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SUV : Vraiment rien à en SaUVer

Dimanche dernier, les parisiens devaient voter la mise en place ou non d’une surtaxe du stationnement pour les voitures les plus lourdes et encombrantes, dites SUV.

Malgré une faible participation (moins de 6 % du corps électoral), le projet de la mairie a été approuvé à 55 % mais de nombreux électeurs se sont mobilisés pour s’opposer à cette mesure, ainsi qu’une partie des médias ou des internautes… sans bons arguments à l’appui.

Dans cet article, assumé à charge contre les SUV, nous allons explorer le principe de cette surtaxe et les arguments de ses soutiens et détracteurs, mais aussi le problème plus fondamental que pose les SUV, leurs acheteurs comme leurs constructeurs, dans la lutte contre le réchauffement climatique.

La surtaxe

Le principe est simple : si vous garez une voiture de plus d’1 tonne et 600kg, vous verrez le prix de votre stationnement tripler. Objectif assumé : décourager les SUV d’entrer dans Paris intramuros.

Avant toute chose, il est à noter que la définition de ces sport utility vehicle, les « SUV », est floue, utilisée tour à tour par les constructeurs automobiles ou par les écologistes ; ce n’est donc pas strictement de pénaliser les SUV dont il s’agit mais les voitures jugées trop lourdes et – c’est lié – encombrantes. Le seuil choisi inclut la quasi totalité des voitures dites SUV (sauf les plus légères), et inclut quelques uns des plus gros modèles hors gammes SUV.

Mais la taxe prévoit de nombreuses exceptions : les riverains, les professionnels en camionnette, les familles nombreuses et les handicapés ne seront pas touchés. Et les voitures électriques auront un seuil spécial de 2T pour prendre en compte le poids des batteries… Il faut le reconnaître : la taxe n’est pas « dogmatique » ou « stupide ». Elle ne devrait pas pénaliser les personnes qui ont une « bonne raison » d’avoir un véhicule lourd, ni celles qui ont un SUV électrique – qui pollue donc sensiblement moins.

Quels arguments pour cette surtaxe ?

La mesure vise à décourager l’usage dans Paris du SUV, qui est un type de voiture peu écologique, voire carrément polluant ; en effet, la consommation d’énergie, et donc la pollution d’une voiture, est proportionnelle à son poids. Selon une étude (citée par Bon Pote et disponible ici), un petit véhicule consomme environ deux fois moins qu’un SUV à moteur équivalent (c’est à dire essence, hybride ou électrique).

À l’heure où nous devons urgemment et drastiquement réduire nos émissions de CO2, chercher à réduire la taille des voitures (en plus de les électrifier) est une priorité. En mettant en place une incitation financière concernant le stationnement, Paris irait dans le bon sens ; d’autres grandes villes, comme Lyon, Washington, Tübingen (Allemagne) ou Londres ont déjà mis en place une mesure similaire, ou l’envisagent.

Au-delà des impératifs climatiques, c’est aussi la pollution de l’air qui préoccupe la mairie, alors que la capitale subit régulièrement des pics de pollution aux particules fines – les véhicules thermiques en sont parmi les premiers responsables.

Ensuite, les SUV, très grands, prennent beaucoup de place dans la ville et compliquent le stationnement des autres voitures. Dans une ville aussi dense que Paris, chaque mètre carré compte, y compris pour les parkings, et il est évident qu’avoir des voitures de plus en plus grosses empire les choses.

Selon le rapport d’une ONG (Transport & Environment, citée par Le Monde), les voitures neuves s’élargissent en moyenne d’un centimètre tous les deux ans – tendance à la hausse provoquée par la croissance des SUV. La moitié des modèles de SUV les plus vendus mesurent plus que la taille standard d’une place de stationnement, et plusieurs modèles atteignent 2m de large, c’est à dire trop grand pour se garer correctement, même dans les parkings les plus spacieux, sans gêner les places avoisinantes.

