l’adhésion sans une analyse approfondie. Il convient de rappeler qu’il s’inscrit dans le sillage de centaines d’autres chercheurs et vulgarisateurs, parfois divergeant avec ses idées, qui contribuent également de manière significative à ces débats et qui méritent que l’on écoute attentivement ce qu’ils ont à dire.

Un article largement inspiré de l’excellent article de signaux faible https://signauxfaibles.co/partie-3-jancovici-le-revers-de-la-medaille/

[1]https://www.parisschoolofeconomics.eu/IMG/pdf/article-pse-medde-juin2014-giraud-kahraman.pdf

[2]https://theshiftproject.org/article/pic-petrolier-mondial-et-miracle-du-petrole-de-schiste/

[3]http://www.iaee.org/en/publications/ejarticle.aspx?id=3776&fbclid=IwAR0T_zqSxufdoXRI4EE6XuqiYo9sl_wH-JroFkb2UT4YRew4nIyCi6XtFKA

[4]https://medium.com/enquetes-ecosophiques/jancovici-100-renouvelable-1a820334496e

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Sangliers : Non, les chasseurs ne sont pas responsables

En 1973, les chasseurs français ont abattu 46 000 sangliers. Ils en ont prélevé 700 000 en 2018. Le constat est sans appel : les populations de sangliers explosent. Beaucoup d’idées reçues sur les causes de cette dynamique démographique sont entretenues par des groupes anti-chasse.

Qu’il s’agisse d’agrainage, de lâchers ou de croisements avec des cochons d’élevage, l’idée est toujours la même : les chasseurs sont responsables.

Pourtant, il suffit de faire quelques recherches pour s’apercevoir de la supercherie.

Le Sanglier

Avant toute chose, il est important de définir le sujet d’étude. « Sanglier » est un nom vernaculaire qui désigne différentes sous-espèces de Sus scrofa, une espèce de la famille des suidés, des mammifères « placentaires » de l’ordre des artiodactyles. En France, le doute n’est pas permis : la seule sous-espèce présente est Sus scrofa scrofa, le « sanglier d’Europe », pouvant atteindre 160 kg. Cet animal vit en groupes appelés compagnies. Il parcourt nos forêts depuis 700 000 ans.

Sus scrofa est un animal forestier, omnivore et très adaptable. Pourvu de canines très développées et d’une dentition bunodonte (comme les primates), son régime alimentaire s’étend des racines les plus coriaces à de petits animaux, en passant par des charognes. L’essentiel de son alimentation reste toutefois les fruits forestiers (glands, châtaignes, faines…).

Concernant la reproduction, Sus scrofa est encore une fois caractérisé par ses capacités d’adaptation. En effet, en fonction de son poids initial et des ressources alimentaires, la laie peut avoir entre 2 et 10 marcassins par portée. La période de gestation des femelles est de 18 semaines, soit 3 mois, 3 semaines et 3 jours. Les petits sont autonomes à partir de 6 mois.

Les arguments anti-chasse : florilège de désinformation

La plupart des anti-chasse et certains naturalistes prétendent que l’explosion démographique est imputable aux chasseurs français. Trois arguments principaux sont continuellement répétés, mais sont-ils pertinents ?

D’abord, les chasseurs relâcheraient des sangliers dans la nature pour renforcer les populations.

C’était effectivement une pratique très commune dans la deuxième moitié du XXe siècle, lorsque l’animal se faisait rare en France. Cependant, lorsque les populations ont commencé à progresser, les lâchers ont été soumis à autorisation préfectorale puis définitivement interdits en octobre 2022. Au vu des coûts des dégâts causés par cet animal, peu de lâchers ont vraiment eu lieu durant les 30 dernières années.

Méfiez-vous des images que vous croisez sur les réseaux sociaux à ce sujet : la plupart viennent de l’étranger.

Le deuxième argument classique est le nourrissage des sangliers par les chasseurs.

Il est vrai que les chasseurs épandent (en toute légalité) du maïs en forêt. Et, comme rappelé précédemment, la taille des portées des laies est corrélée aux ressources alimentaires. 

