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Qatar : un Mondial neutre en carbone ?

Cette 22ème coupe du monde n’a pas encore commencé que les articles pleuvent déjà par dizaines, voire par centaines : d’aucuns accusent la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) et le Qatar d’organiser un mondial qualifié par certains d’une « aberration écologique”. Au milieu de ce déluge, personne ne nage sérieusement à contre-courant – ou alors il se ferait vite emporter au fond de l’eau. En cela, nous faisons face à un paradoxe : alors que tous pointent d’un doigt accusateur le mondial 2022, peu voire aucune conséquence ne semble se dégager. Comme si nous décochions nos flèches vers une même cible, la raison individuelle, sans qu’elle ne daigne convertir les convictions en actions (manifestation, boycott, …). Il faut dire que de l’autre côté – pour une partie non négligeable des Français en tout cas – la passion tire la corde avec acharnement. Une passion sous stéroïdes en Europe, a fortiori cette année en France dont l’équipe est détentrice du titre de champion du monde.

Qui sème la pluie récolte le déluge

Les raisons de cette colère sont désormais bien connues : un désastre humain et moral ainsi qu’un fourvoiement total des objectifs environnementaux. Cependant, quand on parle des dérives du mondial, c’est plus souvent pour dénoncer les conditions des ouvriers – sujet toutefois très important – ayant construit les stades que pour parler du désastre écologique, du moins dans sa totalité. Ainsi, nous nous concentrerons sur l’aspect environnemental de l’événement. Et croyez-moi, un article n’est pas de trop.

Sur le plan environnemental donc, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) montre patte verte et assure que le mondial 2022 sera « neutre en carbone ». A première vue, cela fait un peu trop beau pour être vrai, mais il faut tout de même souligner que cette question n’est que très peu traitée dans les médias. Pourtant, si les dires des organisateurs sont vrais – et réalisables -, la polémique écologique n’aurait pas lieu d’être.

Dans une vidéo publiée en juin 2022, Gianni Infantino, président de la FIFA depuis 2016, appelle chacun à brandir le carton vert de la FIFA pour la planète.

Des chiffres remis en question

Selon les organisateurs, 3,63 Mégatonnes d’équivalent CO2 (MtCO2e) seront émis par la coupe du monde, dont la moitié (51%) par les transports. C’est autant que l’empreinte carbone de 440 000 Français (ministère de l’environnement, données 2020). En mesure concrète, l’on retrouve notamment la climatisation des stades (qui sont à ciel ouvert) ou bien la mise en place d’un couloir aérien entre le Qatar et d’autres pays étrangers. Selon L’Obs, un avion décollera toutes les 10 minutes.

Mais les 3,63 MtCO2e annoncés par la FIFA sont fortement remis en question, tout comme leur compensation à l’aide de crédits carbone. A l’origine de ces doutes, il y a une ONG belge. En mai 2022, Carbon Market Watch a publié un rapport mettant très fortement en doute les dires de la FIFA.

7 stades de plus dans le désert

En outre, les émissions concernant la construction des six stades permanents seraient 8 fois plus importantes. Le royaume n’accueillant que peu de matchs importants, il n’existait qu’un seul grand stade. Il a donc fallu en construire sept pour l’occasion : six permanents et un démontable.

Les émissions de GES comprennent donc logiquement les émissions liées à la construction des 6 stades permanents. Cependant, elles sont rapportées au temps d’utilisation, soit 70 jours. Ainsi, alors que la construction du stade démontable a été évaluée à 438 kt d’équivalent CO2, la construction d’un stade permanent (sans les sièges démontables) a été évaluée à 4,5 kt CO2e… Dans leur logique, les stades seront utilisés après la coupe du monde, contrairement au stade démontable (le dénommé « stade 974 » ou « Ras Abu Aboud ») ou aux sièges démontables dont la mise en place et leur désinstallation est directement et incontestablement imputable à l’évènement du mondial.

Vers des stades fantômes ?

