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Allemagne : l’exemple d’une transition énergétique ratée ?

Vendredi 13 janvier, TotalEnergies annonçait la mise en place de son terminal d’import de gaz naturel liquéfié (GNL, aussi appelé gaz de schiste). La guerre en Ukraine a indéniablement levé le voile sur la dépendance européenne envers la Russie en matière d’énergie. Le recours au GNL, anciennement boudé par nos voisins outre-Rhin, en est une conséquence directe. Ce revirement est également très politique. En effet, il s’inscrit parfaitement dans la levée de boucliers occidentaux – et notamment européens – contre l’invasion russe.

Après avoir suspendu la mise en fonction de Nord Stream 2 (gazoduc reliant la Russie et l'Allemagne, carte ci-contre), les Allemands ont décidé d'investir 1,5 Md dans...le Gaz naturel liquéfié, et, qui plus est...du Qatar.

La guerre en Ukraine a bon dos

Mais en réalité, tout cela dépasse la guerre en Ukraine. La dépendance à la Russie n’est qu’une conséquence des politiques menées depuis 20 ans en Allemagne. Des politiques ayant pour fer de lance la transition énergétique amorcée sous Angela Merkel (2005-2021) dans l’optique de se diriger vers un mix électrique dompté par les énergies renouvelables (EnR). Pourtant, malgré une Allemagne devenue le modèle européen de l’électricité verte – 4O% (données 2021) de son électricité provient d’énergies renouvelables -, le pays affiche aujourd’hui l’une des plus haute empreinte carbone par habitant d’Europe (8,70 tonnes par habitant en 2017, 5ème plus importante d’Europe) et le prix de l’électricité le plus élevé (31 c/kWh).

Mais alors, à quoi ont servi les efforts de l’Allemagne ? Tout s’est-il passé comme prévu, ou est-ce un échec complet ? D’abord, observons l’évolution du mix électrique allemand pendant l’ère Merkel :

La part du renouvelable est passée de 11% en 2005 à 50% en 2020. Fabuleux, non ? Infographie Le Monde.

Halte là, il ne faut pas oublier de distinguer le mix énergétique du mix électrique. En outre, l’électricité n’est qu’une source de production d’énergie. D’autres, souvent fossiles, produisent directement de l’énergie, sans passer par la « case électricité » (exemples : essence, chauffage au gaz). Ainsi, en Allemagne, l’électricité compose environ 21% du mix énergétique, contre 36% pour le pétrole, 26% pour le gaz et 8% pour le renouvelable et les biocarburants (Le Monde, 2021). Ainsi, selon l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA) la part des énergies bas carbone dans le mix énergétique allemand s’élève à environ 20%, dont 2% de nucléaire (voir graphique ci-dessous) . C’est moins que la France, dont le mix énergétique est composé à environ 50% d’énergies bas carbone dont 40% de nucléaire.

« L’Allemagne s’est concentrée sur l’électricité en négligeant les transports, première source d’émission de CO2. »

Cécile Maisonneuve, ancienne directrice du centre énergie de l’Institut français des Relations Internationales (IFRI). Le Monde, 2019.

L’énergie allemande reste donc majoritairement fossile. Est-ce un aveu d’échec ? Car l’objectif de toute transition énergétique est justement de mettre en place des énergies décarbonées et donc de diminuer l’importance des plus émettrices en GES. Or l’Allemagne n’a diminué la part de ces énergies que de 7 points de pourcentage environ, le nucléaire se faisant remplacer par des EnR, ne changeant quasiment pas les émissions globales de GES.

Répartition des types de productions d'énergies en Allemagne (1990-2020). Source : IEA.