Et Le Monde avance une statistique impressionnante calculée en 2016 : si la voiture compte pour 11 % des déplacements dans Paris intra-muros elle occupe… 50 % de l’espace public ! Au delà de la lutte spécifique contre les SUV qui en sont la pire version, réduire l’impact de la voiture est une priorité pour disposer de villes plus vivables et écologiques, avec un trafic fluidifié, allégé et donc davantage d’espaces verts… et de sécurité routière, comme nous verrons plus loin.

Les (désespérants) arguments contre la surtaxe

Quelques sources ont permis de faire un tour d’horizon des arguments contre la surtaxe des SUV : une vidéo du Parisien qui a interviewé des électeurs en sortie d’urnes, une émission de l’éditoritaliste Pascal Praud pour Europe 1, un article du Figaro et plusieurs commentaires internet, notamment sous les articles du Monde.

Quelque chose étonne : Le Figaro, journal positionné à droite et qu’on ne peut accuser ni de soutenir Hidalgo, ni de wokisme, ne réfute aucun des arguments anti SUV, et au final, dresse lui aussi un portrait plutôt négatif de ce genre de véhicule.

On peut alors se demander quels arguments avancent ceux qui ont voté ou auraient voté contre la mesure. Certains semblent hors de propos, comme cette électrice qui annonce voter « contre la politique générale de Paris » ou cet électeur qui se plaint du dogmatisme d’Hidalgo.

Le reste est terriblement banal et creux. « Y a trop de taxes » « On a plus de libertés » « Je vois pas pourquoi on m’embête » « c’est de l’écologie punitive ».

Mention spéciale à l’électeur qui se plaignait de la privation de liberté mais expliquait avoir pris une petite smart à la place de son ancien SUV qu’il ne pouvait plus stationner… bravo à lui ! C’est exactement le comportement que ce genre de mesure cherche à encourager. Il vient, en fait, de prouver la pertinence et l’efficacité de ce genre de législations…

Certains parlent de confort (le passage de dos d’ânes notamment… une vraie priorité nationale ! ) et d’autres avancent la (fausse) bonne raison d’une famille nombreuse : pour transporter 6 ou 7 personnes, un monospace suffit, et ce genre de véhicule est plus léger qu’un SUV (et est sous le seuil d’1T600kg)

L’argument principal, au fond, est toujours le même : la Liberté face à l’« écologie punitive » des verts qui emmerdent les braves gens qui n’ont rien demandé, ces verts qui font dans « l’écologisme dogmatique » (Pascal Praud)

Mais invoquer la liberté, c’est souvent défendre l’égoïsme. Nous l’avons vu plus haut, les SUV posent des problèmes que les autres voitures posent moins : le choix d’un SUV est avant tout un choix qui se fait au détriment de la liberté des autres : la liberté de respirer un air un peu moins sale, de disposer d’un climat stable, de se stationner facilement, de se déplacer en sécurité…

Ainsi, avec un peu de malhonnêteté intellectuelle, on peut tout ramener à la Liberté. Cela ne fait que changer la question. Le débat doit être : votre véhicule cause-t-il un tort à la société qui mérite une surtaxe ? Et la réponse semble oui, largement.

De plus, il faut insister sur le fait qu’une surtaxe n’est pas une privation de liberté. Taxer les véhicules posant davantage de problèmes (pollution, sécurité, place) est la solution libérale par excellence, car elle n’interdit rien, mais ne fait qu’inciter à préférer les voitures petites qui causent moins de tort à la société pour le même bénéfice.

Prenez la taxe des cigarettes : de manière évidente c’est un produit nocif, pour leurs usagers comme le reste de la société. Elles ne sont pas interdites par tradition libérale, mais elles sont surtaxées, pour compenser le tort causé (aux caisses de la Sécu notamment…) et décourager leur achat.

Surtaxer le stationnement d’une grosse voiture tient du même principe. Sur son émission d’Europe 1, Pascal Praud s’est cru quelques minutes pertinent en faisant du relativisme, appuyant sur le fait que ce ne serait pas aux écologistes de juger ce qui serait « nécessaire ou non ». Si les gens jugent nécessaire d’avoir une grosse voiture plutôt qu’une petite, en quoi serait-ce aux écolos d’en juger ?