Seulement, ce maïs, le sanglier l’aurait mangé de toute façon, à la différence près que s’il n’avait pas été épandu dans sa forêt, il serait allé le chercher dans le champ voisin, en le saccageant au passage. L’agrainage dissuasif a ses limites mais a prouvé son efficacité.

Toutefois, il faut reconnaître que cette pratique connaît aussi des dérives. Malgré tout, leur impact reste marginal.

Le dernier membre de cette triplette malhonnête est le cochonglier. Selon eux, les chasseurs croiseraient des sangliers avec des cochons domestiques pour rendre les laies plus fertiles.

Cette affirmation est totalement gratuite et sans fondement. En effet, aucune étude n’a à ce jour établi que les hybrides étaient plus fertiles. De plus, les hybrides ne représentent que 3,6 % de la population de sangliers français et la responsabilité des chasseurs n’est que rarement mise en cause pour expliquer leur existence. 

Toutefois, la valeur sélective des hybrides serait vraisemblablement supérieure à celle des sangliers non croisés. leur proportion risque donc d’augmenter au fil du temps : à surveiller…

Sanglier : un problème mondial

Il aurait peut-être été plus simple de se contenter de rappeler que la dynamique démographique actuelle du sanglier en France est la même que partout dans le monde : proche Orient, Maghreb, Asie, Amérique, etc. Qu’il s’agisse de Sus scrofa ou d’autres suidés sauvages au mode de vie similaire, les populations connaissent la même progression démographique et apportent les mêmes problèmes, où qu’ils se trouvent. 

Pointer du doigt une cause locale à un phénomène mondial étant absurde, les chasseurs français ne sont donc pas les responsables de cette situation.

Mais alors, où chercher les responsables ?Les organismes sérieux qui se sont penchés sur la question désignent des causes bien différentes.

Le réchauffement climatique est la première chose qui vient à l’esprit. D’une part, les étés plus chauds stimulent la production de fruits forestiers, pilier de l’alimentation des sangliers. D’autre part, les hivers plus cléments épargnent d’avantages les marcassins, dont la mortalité baisse.

En France, l’anthropisation des campagnes en est une autre. Les champs représentent des réserves de nourriture et d’eau tandis que les zones périurbaines constituent de véritables réserves.

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Loi Fast Fashion : de la poudre de perlimpinpin

Mode jetable, la faible victoire 

Jeudi 14 mars, l’Assemblée Nationale a pris des mesures pour pénaliser la Fast Fashion. Sauf que tout ça n’est qu’un nuage de fumée. De la poudre de perlimpinpin. Ecolucide vous explique pourquoi . A première vue, cette loi est une excellente nouvelle : la France devient le premier pays à prendre des mesures contre ce qu’on appelle la « fast fashion ». Réjouissant. Cocorico ! Mais ne sommes nous pas juste en train de crier victoire sur un tas de fumier ?  Arrêtons toute hypocrisie et faux semblant : cette loi ne changera rien. Ecolucide rabat joie ? Peut être, mais avant de nous traiter de vieux réac, examinons cette loi. Que nous dit elle ?

 

Des critères très flous pour définir la fast fashion 

La proposition de loi définit la « fast fashion » avec des critères fondés sur les volumes produits et la vitesse de renouvellement. Sauf… que la loi ne définit rien, pas de seuil de référence (censé être fixé par décret),  ce qui rend le texte plus fragile en cas de recours. A priori, ce sont les enseignes proposant plus de 1000 références par jour qui seront visées, une enseigne comme Shein en propose plus de 7000 quotidiennement. A côté de ça, Zara joue dans la petite catégorie : 7000 nouveaux produits… par an. C’est dire qu’une loi était plus qu’urgente face à une telle aberration. 

 

Cependant 

Et bien oui cependant : car si on se penche sur le contenu de cette loi, c’est encore bien trop bon pour ce que nous coûte écologiquement toute cette camelote. La loi ne fixe pas le montant précis de pénalité par article vendu. Tout au plus prévoit t elle d’être progressive, avec une pénalité maximale de 10 euros par article en 2030. De quoi fortement limiter l’attractivité de ce magnifique t-shirt.  Les montants de ces pénalités seraient reversées aux enseignes durables (mais lesquelles ?) 

