Humanitaire, Humain à terre

Humanitaire, humains à terre ?

Humanitaire, humains à terre ?

Tout a commencé il y a un an. Fraîchement débarqué dans une école de commerce, j’entends qu’une asso étudiante y organise régulièrement des “Missions de Solidarité Internationale”. Et les destinations ne manquent pas. Un mois pour bâtir une école et rencontrer des locaux, un mois pour explorer des pays comme le Togo, un mois pour se rendre vraiment utile… Quoi de plus alléchant pour justifier une empreinte carbone légèrement supérieure à la moyenne ? Et puis, j’en discute avec une amie, qui me dit si justement : “En allant construire une école alors que tu n’en as aucune compétence, tu ne crois pas que tu vas justement prendre l’emploi de ceux qui ont cette compétence sur place ?”. Implacable.

En quête de certitudes, je me tourne vers la communauté Écolucide : l’humanitaire n’est- ce pas une vaste arnaque de plus ? Vous êtes très nombreux à répondre, et vos expériences sont diverses. Disons qu’il y a du bon, et du beaucoup moins bon. Alors essayons de faire le tri, vu que c’est écolo.

L’humanitaire, c’est un sacré fourre tout. L’humanitaire, c’est le bras armé de l’humanitarisme, qui se fonde sur le respect et la solidarité entre êtres humains. En 1864, sur le champ de bataille de Solférino, Henri Dunant, suisse de son état, est choqué de voir à quel point les blessés sont livrés à eux mêmes : la Croix Rouge est née. Elle est la digne fille de la déclaration des Droits de l’homme, où la condition d’une humanité partagée, d’une humanité blessée, dépasse les intérêts nationaux. La mondialisation n’aura de cesse d’élargir l’aide humanitaire, quitte à titiller les gardiens des frontières (les Etats). C’est la création de Médecins sans Frontières en 1971, peu après la guerre civile nigériane.

Parler d’humanitaire, c’est parler d’aide humanitaire. Et ça n’est pas tout et n’importe quoi. Primo, il faut identifier des personnes vulnérables. La vulnérabilité peut être critique et très soudaine, : c’est tout le sens de l’aide d’urgence, et le but de l’humanitaire est alors de répondre à des catastrophes naturelles ou d’origine anthropique (les guerres par exemples). Dans une acception plus large, l’humanitaire lutte aussi contre la pauvreté : c’est  l’aide au développement. Une fois les personnes identifiées, et les risques considérés, il faut alors évaluer l’assistance nécessaire, recruter des équipes compétentes pour intervenir sur place, veiller chaque jour à la bonne utilisation des fonds et à la logistique, respecter des standards, et surtout : prévoir une stratégie de sortie. Parce que tout ça ne doit pas durer éternellement.

En 1987, le Live Aid rassemble les plus grands artistes de l’époque (U2, David Bowie, Queen…) et récolte plus de 127 millions de dollars pour soulager la famine éthiopienne. Les ONG (organisation non gouvernementales), récoltent les dons à travers le monde. Et ça représente beaucoup d’argent. A la fin des années 2000,  une multinationale comme Oxfamaffiche par exemple un budget qui avoisine les 5 milliards de dollars : cinq fois plus que le PIB du Burundi à la même époque. S’il existe un certain nombre de réussites indéniables, l’aide internationale n’a pas eu que des vertus. Dans un ouvrage choc, intitulé Pourquoi l’aide ne fonctionne pas, et pourquoi il y a une meilleure voie pour l’Afrique, Dambisa Moyo, économiste zambienne, déclare même que l’aide internationale maintient l’Afrique dans la pauvreté, la dépendance encourageant en effet la corruption. Un constat que tout le monde ne partage pas, mais qui a le mérite d’appeler à une analyse plus lucide de l’efficacité d’une action humanitaire.

Il est temps de mettre les choses au clair : Si une agence vous demande de régler les dépenses et les billets d’avion pour une mission de quelques semaines, CE N’EST PAS DE L’HUMANITAIRE ! C’est du volontourisme. Et votre seule bonne volonté n’est pas un critère suffisant pour partir au bout du monde, contrairement à ce que certains voudraient vous faire croire. Partir en mission humanitaire, ça demande des compétences, une formation. Folle arrogance de certains, que de croire que du haut de leur vingt ans (peu importe l’âge), ils seraient plus apte, à donner des cours de langue, bâtir, ou administrer des soins, qu’un personnel plus qualifié qu’eux sur place.

Payer 6 000 euros pour donner un coup de peinture, remblayer, puis partir en trek, ce n’est pas de l’humanitaire. C’est d’abord du business, certains en ont fait leur coeur de métier comme Project Abroad et ses 600 salariés. Attention aussi à l’image renvoyée. Seriez vous heureux qu’un cortège de Japonais vienne distribuer de la nourriture en France et prendre deux trois photos avec des enfants (sans le consentement des familles) pour alimenter leurs réseaux sociaux ? Est ce que ça vaut vraiment le coup de cramer plusieurs tonnes de carbone pour nouer des liens avec des gens que vous ne verrez plus dans trois semaines (pas terrible pour la stabilité émotionnelle des enfants au passage) ?

Si le Cambodge est passé en 30 ans de 7 000 à 37 000 orphelins, c’est d’abord parce que certains ont compris que la compassion des Occidentaux rapporte gros. Voilà pourquoi une mission humanitaire sérieuse doit être passée au crible de toutes ses conséquences. On dit que la route vers l’enfer est pavée de bonnes intentions, alors attention. Si vous décidez de partir, privilégiez des dispositifs encadrés, comme par exemple, le volontariat de solidarité internationale. Ok, Écolucide, mais je ne veux pas me prendre la tête, je veux juste voyager, et quitte à cramer beaucoup de kérosène, autant me rendre utile non ? Outre que ce discours n’est pas très responsable, il ne faut pas faire tout et n’importe quoi. Ex : si vous comptez distribuer gratuitement vos habits de fond de tiroir, abstenez vous. Vous flinguez l’économie locale, alors achetez plutôt chez les commerçants du coin, ce sera déjà mieux.

Vous voulez aider ? Pas besoin de jouer les héros sur Linkedin avec une expérience en volontourisme. Vous ne vous différencierez que de ceux qui ne sont pas tombés dans le panneau. Faire de l’humanitaire ailleurs, c’est très exigeant, peut être trop. Alors pourquoi partir (ça vaut aussi pour le tourisme) ? Près de chez vous, des associations vous tendent les bras : Secours Populaire, Secours Catholique, Restos du Coeur, le Rocher, les Petites Soeurs des Pauvres… Et tant d’autres qui se battent pour les plus vulnérables. Aide matérielle, financière, éducative, émotionnelle : tout le monde y trouvera son compte, et l’on y fait de magnifiques rencontres. D’aucuns diront que c’est moins sexy, certes. Mais tellement plus authentique, plus durable, plus lucide… Bref, pas d’excuse pour ne pas se rendre utile.

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