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Une France sans nucléaire est-elle possible ?

Chez Ecolucide, on a longtemps défendu le nucléaire. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’est né le média. Mais aujourd’hui, alors que nous sommes en pleine période d’élections législatives, nous pensons qu’il est nécessaire de discuter du nucléaire, de le remettre en cause pour mieux l’apprécier.

Jouissant d’un appui solide des Français, de nombreux partis politiques ont embrassé l’atome. Mais tels Icare, certains pourraient se brûler les ailes à trop s’approcher du soleil que représente l’énergie nucléaire. Le Rassemblement National est ainsi devenu la risée des experts quand Marine Le Pen a annoncé vouloir construire 20 EPR d’ici 2036. « C’est plus que ce que la filière nucléaire réclame et ne saura faire, et il est complètement irréaliste de penser que ces réacteurs pourraient être construits dans de tels délais », explique à L’Express Nicolas Goldberg, responsable énergie au think tank Terra Nova et consultant dans le secteur. A l’inverse, le Nouveau Front Populaire s’est attiré les foudres de bien des Français en masquant le sujet du nucléaire [1]. “Quel est donc ce parti se disant écolo qui ne parle pas de nucléaire ?” pouvait-on entendre. Mais le nucléaire est-il un argument rédhibitoire ?

Après avoir montré en quoi nous pouvons nous en passer, nous nous demanderons si c’est un choix souhaitable.

Un scénario 100% renouvelable

Sa place dans le mix électrique français est telle qu’on tendrait presque à oublier que le nucléaire n’est pas indispensable. Dans sa synthèse des Futurs énergétiques 2050, RTE a imaginé six scénarios de mix électrique, allant du 100% renouvelable (M0) au mi-nucléaire mi-renouvelable (N03). D’un côté on a donc RTE, le gestionnaire de réseau de transport d’électricité français, qui dit que le sans nucléaire est possible, et de l’autre une ribambelle de commentateurs qui écartent tout parti politique ne mettant pas l’atome sur un piédestal.

L'ensemble des 6 scénarios imaginés par RTE. Nous nous concentrerons sur le scénario M0 qui parie sur un mix 100% renouvelable en 2050.

Explorons rapidement les tenants d’un mix sans nucléaire en 2050.

Vous êtes sûrement nombreux à vous demander comment un mix sans nucléaire et sans centrale thermique polluante est réaliste. En effet, l’Allemagne a déjà investi dans ce pari du sans nucléaire, un pari perdant puisque c’est le charbon – bien plus polluant – qui a pris la place du nucléaire. RTE prévoit évidemment un autre scénario pour la France. Un deuxième défi consiste à trouver un moyen de sécuriser le réseau, c’est-à-dire d’être capable d’alimenter les Français et les infrastructures. Cependant, s’il n’y a que des éoliennes et des panneaux solaires, l’électricité produite sera au bon vouloir du vent et du soleil. RTE insiste : gérer des cycles jour/nuit et de très grandes différences de production est « un défi technique majeur. […] Le système doit notamment pouvoir absorber des périodes de plusieurs semaines consécutives sans vent en déstockant de l’énergie, ce que des batteries ou une gestion intelligente de la demande ne permettront pas de réaliser » (p. 34 -35). D’ailleurs, les rythmes de développement des énergies renouvelables (éolien terrestre et offshore et énergie solaire) devront être très importants, et même « plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques » (p.28). C’est un véritable défi technique qui a des chances de rater.

Selon RTE, « il n’existe pas d’autre moyen [pour faire face au problème de l’intermittence] que les centrales nucléaires ou les centrales thermiques utilisant des stocks de gaz décarbonés » (p. 35). C’est ce qu’on appelle des solutions de « back-up », de renfort. Le dilemme se pose alors entre le nucléaire et les “gaz décarbonés” (parfois dits gaz verts). Par cette expression RTE entend « l’hydrogène bas-carbone, le biométhane, le méthane de synthèse ou le méthane fossile associé à un dispositif de captage et stockage du carbone (CCS) » (p. 197 [2]). Autant de méthodes de production d’énergie qui permettraient de se passer du nucléaire. Néanmoins, ces gaz verts en sont à leur balbutiements en France, et font déjà face à des défis d’acceptabilité sociale. Par exemple, si la méthanisation rejette peu de gaz à effets de serre, elle produit des odeurs nauséabondes qui compliqueraient son développement à l’échelle nationale (Stéphane CARIOU & Jean-François DESPRES, 2023, Émissions gazeuses odorantes issues de la méthanisation).