 

Blague à part 

Toute mesure qui peut mettre un frein à cette folie consumériste est en soi une bonne chose. Par ailleurs, la loi prévoit l’interdiction de contenu publicitaire lié aux « collections et accessoires à renouvellement très rapides ». Et il faut avouer qu’il ne serait pas déplaisant de voir un débouché supplémentaire se fermer pour nos influenceurs gavés d’or et de cheikhs cadeau. Néanmoins, en admettant que Shein ou que Temu ne vendent plus que 999 nouveaux articles chaque jour, croit on que tout s’arrangera par miracle ? Que les petits esclaves chinois seront soudain libérés ? Que l’industrie textile française rayonnera de nouveau ? 

 

In fine 

Pimkie, Camaïeu, San Marina, Kookaï, Kaporal…, les Français tombent au champ d’honneur.  Tandis qu’ici et d’ailleurs, Zara, H&M, Uniqlo ou Primark triomphent, l’on s’y rue frénétiquement et l’on se rachète une bonne conscience en achetant de temps en temps sur Vinted. Se contenter de cette loi, c’est croire qu’une chiquenaude renversera les montagnes. Alors à nous, à vous nos chères écolucioles, de proposer une véritable sortie à cette impasse. Sans quoi le coq chantera effectivement sur son tas de fumier. 

Sources 

https://rmc.bfmtv.com/actualites/economie/loi-sur-la-fast-fashion-les-consommateurs-seront-les-premiers-impactes-previent-shein-france_AV-202403140325.html

https://www.presse-citron.net/plus-fort-que-zara-et-hm-4-chiffres-fous-sur-shein/

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/amendements/2129/CION-DVP/CD54.pdf

https://www.lefigaro.fr/conso/shein-temu-des-mesures-pour-penaliser-la-fast-fashion-adoptees-par-l-assemblee-20240314

 
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Ecolo contre chemin de fer, ça commence à bien faire !

La LGV Lyon-Turin ou quand les « écolos » déraillent 

Disclaimer 

Mesdames et messieurs, chères lucioles, l’embarquement de notre train en destination de l’Absurdistan est bientôt terminé. Et les idéologues de s’empresser d’y faire monter les plus crédules. De monter au créneau contre la construction d’une ligne ferroviaire, qui doit relier Lyon à Turin. J’entends déjà les critiques venir : “Comment, vous qui vous dites lucides, vous osez défendre un projet industriel ? Vous osez critiquer les militants ? Vous osez critiquer la mobilisation des Soulèvements de la Terre ?” Avant de poursuivre, je pense que nous n’avons eu de cesse de vous témoigner de notre engagement écologique sincère. Mais toujours au nom d’une écologie qu’on s’efforce de rendre lucide. Et de lucidité certains en manquent. Surtout quand calcul politique et manipulation de bas étage s’en  mêlent. Sans oublier certains médias qui n’en sortent pas grandis… Mais lançons-nous. 

Aux origines de Lyon-Turin 

La Transalpine, ou liaison ferroviaire entre Lyon et Turin, est un projet de ligne de chemin de fer mixte voyageurs/fret à travers les Alpes. À l’origine la ligne est une idée de Louis Besson, maire de Chambéry dans les années 1980. Mais le projet stagne. Tout s’accélère à partir de 1999. Incendie du tunnel du mont Blanc, 39 morts. Le trafic routier est reporté sur la vallée de la Maurienne. Problème : 5000 camions défilent quotidiennement. Bonjour la pollution, et les axes de circulation saturés. Ce qui est assez mal vécu. Côté italien comme côté français, le projet commence à fédérer, collectivités territoriales, élus, et ministres (Michel Rocard par ex). Après enquête, le projet est déclaré d’utilité publique en 2013.

Ça donne quoi ? 

Le projet est très complexe, alors laissons parler les cartes. En vert et bleu, les plans des futures sections comparées aux lignes existantes en noir. 