Mais le raisonnement ne tient pas, d’une part parce qu’ici c’est bel et bien les électeurs qui ont décidé d’approuver cette mesure (vox populi…), et d’autre part puisque le choix est toujours laissé aux gens, simplement en intégrant quelque peu dans le prix du stationnement l’impact négatif des SUV. Si quelqu’un aime tellement son SUV qu’il le juge toujours nécessaire malgré un malus à l’achat et une surtaxe au stationnement, il est encore libre d’en acheter un ; simplement, il compense la société pour son choix.

Les écolos ne fixent pas ce qui est nécessaire et ce qui ne l’est pas ; ils mettent les automobilistes face aux conséquences de leurs choix. Et si cela les dérange tant que cela, c’est peut-être que leur choix était mauvais.

Le problème des SUV

Dans la lutte contre le changement climatique, la voiture est un sujet sensible. Elle est notre mode de transport principal, mais aussi l’un de nos plus gros postes d’émissions de CO2.

Mais les SUV, particulièrement, sont indéfendables : ils n’apportent aucun bénéfice réel. Nous avons vu plus haut qu’il n’y a pas besoin d’un SUV pour une famille nombreuse ; d’ailleurs, les SUV sont une invention récente, tout le monde s’en passait très bien avant la fin des années 2000 !

Complètement surdimensionnés pour la ville, inadaptés à la montagne (où les 4×4 sont un meilleur choix) mais polluant bien plus, le problème des SUV se superpose à un problème plus fondamental des voitures : nous achetons une voiture en fonction, non pas de notre usage quotidien (déposer un enfant à l’école puis aller au boulot, ce qui nécessiterait en fait un mini véhicule deux places) mais des usages exceptionnels. On veut une grande voiture pour le jour où l’on déménage, part en vacances, ou fait taxi pour toute la famille. Mais résultat : pour quelques trajets par an où le véhicule est utilisé à toutes ses capacités, la majorité du temps, les places et le coffre sont vides. L’on déplace un monstre de métal d’une tonne pour même pas 100kg de matière utile. Les SUV ne font qu’aggraver ce problème en emmenant le poids de la voiture au-delà de la tonne et demie.

Car le poids des voitures a connu une forte hausse ces dernières années : selon l’Ademe, le poids moyen d’un véhicule neuf est passé de 953 kilogrammes (1990) à 1,233 tonne en 2022. Pratiquement +300 kilos et environ +30 %. Mais « depuis 50 ans, les voitures ne transportent pas plus de personnes et ont pourtant progressé en masse et en puissance (…) On peut faire un break sept places à 1,5 tonne : l’argument de la famille nombreuse ne tient pas.» explique Laurent Castaignède, ingénieur spécialiste des transports au Figaro.

Alors comment expliquer cette hausse de poids ?

Quel intérêt pour les SUV ?

Une petite partie s’explique par des normes anti-pollution de l’air (comme le pot catalyseur) et de sécurité routière qui ont rendues les voitures plus lourdes… de quelques dizaines de kilogrammes. Pas de 300 !

En réalité, les SUV sont essentiellement une construction marketing. Les consommateurs (au masculin, car ce sont 70 % d’hommes (Marché automobile juin 2023 – AAA DATA)) aiment en avoir une grosse, et une confortable… mais sinon, il n’y a aucun autre avantage sérieux. Pas plus de passagers transportés, une puissance ne servant à rien puisque toutes les routes et autoroutes ont une limite de vitesse, vraiment, on ne comprend pas en quoi il était nécessaire de vendre ces modèles toujours plus lourds et volumineux. Pour caresser l’ego des acheteurs, visiblement…

Et, plus important, leur aspect « sécurisant » est un argument égoïste : oui, les SUV protègent leurs conducteurs. Mais ils sont plus dangereux pour les piétons et cyclistes, selon plusieurs sources convergentes : l’assureur suisse Axa estime que les SUV causent 10 % d’accidents supplémentaires ; les gros SUV, 27 %.