Mais le futur de ces stades semble loin d’être radieux. En outre, quand le mondial sera terminé, l’utilité de ces stades sera remise en question. J’en veux comme preuve ce qu’il se passe déjà dans certains stades russes (cdm 2018), brésiliens (cdm 2014) ou sud-africains (cdm 2010) qui sont en difficulté financière au vu de l’absence d’activité, contrairement aux stades allemands (cdm 2006). Par exemple, un stade de 40 000 places (qui sera ensuite transformé en un stade 20 000 places) sera réhabilité comme stade d’une équipe locale auquel le stade actuel a une capacité inférieure de presque deux fois.

Ainsi, la réhabilitation des stades à posteriori de la coupe du monde est secondaire. Ce n’est qu’une conséquence du mondial et qui plus est fort instable. Néanmoins, l’on ne peut pas exclure le fait que les stades se rempliront grâce à un possible intérêt généré par cet évènement international de taille qui n’a encore jamais eu lieu dans un pays arabe. Une sorte d’« effet coupe du monde », mais, dans une certaine mesure, à retardement : D’abord, le Qatar pourrait bénéficier de l’exposition médiatique gigantesque de la coupe du monde pour attirer le public qatari et des alentours afin de renflouer les nouveaux stades. De même, des jeunes espoirs pourraient voir dans le Qatar un lieu plein de potentiel pour leur carrière professionnelle. Ensuite, les jeunes qataris, et même les jeunes arabes, pourraient bien se décider à obtenir une licence de football et agrandir de ce fait les ligues nationales.

Toujours est-il que selon Carbon Market Watch, la construction des 6 stades permanents génèrerait au total (et au minimum, car l’ONG se réfère aux stades les moins grands et donc les moins émetteurs car elle n’a pas les données pour chaque stade) 1,62 MtCO2e, soit 8 fois plus qu’annoncé.

Des crédits carbone potentiellement caduques

Cependant, même si la FIFA avait correctement évalué les émissions de GES, la compensation environnementale qui doit mener à un bilan carbone neutre serait tout de même mise en péril. En effet, les organisateurs prévoient de compenser leurs émissions en achetant des crédits carbone (1 crédit carbone = 1 tonne de CO2). Le problème, c’est que les projets bénéfiques pour l’environnement qui génèrent ces crédits sont potentiellement « non additionnels ». Si c’est le cas, ces projets verraient le jour de toute manière et la vente de ces crédits ne sera donc qu’un plus, qu’une addition. D’ailleurs, les principaux standards de certification – Verified Carbon Standard (VCS) et Gold Standard (GS) – ont exclu les projets de ce type.

De plus, le principe même de la compensation environnementale via le marché du carbone a un côté pervers. Il aurait été plus utile de chercher un moyen d’émettre un minimum de GES plutôt que de chercher à les compenser très maladroitement. De plus, ce marché ne favorise pas la transition vers un modèle plus sobre mais reste, au contraire, dans le mythe de la croissance verte.

Un choix pour le moins questionnable

Le choix de ce pays est décidemment un amas d’inepties et de contre-sens. Il a fallu construire 7 stades, des routes, des hôtels de luxe et d’autres infrastructures pour accueillir le public dans un pays très chaud et dont – comme si ce n’était pas assez – le mix énergétique est composé à 99% de sources d’énergie haut carbone (gaz et pétrole en tête). Pour tout dire, le Qatar est même classé comme l’un des pays les plus pollueurs au monde en émissions de CO2 par habitant (32,5 tonnes/habitant en 2019, Banque Mondiale). Toujours sans oublier que la condition des ouvriers au Qatar est épouvantable et que les droits humains y sont chétifs.

L’on aurait aimé pouvoir croire à une adaptation extraordinaire de la part de la FIFA, mais que nenni. Il se produit ce que à quoi tout le monde s’attendait : absolument rien sinon que des chiffres et promesses en herbe tenus de nous laisser endormis. Une question plus large apparait alors : le football international est-il compatible avec l’écologie ? Peut-il même l’être ? A en voir les rires de Christophe Galtier et de Kylian Mbappé lundi 5 septembre lorsque l’on avait soumis la possibilité de déplacements plus sobres, la réponse semble être négative. Mais qui sait, le football retrouvera peut-être la raison.

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