L’intérêt écologique de Lyon-Turin 

La nouvelle liaison s’étendrait sur environ 270 km. La section française s’étend jusqu’à Saint-Jean-de-Maurienne (140 km), et la partie franco-italienne subventionnée en partie par l’UE. Cette dernière comprend notamment le tunnel de base du mont Cenis, long d’environ 60 km. La partie française de la ligne franchira notamment 8 tunnels et 6 viaducs. Le coût total du projet est estimé à une bonne vingtaine de milliards d’euros, dont un peu plus de 8 pour la partie franco-italienne. 

Certes me direz-vous, mais quel est l’intérêt écologique de cette ligne ? Premièrement, le temps de transport. La nouvelle liaison voyageurs à grande vitesse permettra de relier Lyon à Turin en 1 h 45 contre environ 4 h actuellement, et même Barcelone à Milan en 6 h 30 au lieu de plus de 12. Un argument de plus pour prendre le train, ce qui déchargerait par exemple la ligne Lyon-Grenoble (saturée) en dégageant des sillons bienvenus pour le trafic des TER.

Mais au-delà des voyageurs, l’énorme intérêt c’est le transport des marchandises bas carbone : plus de 50 millions de tonnes de marchandises pourraient être transportées par train. Aujourd’hui, environ 40 millions de tonnes de biens marchands s’échangent déjà entre la France et l’Italie, sauf que les flux ferroviaires ne représentent plus que 4 millions de tonnes, contre 11 auparavant. Les camions se taillent la part du L(y)on. Pourquoi cet effondrement ? La désindustrialisation, mais surtout la concurrence de la Suisse, qui a largement subventionné son rail. Et la concurrence ça fait du dégât. 

Du gaspillage, vraiment ? 

À en croire Mathilde Panot, Lyon-Turin, « c’est un projet écocidaire et de gaspillage de l’argent public ». Les arguments principaux contre la Transalpine les voici : 

Le projet serait un gouffre financier : parce qu’arrêter le projet ne serait pas un énorme gâchis ? Au contraire, les coûts ont pour l’instant globalement été maîtrisés, et sont assez cohérents avec ce qu’ont fait les Suisses à Saint Gothard. La Cour des comptes a même calculé une rentabilité de 4 %. 

On aurait d’autres options. Pour les opposants, la ligne existante qui passe par le tunnel de Fréjus serait largement suffisante. Problème : sa capacité journalière de 50 trains est insuffisante, loin des 120 qui pourraient transiter par le tunnel du mont Cenis. De plus, les fortes pentes du tunnel de Fréjus, ses virages serrés et sa hauteur, ses sections à moins de 30 km/h sont insuffisants pour accueillir des trains de 2000 tonnes. Autrement dit : le transport y est donc plus coûteux, donc bien moins compétitif que le transport en camion. 

Inutile et dangereux ? 

Le projet serait inutile faute de trafic suffisant, un trafic qui serait surestimé : Que l’on surestime ou sous estime le trafic, il y a forcément des incertitudes.  La ligne TGV Grand Est avait par ex largement dépassé les attentes, et côté suisse le trafic ferroviaire a plutôt bien  suivi les importants investissements consentis. Quoi qu’il en soit, se doter d’un rail compétitif est une condition indispensable à la relocalisation industrielle, face à la concurrence des ports mondialisés. 

Un projet qui assècherait la montagne :  Contrairement à ce que certains médias veulent laisser croire, la construction de la Transalpine ne va pas assécher la montagne (cc Reporterre !). Dans le passé, des milliers de kilomètres de tunnels ont déjà été creusés dans les Alpes, sans qu’on constate pour autant un assèchement. Sur 170 points de mesures, seuls 9 présentent des perturbations, mais on parle ici de légères diminutions de débit.  

La dangerosité : certains se sont alarmés d’une potentielle présence d’amiante dans les galeries, mais à nouveau, rien n’a été détecté en creusant les tunnels de reconnaissance…

A deux doigts de découvrir que tout a un impact 

 Il est évident que construire une telle ligne a aussi un impact négatif sur l’environnement. Mais ce qui  n’a pas d’impact, ça n’existe pas. Et ça vaut pour  le nucléaire comme pour l’éolien. Alors on fait ce qu’on veut ? Non car en matière d’environnement, on établit entre différents scénarios un ratio avantages/inconvénients. Pour la Transalpine, le  Conseil général de l’environnement et du Développement Durable, estime que son poids CO2 ne sera compensé qu’en 2037 à l’issue des travaux.  