A plus petite échelle, des batteries pourront également être mises en place. Les panneaux solaires les rechargeraient la journée, et on dépenserait l’énergie accumulée du soir au matin. Dans une France sans nucléaire, la flexibilité énergétique, soit la capacité d’ajuster l’offre avec la demande, deviendra un enjeu important étant donné le poids des énergies intermittentes.

Souhaitable ?

Le sans nucléaire est donc possible, mais est-il souhaitable pour autant ? La production d’électricité nucléaire par fission en France émet relativement peu de gaz à effet de serre, est plutôt pilotable, sûre, et est de plus en plus plébiscitée par les Français (75% des Français s’exprime favorablement sur la production d’électricité nucléaire, IFOP, 2022). Le hic tient en ses infrastructures vieillissantes et menacées par le changement climatique. Le risque est de paralyser le parc nucléaire avec des maintenances à répétition et donc des pertes d’énergie de plus en plus importantes. Néanmoins, les problèmes comme les solutions sont plutôt bien connus. Il faudrait davantage construire les centrales près de la mer en circuit ouvert ou bien près d’une importante source d’eau et avec des tours aéroréfrigérantes. De plus, il faudra veiller à ce que les centrales ne soient pas installées dans des zones inondables – là aussi, c’est loin d’être insolvable.

Sortir du nucléaire a également un cout : « les scénarios de sortie du nucléaire dès 2050 (M0) ou fondés majoritairement sur le solaire diffus (M1) sont significativement plus onéreux que les autres options » (p. 33), écrivent bleu sur blanc les experts d’RTE dans leur synthèse. Néanmoins, on ne peut pas mettre sous le tapis les retentissants surcoûts de l’EPR de Flamanville. Selon Reporterre qui s’appuie sur une enquête parlementaire, le nucléaire coûte même de plus en plus cher, d’autant plus que les coûts sont difficilement chiffrables. Le coût du nucléaire ne fait donc pas vraiment consensus : « tout dépend de la dose d’optimisme, ou inversement du pessimisme », estimait France Inter en 2021.

Le nucléaire n’est pas magique

Le nucléaire ne doit donc pas devenir un élément magique. Il n’est pas la clé de voûte d’une politique environnementale, ni même énergétique. S’il est prôné par certains, retenez bien que la meilleure énergie c’est d’abord celle qu’on ne consomme pas. Il serait très intéressant d’analyser sociologiquement les raisons qui poussent ces individus à chérir aussi fort l’électricité nucléaire. Sans doute y-a-t-il un peu de chauvinisme mélangé au fait que le nucléaire réconforte les éco anxieux ; le nucléaire apaise peut-être. C’est précisément pour cette raison qu’il faut mieux l’expliquer et lui enlever cette aura qui le protège de toute critique. A droite surtout, on ne jure que par lui, peut-être pour apaiser sa conscience et ne plus penser aux autres enjeux. Non, le nucléaire ne résoudra pas le réchauffement climatique à lui tout seul. D’ailleurs, il est souvent prôné par opportunisme, car les politiques savent que l’étiquette “nucléaire” gonfle les voix. Il faut aussi garder en tête que l’énergie nucléaire n’est pas une énergie renouvelable et qu’il faudra un jour s’en séparer.

« Le nucléaire c’est 5% du problème mais 95% des discussions »

Dicton largement popularisé par Jean-Marc Jancovici

La position d’Ecolucide est moins celle, figée, qui défend le nucléaire à tout prix, que celle qui remet calmement en question ses détracteurs, et ce toujours avec un objectif de lucidité.

[1] Il y a quatre occurrences du mot “nucléaire” dans leur programme, et aucune visibilité sur la place de cette énergie dans leur mix électrique.

[2] Toutes les précisions de page concernent la version du rapport “résumé exécutif”. Cette citation est tirée du rapport complet.

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