Le mix électrique n’est rien de plus que le haut de l’iceberg du mix énergétique. Il est bien plus attrayant de voir que 55% d’énergies renouvelables alimentent l’électricité allemande que la dure réalité qui est celle d’un mix énergétique dominé à près de 80% par de polluantes énergies fossiles. Angela Merkel semblait l’avoir bien compris. Quelques jours après l’accident nucléaire de Fukushima de 2011, Mutti choisit de sortir progressivement de l’énergie nucléaire, acclamée par une partie du peuple allemand. Hourra ! L’Allemagne allait sortir du nucléaire afin de construire des milliers d’éoliennes et de panneaux solaires ! Oui mais voilà, ces derniers n’ont remplacé que la moitié du nucléaire allemand, qui représente encore 11% de la production électrique allemande. De plus, ces types de production renouvelable sont intermittents, et il est alors nécessaire de mettre en place des énergies pilotables, qui sont en grande partie fossiles – puisque le nucléaire n’est plus une possibilité.

Délaissement du nucléaire

Celle qu’on surnommait la chancelière du climat (Klima Kanzlerin) aurait peut-être dû compter sur l’énergie nucléaire comme un moyen de transition entre le fossile et le renouvelable, mais, hâtée par les écologistes allemands, son devoir d’incarner une figure protectrice et les élections qui approchaient, elle engagea un processus qu’on sait aujourd’hui dans une certaine mesure inefficace. Certes, la question se jouait à l’époque sur la sûreté nucléaire, et on lui aurait reproché de ne pas avoir fermé le parc nucléaire si un accident s’était produit, mais le nucléaire civil était (et est toujours) si stratégique – voire prometteur – que l’ex chancelière ne peut que remettre en question les politiques qu’elle a engagées. D’ailleurs, en 1995, alors ministre de l’environnement, Angela Merkel avait prophétiquement déclaré ceci : « sans l’énergie nucléaire, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs en matière de réchauffement climatique ».

D’autant plus que la perte du nucléaire a rimé avec une forte dépendance, notamment envers la Russie. En outre, avant la crise énergétique actuelle, 34% du pétrole, 65% du gaz et 23% du charbon en provenait (Le Grand Continent, 2022).

« 10 ans de cette vie ont suffi à la changer en junkie. »

Telle une junkie donc, l’Allemagne doit combler ses besoins. Les relations qu’elle entretenait avec son dealeur – la Russie – étaient en train de se renforcer. Mais la Russie a voulu jouer sur un autre terrain propice à tout trafiquant, celui de la guerre de territoire. Par relation d’alliance (et non par souci démocratique au vu de son nouveau fournisseur), l’Allemagne se doit de changer de produit et de fournisseur. Quoi de plus naturel de se tourner alors vers le GNL et de se rediriger vers le Qatar !

« Manifestement la « transition » n’a pas les vertus décarbonantes que l’on peut voir mises en avant dans diverses publications institutionnelles – voire universitaires – allemandes… »

Jean-Marc Jancovici, ingénieur et fondateur de The Shift Project. (site personnel, 2013)

Une transition en double teinte

Une transition énergétique a pour but de tendre vers un modèle pérenne d’approvisionnement en énergie, autant indépendant et décarboné qu’économiquement convenable. En ce sens, l’on ne peut pas dire que l’Allemagne ait réussi sa transition. Néanmoins, ses efforts n’ont pas été vains. En effet, l’Allemagne a appris à manier la technologie du renouvelable, ce qui va inéluctablement aider le reste de l’Europe pour le développement de ces technologies. De plus, les puissances industrielles et les pouvoirs publics se concertent afin de trouver une solution commune. Ainsi, le BDI, la fédération de l’industrie allemande, a jugé possible l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, à condition d’y mettre le prix : 2 300 milliards d’euros. (Le Monde, 2022)

« Entre 2010 et 2020, nous avons réduit les émissions de 15 millions de tonnes par an en moyenne. D’ici à 2030, nous devons les réduire de plus de 40 millions chaque année. »

Robert Habeck, ministre de l’Économie et du Climat lors de la présentation ambitieuse de son plan climat, le 11/01/2022

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