Doit-on pour autant renoncer à un projet qui bénéficiera à tant de générations ? Serait-on assez naïf pour vouloir la fin du commerce transalpin ? Voudrait-on se priver d’une opportunité de relocalisation industrielle ? Croit-on vraiment que les camions traverseront les Alpes avec du carburant 100 % bio entre-temps ? Oublie-t-on qu’un accident de camion le long du lac du Bourget entrainerait des conséquences catastrophiques sur ce grand réservoir d’eau douce? 

Chaos ou résilience, il faut choisir 

On arrive au coeur du problème : du même ordre d’argument que les opposants au nucléaire finissent toujours par ressortir, une fois bon nombre de leurs arguments écartés : “oui ok mais avec ça vous allez juste alimenter la fuite en avant vers une société qui consomme toujours plus. La seule issue c’est de décroître” Je n’ai rien contre la décroissance, mais je pense qu’elle relève de la paresse intellectuelle lorsqu’elle est systématique. Au contraire, nos sociétés auront besoin d’aménagements durables pour amortir les conséquences de la crise écologique. C’est ce qu’on appelle la résilience. Et le train a son mot à dire.  

Mais ne soyons pas naïf, le train n’est pas une fin en soi. Parce que cette nouvelle ligne doit s’inscrire dans une politique d’ensemble.  Parce que cette ligne aura un réel intérêt à condition d’un report modal du camion vers le train. Ce qui demandera un peu de volonté politique. 

Complaisance médiatique et opportunisme politique 

Désinformation, polarisation du débat, instrumentalisation, la Transalpine n’a pas été épargnée. Une brèche dans laquelle les Soulèvements de la Terre, LFI, EELV et tant d’autres, se sont engouffrés. Là où le projet fédérait jusqu’ici à droite comme à gauche, certains préfèrent faire avancer leur agenda politique

Et mentir ne fait pas peur : plus c’est gros, plus ça passera. En témoignent, les Soulèvements de la Terre qui ont revendiqué 50 blessés grave lors d’une manif anti-Transalpine en Maurienne. Sauf que ces blessés, les secouristes présents sur place les cherchent encore. L’idéologie aveugle, quitte à supplanter intérêts économiques, sociétaux et environnementaux. Oui la Transalpine n’est pas parfaite, mais ses multiples avantages pèseront bien peu face aux saboteurs du débat public. A nous de rétablir un peu de lucidité. 

Biblio : 

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-eco/l-edito-eco-du-mercredi-21-juin-2023-2890288

https://www.lepoint.fr/faits-divers/manifestation-anti-lyon-turin-des-dizaines-de-victimes-introuvables-20-06-2023-2525188_2627.php

https://www.nouvelobs.com/ecologie/20230621.OBS74801/lgv-lyon-turin-pourquoi-les-militants-ecolos-s-opposent-au-projet.html

« EU transport infrastructures: more speed needed in megaproject implementation to deliver network effects on time » [archive] [PDF], sur Cour des comptes européenne, 2020, p. 30.

https://www.lepoint.fr/environnement/tunnel-lyon-turin-le-vrai-du-faux-17-06-2023-2524818_1927.php

https://www.transalpine.com/documentation/document-officiels/conclusions-de-la-commission-denquete-publique-de-la-liaison

FE Fuel Cell de Hyundai

La voiture à hydrogène ne nous sauvera pas

Il y a quelques jours, France 5 a sorti son reportage sur les voitures à hydrogène, questionnant alors la production de ce carburant présenté comme propre ¹. La question qui dirigeait le reportage était la suivante : la voiture à hydrogène peut-elle nous sauver ? La réponse est malheureusement non, parce que la voiture qui « nous sauvera » c’est celle qui ne pollue pas. C’est donc une voiture qui n’existe pas, quoiqu’en disent les industriels en louant leurs carburants faussement propres.

