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Face à une menace de coupes rases dans le Morvan, des habitants se mobilisent

Depuis les années 1970, on assiste à une véritable prise de conscience écologique concernant le dérèglement climatique, à un tel point qu’aujourd’hui, ce sujet est devenu un enjeu majeur dans beaucoup de pays, produisant même des conférences mondiales réunissant ces derniers. Cependant, l’engouement est tel autour de ce phénomène mondial – tout à fait légitime – que l’on a tendance à oublier les luttes locales qui ne relèvent pas uniquement du domaine de la production de GES. Pourtant, celles-ci sont plus concrètes, et mises en lien, relèvent souvent d’un phénomène complexe, qui ne touche pas seulement un environnement restreint, mais fait parfois partie d’un système plus global.

Dans le cas que nous allons observer, il en sera question. En outre, nous découvrirons la politique forestière honteuse qui existe et s’expand depuis des décennies dans le Morvan et qui sévit encore aujourd’hui. Ecolucide a décidé de vous emmener observer la lutte locale de la forêt du Mont Touleur, en plein Parc naturel régional du Morvan, près de la commune de Larochemillay (Nièvre).

La photo qui illustre l’article vaut mille mots (trouvée ici) : les arbres locaux qu’on appelle les feuillus (chênes, hêtres, charmes, bouleaux, …), vêtus de leurs couleurs d’automne, se font grand remplaced par des grands résineux verts, les sapins (souvent des Douglas). Ce phénomène est bien connu et a déjà touché la moitié des forêts du Morvan, c’est l’enrésinement. Mais les industriels réussiront-ils à enrésiner la forêt du Mont Touleur ?

En effet, en 2020, l’entreprise « Groupement forestier de la Rivière » s’est emparée de 200 ha du versant forestier sud du Mont Touleur pour la somme d’1,2M d’€. Le fait que l’espace soit à la fois catégorisé en Natura 2000 pour « Bocage, forêts et milieux humides du Sud Morvan » et en « Zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique » (ZNIEFF) de type I et II, n’a pas empêché la vente. « A quoi ça sert d’être dans un parc régional naturel si on ne peut pas protéger nos forêts ? », se lamentait Sylvain Mathieu, président de ce même Parc.

Le problème ? La société désormais propriétaire est détenue à 90% par une holding danoise spécialisée dans la culture de résineux et à 10% par un sylviculteur français PDG d’une société d’exploitation de sapins. Ainsi, 200 ha au maximum risquent une coupe rase, secondé d’un enrésinement. Aux alentours de l’équinoxe d’automne de 2020, Sébastien Royer, le sylviculteur français de 48 ans, se confiait au Journal de Saône-et-Loire (JSL) : « il y aura sûrement une dizaine d’hectares de coupe rase », confirmant alors ce que les opposants redoutaient. Le sylviculteur se prononça également sur les riverains ayant manifesté un peu plus tôt : « Ils me font halluciner ces gens. Est-ce que je vais voir chez vous si vous plantez des roses ou des géraniums ? », tempesta cet homme blanc privilégié. C’est en effet un argument présentable : celui du libéralisme. Les 200 ha étant achetés légalement, est-ce vraiment légitime de se révolter ? Mais pourquoi se révoltent-ils au juste ?

D’abord, les opposants rassemblés autour du collectif alerte forêt touleur veulent fondamentalement changer l’encadrement légal des coupes rases pour les limiter et éviter le pur et simple remplacement de ces espèces locales. Il y a des feuillus qui sont là depuis mille ans, qui ont envie d’être encore là pendant mille ans, et qui n’ont pas envie d’être enrésinés ! Excusez-les, ils n’ont pas envie. Les riverains affectionnent aussi particulièrement les activités s’exerçant dans ce milieu comme la randonnée. De plus, ils considèrent la forêt de sapin plus comme une plantation que comme une véritable forêt vivante remplie d’une riche biodiversité. Il y a en effet 99 fois moins de bactéries dans une forêt d’épicéa que dans une forêt de chênes.

Mais le plus important, c’est qu’ils préviennent sur les risques de l’enrésinement et de la coupe rase, lesquels sont très nombreux :

  • Réchauffement microclimatique de la parcelle rasée : le couvert forestier possède la      vertu de refroidir les sols, mais celui-ci disparu, les températures augmentent de 5 à 10°C jusqu’à la reconstitution de la « forêt », ce qui dure plus de 15 ans.
  • Le désastre des machines lourdes : ces machines de plusieurs tonnes font fuir la faune et détruisent la flore, fragilisant les sols dans le même temps.
  • Émissions de GES : Couper les arbres nous enlève leur capacité à « piéger » le CO2. Mais ce n’est pas tout car, après les avoir préparés à la vente, certains partent bruts vers la Chine où ils sont transformés (en meuble, etc.), pour revenir en Europe, ce qui contribue à un lourd impact carbone. Aussi, les engins lourds détruisent les sols, relâchant ainsi le CO2 contenu.
  • Modification du ruissellement de l’eau : les machines dérèglent les écoulements d’eau, menaçant directement l’approvisionnement d’eau de quelques habitants et renforçant les risques d’inondation. De plus, les industriels utilisent des pesticides pouvant alors polluer les cours d’eau.
  • Appauvrissement des sols : Il faut à peu près 60 ans pour qu’un peuplement de Douglas restitue au sol ce qu’il a puisé pour sa croissance. Or, on coupe les sapins bien avant. Pour pallier ce problème, les industriels utilisent des engrais et des pesticides.

L’enrésinement est fortement encouragé par l’Etat depuis 1960, notamment par le biais de subventions mais que peut-on faire ? Le sapin a un rendement globalement plus important que les feuillus, et si on se place d’un côté purement économique, la monoculture intensive de Douglas ou d’épicéas permet de produire une coupe 3 fois plus souvent (on peut couper ces arbres au bout de 30-40 ans) que la culture de chêne (au moins 120 ans). En réalité, on assiste à un éloge de la rentabilité contre la défense de la biodiversité : classique. Loin de vouloir simplement protéger la nature de toute exploitation, les opposants à l’enrésinement prônent le principe de la futaie irrégulière, de son nom la Sylviculture Irrégulière Continue Proche de la Nature (SICPN).

Néanmoins, on peut espérer prendre un chemin différent qu’un enrésinement pur et simple. Ce mouvement local est rapidement devenu plus important en récoltant plus de 30 000 signatures sur une pétition, et a même conduit à une manifestation le samedi 6 novembre qui a réuni plus de 600 personnes selon les gendarmes. Le propriétaire français semble aussi revenir sur ses paroles de fin 2020. Récemment interrogée par Libération, la femme du sylviculteur assure : « On ne fera pas de monoculture », mais maintient le doute sur une possible coupe rase. Plus encore, les nouveaux propriétaires de la forêt vont déposer un plan simple de gestion (PSG), c’est-à-dire une liste d’objectifs notamment en termes de sylviculture. Le PSG, qui devrait être finalisé d’ici un an, doit être déposé auprès du centre national de la propriété forestière (CNPF) qui, en toute vérité, n’a pas vraiment de pouvoir sur l’utilisation de la forêt. La propriétaire est d’ailleurs sincère : « On leur exposera le plan mais on reste les principaux décideurs »

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