Une étude norvégienne de 2017 citée par Le Monde estime, elle aussi, que «  le risque d’être tué ou grièvement blessé est au moins 50 % plus élevé pour les piétons et les cyclistes heurtés par un SUV ». L’une des raisons de la dangerosité est la taille du capot : lorsqu’une voiture de gabarit normal renverse un piéton, la victime est projetée ; dans le cas d’une grosse voiture, plus haute, la victime se fait « aplatir » sous le capot, ce qui est bien plus dangereux.

L’industrie automobile au coeur du problème

La vente de SUV produit des marges énormes pour l’industrie automobile ; selon Le Monde, le modèle SUV ne coûte pas beaucoup plus cher à produire mais se vend à un tarif jusqu’à 30 % supérieur. Les constructeurs ont donc usé et abusé de la pub pour vendre ces coûteux modèles aux classes aisées (qui représentent 88 % des acheteurs ! (Marché automobile juin 2023 – AAA DATA).

Résumons simplement : les SUV sont un luxe polluant de riches, alors que de petites ou moyennes voitures suffisent aux usages du quotidien, et même de l’exceptionnel

Le plus ironique est que l’industrie a fait des progrès technologiques ces 20 dernières années, permettant de réduire la consommation énergétique des voitures. Le litre au 100 par tonne a drastiquement baissé. Mais au lieu de garder la même taille de voiture et donc de baisser la consommation d’essence, elle a augmenté la taille des voitures… c’est un exemple cruel d’effet rebond.

Le progrès n’a pas été au service de l’écologie mais du confort des consommateurs – confort franchement superflu comparé aux coûts… Comme titrait Reporterre en 2020 : Les voitures SUV roulent à contresens de l’histoire.

Non à l’autobésité

C’était l’un des slogans des militants parisiens pour la surtaxe, aux côtés de « SUV ça Suvfit ». Car l’autobésité, elle a des conséquences : les chiffres donnent le tournis. En 2020, 41 % des véhicules neufs vendus étaient des SUV, contre 5 % douze ans plus tôt.

Cette tendance est terrible : chaque année, tous ces véhicules à travers le monde polluent tant que si les SUV étaient un pays, ce serait le septième plus gros émetteur de CO2 au monde. Alors que, rappelons-le : la moitié de ces émissions pourraient être facilement évitées si des petites voitures étaient préférées aux grosses… ce qui, en fait, ne changerait rien dans le quotidien des gens. Voir même l’améliorerait, en réduisant la consommation de carburant et en facilitant la circulation et le stationnement. Ce temps et cet argent gagné valent bien le fardeau de louer une grande voiture pour les vacances !

Les transports sont un des combats majeurs dans la lutte climatique. La convention citoyenne pour le climat l’avait bien compris, et demandait en 2022 un malus à l’achat des véhicules de plus d’1T400kg ; ce seuil a été assoupli à 1T800kg par l’Assemblée Nationale lors de la loi climat. Victoire des lobbys.

Mais le vent semble tourner, et la victoire de la mairie de Paris en est la preuve. Leur surtaxe sur le stationnement reste cependant une mesure timide, à saluer certes, mais il faudrait agir bien plus drastiquement et au niveau national, voire européen, pour limiter la taille des voitures. Il est urgent d’inverser la tendance, en faisant en sorte que des voitures plus petites et légères devienne la norme ; et en parallèle, électrifier ces véhicules est crucial également pour respecter nos objectifs climatiques.

Car il est important d’insister sur un dernier point : un SUV électrique, ce n’est pas écolo. C’est « moins pire » qu’une voiture essence ou qu’un SUV essence ; mais aucune de ces trois options n’est soutenable, pour les trajets quotidiens, en dehors d’une petite voiture électrique.

D’ailleurs, peut-être même que le modèle de la voiture individuelle n’est pas soutenable, même petite et électrique… mais ça, c’est un autre débat pour plus tard ; une fois que le dernier SUV aura été recyclé.