Mieux que de ne pas polluer, la Hyundai Nexo est censée purifier l'air. Peut être peut elle aussi stopper la faim dans le monde ! (site internet de Hyundai)

Dans le monde et a fortiori en France, le secteur des transports représente une très grande part des émissions de CO₂. On ne cesse d’inventer de nouvelles voitures, toutes les plus vertes les unes que les autres, mais il ne faut pas penser qu’acheter une voiture à hydrogène règle tous nos soucis. Par exemple, entre se déplacer avec une telle voiture (ou même une voiture électrique) et se déplacer en train, c’est le train qui gagne haut la main ². Le problème reste bien évidemment le manque d’infrastructures et de volonté politique.

Néanmoins, comme le montre ce schéma du Shift (ci-dessous), la motorisation du véhicule n’est qu’une des composantes des émissions de CO₂ induites par la mobilité.

Schéma trouvé dans le rapport "« Guide pour une mobilité quotidienne bas carbone » : Le rapport du Shift pour les collectivités""

Malheureusement, diminuer les déplacements ou bien favoriser le vélo et la marche, ce n’est pas forcément ce qui excite le plus les industriels…

Ainsi, ce n’est plus seulement la voiture thermique qu’il faut abandonner, mais la voiture en tant que système (infrastructures, incitations, imaginaire, etc.). A la place doit s’implanter un mode de déplacement plus vertueux, basé sur la sobriété, le covoiturage et la proximité ³. Et c’est loin d’être une mince affaire tant la voiture est implantée dans l’imaginaire des individus, voire dans l’individu lui-même ⁴. La voiture est partout et son pouvoir est énorme, faute de sérieux concurrents…pour l’instant.

1 – France Télévisions. (s. d.). Sur le front La voiture à hydrogène peut-elle nous sauver ? [Vidéo]. France Télévisions.

2 – A ce sujet, nous vous conseillons fortement ce comparatif de l’Ademe intitulé « Calculer les émissions de carbone de vos trajets« .

3 – The Shift Project. (2020). Guide pour une mobilité quotidienne bas carbone : Vers un système cohérent d’alternatives à la voiture en solo dans les zones de moyenne densité.

4 – Lannoy, P., & Demoli, Y. (2019). Sociologie de l’automobile. Repères. https://doi.org/10.3917/dec.demol.2019.01

jongle avec la terre

Qatar : un Mondial neutre en carbone ?

Cette 22ème coupe du monde n’a pas encore commencé que les articles pleuvent déjà par dizaines, voire par centaines : d’aucuns accusent la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) et le Qatar d’organiser un mondial qualifié par certains d’une « aberration écologique”. Au milieu de ce déluge, personne ne nage sérieusement à contre-courant – ou alors il se ferait vite emporter au fond de l’eau. En cela, nous faisons face à un paradoxe : alors que tous pointent d’un doigt accusateur le mondial 2022, peu voire aucune conséquence ne semble se dégager. Comme si nous décochions nos flèches vers une même cible, la raison individuelle, sans qu’elle ne daigne convertir les convictions en actions (manifestation, boycott, …). Il faut dire que de l’autre côté – pour une partie non négligeable des Français en tout cas – la passion tire la corde avec acharnement. Une passion sous stéroïdes en Europe, a fortiori cette année en France dont l’équipe est détentrice du titre de champion du monde.

Qui sème la pluie récolte le déluge

Les raisons de cette colère sont désormais bien connues : un désastre humain et moral ainsi qu’un fourvoiement total des objectifs environnementaux. Cependant, quand on parle des dérives du mondial, c’est plus souvent pour dénoncer les conditions des ouvriers – sujet toutefois très important – ayant construit les stades que pour parler du désastre écologique, du moins dans sa totalité. Ainsi, nous nous concentrerons sur l’aspect environnemental de l’événement. Et croyez-moi, un article n’est pas de trop.

Sur le plan environnemental donc, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) montre patte verte et assure que le mondial 2022 sera « neutre en carbone ». A première vue, cela fait un peu trop beau pour être vrai, mais il faut tout de même souligner que cette question n’est que très peu traitée dans les médias. Pourtant, si les dires des organisateurs sont vrais – et réalisables -, la polémique écologique n’aurait pas lieu d’être.

Dans une vidéo publiée en juin 2022, Gianni Infantino, président de la FIFA depuis 2016, appelle chacun à brandir le carton vert de la FIFA pour la planète.

Des chiffres remis en question

Selon les organisateurs, 3,63 Mégatonnes d’équivalent CO2 (MtCO2e) seront émis par la coupe du monde, dont la moitié (51%) par les transports. C’est autant que l’empreinte carbone de 440 000 Français (ministère de l’environnement, données 2020). En mesure concrète, l’on retrouve notamment la climatisation des stades (qui sont à ciel ouvert) ou bien la mise en place d’un couloir aérien entre le Qatar et d’autres pays étrangers. Selon L’Obs, un avion décollera toutes les 10 minutes.

Mais les 3,63 MtCO2e annoncés par la FIFA sont fortement remis en question, tout comme leur compensation à l’aide de crédits carbone. A l’origine de ces doutes, il y a une ONG belge. En mai 2022, Carbon Market Watch a publié un rapport mettant très fortement en doute les dires de la FIFA.

7 stades de plus dans le désert

En outre, les émissions concernant la construction des six stades permanents seraient 8 fois plus importantes. Le royaume n’accueillant que peu de matchs importants, il n’existait qu’un seul grand stade. Il a donc fallu en construire sept pour l’occasion : six permanents et un démontable.

Les émissions de GES comprennent donc logiquement les émissions liées à la construction des 6 stades permanents. Cependant, elles sont rapportées au temps d’utilisation, soit 70 jours. Ainsi, alors que la construction du stade démontable a été évaluée à 438 kt d’équivalent CO2, la construction d’un stade permanent (sans les sièges démontables) a été évaluée à 4,5 kt CO2e… Dans leur logique, les stades seront utilisés après la coupe du monde, contrairement au stade démontable (le dénommé « stade 974 » ou « Ras Abu Aboud ») ou aux sièges démontables dont la mise en place et leur désinstallation est directement et incontestablement imputable à l’évènement du mondial.

Vers des stades fantômes ?

Mais le futur de ces stades semble loin d’être radieux. En outre, quand le mondial sera terminé, l’utilité de ces stades sera remise en question. J’en veux comme preuve ce qu’il se passe déjà dans certains stades russes (cdm 2018), brésiliens (cdm 2014) ou sud-africains (cdm 2010) qui sont en difficulté financière au vu de l’absence d’activité, contrairement aux stades allemands (cdm 2006). Par exemple, un stade de 40 000 places (qui sera ensuite transformé en un stade 20 000 places) sera réhabilité comme stade d’une équipe locale auquel le stade actuel a une capacité inférieure de presque deux fois.

Ainsi, la réhabilitation des stades à posteriori de la coupe du monde est secondaire. Ce n’est qu’une conséquence du mondial et qui plus est fort instable. Néanmoins, l’on ne peut pas exclure le fait que les stades se rempliront grâce à un possible intérêt généré par cet évènement international de taille qui n’a encore jamais eu lieu dans un pays arabe. Une sorte d’« effet coupe du monde », mais, dans une certaine mesure, à retardement : D’abord, le Qatar pourrait bénéficier de l’exposition médiatique gigantesque de la coupe du monde pour attirer le public qatari et des alentours afin de renflouer les nouveaux stades. De même, des jeunes espoirs pourraient voir dans le Qatar un lieu plein de potentiel pour leur carrière professionnelle. Ensuite, les jeunes qataris, et même les jeunes arabes, pourraient bien se décider à obtenir une licence de football et agrandir de ce fait les ligues nationales.

Toujours est-il que selon Carbon Market Watch, la construction des 6 stades permanents génèrerait au total (et au minimum, car l’ONG se réfère aux stades les moins grands et donc les moins émetteurs car elle n’a pas les données pour chaque stade) 1,62 MtCO2e, soit 8 fois plus qu’annoncé.

Des crédits carbone potentiellement caduques

Cependant, même si la FIFA avait correctement évalué les émissions de GES, la compensation environnementale qui doit mener à un bilan carbone neutre serait tout de même mise en péril. En effet, les organisateurs prévoient de compenser leurs émissions en achetant des crédits carbone (1 crédit carbone = 1 tonne de CO2). Le problème, c’est que les projets bénéfiques pour l’environnement qui génèrent ces crédits sont potentiellement « non additionnels ». Si c’est le cas, ces projets verraient le jour de toute manière et la vente de ces crédits ne sera donc qu’un plus, qu’une addition. D’ailleurs, les principaux standards de certification – Verified Carbon Standard (VCS) et Gold Standard (GS) – ont exclu les projets de ce type.

De plus, le principe même de la compensation environnementale via le marché du carbone a un côté pervers. Il aurait été plus utile de chercher un moyen d’émettre un minimum de GES plutôt que de chercher à les compenser très maladroitement. De plus, ce marché ne favorise pas la transition vers un modèle plus sobre mais reste, au contraire, dans le mythe de la croissance verte.

Un choix pour le moins questionnable

Le choix de ce pays est décidemment un amas d’inepties et de contre-sens. Il a fallu construire 7 stades, des routes, des hôtels de luxe et d’autres infrastructures pour accueillir le public dans un pays très chaud et dont – comme si ce n’était pas assez – le mix énergétique est composé à 99% de sources d’énergie haut carbone (gaz et pétrole en tête). Pour tout dire, le Qatar est même classé comme l’un des pays les plus pollueurs au monde en émissions de CO2 par habitant (32,5 tonnes/habitant en 2019, Banque Mondiale). Toujours sans oublier que la condition des ouvriers au Qatar est épouvantable et que les droits humains y sont chétifs.

L’on aurait aimé pouvoir croire à une adaptation extraordinaire de la part de la FIFA, mais que nenni. Il se produit ce que à quoi tout le monde s’attendait : absolument rien sinon que des chiffres et promesses en herbe tenus de nous laisser endormis. Une question plus large apparait alors : le football international est-il compatible avec l’écologie ? Peut-il même l’être ? A en voir les rires de Christophe Galtier et de Kylian Mbappé lundi 5 septembre lorsque l’on avait soumis la possibilité de déplacements plus sobres, la réponse semble être négative. Mais qui sait, le football retrouvera peut-être la raison.

chasseurs

Accidents de chasse : quelle réalité en France ?

Il suffit de taper « accident de chasse » pour se retrouver face à d’innombrables articles témoignant de ce que subissent promeneurs et riverains. Les chasseurs mèneraient même la vie dure aux « habitants des campagnes pendant la saison de chasse » selon Hugo Clément, activiste écolo le plus influent de France.

Mais est-ce bien la réalité ?

Victimes d’eux même

Les accidents de chasse ne devraient pas arriver. Mais, rappelons tout de même que la France accueille près d’un million de chasseurs et que la grande majorité des victimes (86% – rapport de l’OFB, 2021) sont des chasseurs eux-mêmes.

Ainsi, les chasseurs ne sont pas un gang qui ne ferait que de martyriser les pauvres paysans : les chasseurs sont les premiers à se tirer dessus.

De plus, les accidents de chasse sont globalement en baisse depuis 20 ans en France, et ce même rapporté à la baisse d’effectif des chasseurs.

Mais peut-être qu’indépendamment de leur quantité, les chasseurs ont baissé en qualité : moins bons, moins respectueux des règles de sécurité – pourtant de plus en plus nombreuses -, ou encore plus irrespectueux des riverains. Peut-être, mais peut-être pas.

Evolution du nombre de licenciés et du nombre d'accidents de chasse en France depuis 1999. Données ONB, FNC et Injep.

Terreur dans nos campagnes

Une chose est sûre : les accidents de chasse sont de plus en plus rares en France. Cela va dans le bon sens, sans que ce soit assez.

En somme, les accidents de chasse sont de plus en plus rares. En énumérer plusieurs s’étant passés la semaine dernière n’a rien d’une preuve qui indiquerait un climat de terreur dans nos campagnes, n’en déplaisent à un certain nombre d’anti chasse.